페이지 이미지
PDF
ePub

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

BRUTUS, LES SÉNATEURS, PROCULUS, LICTEURS, L'ESCLAVE VINDEX.

BRUTUS.

Oui, Rome n'était plus; oui, sous la tyrannie

L'auguste liberté tombait anéantie;

Vos tombeaux se rouvraient; c'en était fait : Tarquin
Rentrait dès cette nuit, la vengeance à la main.
C'est cet ambassadeur, c'est lui dont l'artifice
Sous les pas des Romains creusait ce précipice.
Enfin, le croirez-vous? Rome avait des enfants
Qui conspiraient contre elle, et servaient les tyrans ;
Messala conduisait leur aveugle furie,

A ce perfide Arons il vendait sa patrie;

Mais le ciel a veillé sur Rome et sur vos jours;

(En montrant l'esclave.)

Cet esclave a d'Arons écouté les discours;
ll a prévu le crime, et son avis fidèle

A réveillé ma crainte, a ranimé mon zèle.
Messala, par mon ordre arrêté cette nuit,
Devant vous à l'instant allait être conduit;
J'attendais que du moins l'appareil des supplices
De sa bouche infidèle arrachât ses complices;
Mes licteurs l'entouraient, quand Messala soudain,
Saisissant un poignard qu'il cachait dans son sein,
Et qu'à vous, sénateurs, il destinait peut-être :

« Mes secrets, a-t-il dit, que l'on cherche à connaître,
« C'est dans ce cœur sanglant qu'il faut les découvrir;
<< Et qui sait conspirer, sait se taire et mourir. »
On s'écrie, on s'avance: il se frappe, et le traître
Meurt encore en Romain, quoique indigne de l'être.

Déjà des murs de Rome Arons était parti;
Assez loin vers le camp nos gardes l'ont suivi;
On arrête à l'instant Arons avec Tullie.

Bientôt, n'en doutez point, de ce complot impie
Le ciel va découvrir toutes les profondeurs;
Publicola partout en cherche les auteurs.

Mais quand nous connaîtrons le nom des parricides,
Prenez garde, Romains, point de grâce aux perfides;
Fussent-ils nos amis, nos frères, nos enfants,

Ne voyez que leur crime, et gardez vos serments.
Rome, la liberté, demandent leur supplice;

Et qui pardonne au crime en devient le complice.
(A l'esclave.)

Et toi dont la naissance et l'aveugle destin

N'avait fait qu'un esclave et dut faire un Romain,
Par qui le sénat vit, par qui Rome est sauvée,
Reçois la liberté que tu m'as conservée;

Et prenant désormais des sentiments plus grands,
Sois l'égal de mes fils, et l'effroi des tyrans.

Mais qu'est-ce que j'entends? quelle rumeur soudaine?

PROCULUS.

Arons est arrêté, seigneur, et je l'amène.

BRUTUS,

De quel front pourra-t-il?...

SCÈNE II.

BRUTUS, LES SÉNATEURS, ARONS, LICTEURS.

ARONS.

Jusques à quand, Romains, Voulez-vous profaner tous les droits des humains? D'un peuple révolté conseils vraiment sinistres, Pensez-vous abaisser les rois dans leurs ministres ? Vos licteurs insolents viennent de m'arrêter : Est-ce mon maître ou moi que l'on veut insulter? Et chez les nations ce rang inviolable...

BRUTUS.

Plus ton rang est sacré, plus il te rend coupable;
Cesse ici d'attester des titres superflus.

ARONS.

L'ambassadeur d'un roi!...

BRUTUS.

Traître, tu ne l'es plus;

Tu n'es qu'un conjuré, paré d'un nom sublime,
Que l'impunité seule enhardissait au crime.
Les vrais ambassadeurs, interprètes des lois,
Sans les déshonorer savent servir leurs rois;
De la foi des humains discrets dépositaires,
La paix seule est le droit de leurs saints ministères,
Des souverains du monde ils sont les nœuds sacrés,
Et, partout bienfaisants, sont partout révérés.

A ces traits, si tu peux, ose te reconnaître :

Mais si tu veux au moins rendre compte à ton maître
Des ressorts, des vertus, des lois de cet État,
Comprends l'esprit de Rome, et connais le sénat.
Ce peuple auguste et saint sait respecter encore
Les lois des nations, que ta main déshonore :
Plus tu les méconnais, plus nous les protégeons;
Et le seul châtiment qu'ici nous t'imposons,
C'est de voir expirer les citoyens perfides
Qui liaient avec toi leurs complots parricides.
Tout couvert de leur sang répandu devant toi,
Va d'un crime inutile entretenir ton roi;
Et montre en ta personne aux peuples d'Italie
La sainteté de Rome et ton ignominie.
Qu'on l'emmène, licteurs.

SCÈNE III.

LES SÉNATEURS, BRUTUS, VALÉRIUS,
PROCULUS.

BRUTUS.

Eh bien! Valérius,

Ils sont saisis sans doute, ils sont au moins connus? Quel sombre et noir chagrin, couvrant votre visage, De maux encor plus grands, semble être le présage? Vous frémissez.

VALÉRIUS.

Songez que vous êtes Brutus.

Expliquez-vous...

BRUTUS.

VALÉRIUS.

Je tremble à vous en dire plus.

(Il lui donne des tablettes.)

Voyez, seigneur; lisez, connaissez les coupables.
BRUTUS, prenant les tablettes.

Me trompez-vous, mes yeux? O jours abominables!
O père infortuné! Tibérinus? mon fils!
Sénateurs, pardonnez... Le perfide est-il pris?
VALÉRIUS.

Avec deux conjurés il s'est osé défendre;

Ils ont choisi la mort plutôt que de se rendre;
Percé de coups, seigneur, il est tombé près d'eux :
Mais il reste à vous dire un malheur plus affreux,

Pour vous, pour Rome entière, et pour moi plus sensible.

Qu'entends-je?

BRUTUS.

VALÉRIUS.

Reprenez cette liste terrible

Que chez Messala même a saisi Proculus.

BRUTUS.

Lisons donc... Je frémis, je tremble. Ciel! Titus! (Il se laisse tomber entre les bras de Proculus.)

VALÉRIUS.

Assez près de ces lieux je l'ai trouvé sans armes,
Errant, désespéré, plein d'horreur et d'alarmes.
Peut-être il détestait cet horrible attentat.

BRUTUS.

Allez, pères conscrits, retournez au sénat;
Il ne m'appartient plus d'oser y prendre place :
Allez, exterminez ma criminelle race;

Punissez-en le père, et jusque dans mon flanc
Recherchez sans pitié la source de leur sang.
Je ne vous suivrai point, de peur que ma présence
Ne suspendît de Rome ou fléchît la vengeance.

SCÈNE IV.

BRUTUS.

Grands dieux! à vos décrets tous mes vœux sont soumis! Dieux vengeurs de nos lois, vengeurs de mon pays,

C'est vous qui par mes mains fondiez sur la justice
De notre liberté l'éternel édifice:

Voulez-vous renverser ses sacrés fondements?

Et contre votre ouvrage armez-vous mes enfants?
Ah! que Tibérinus, en sa lâche furie,

Ait servi nos tyrans, ait trahi sa patrie,

Le coup en est affreux, le traître était mon fils!
Mais Titus! un héros! l'amour de son pays!
Qui, dans ce même jour, heureux et plein de gloire,
A vu par un triomphe honorer sa victoire!
Titus, qu'au Capitole ont couronné mes mains!
L'espoir de ma vieillesse et celui des Romains!
Titus! dieux!

SCÈNE V.

BRUTUS, VALÉRIUS, SUITE, LICTEUR.

VALÉRIUS.

Du sénat la volonté suprême

Est que sur votre fils vous prononciez vous-même.

[blocks in formation]

Des conjurés, seigneur, le reste est condamné;
Au moment où je parle ils ont vécu peut-être.

BRUTUS.

Et du sort de mon fils le sénat me rend maître?

VALÉRIUS.

Il croit à vos vertus devoir ce rare honneur.

O patrie!

BRUTUS.

VALÉRIUS.

Au sénat que dirai-je, seigneur?

BRUTUS.

Que Brutus voit le prix de cette grâce insigne,

Qu'il ne la cherchait pas... mais qu'il s'en rendra digne..... Mais mon fils s'est rendu sans daigner résister;

« 이전계속 »