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S'introduise dans vos usages.
Sur votre théâtre infecté

D'horreur, de gibets, de carnages,
Mettez donc plus de vérité,
Avec de plus nobles images.
Addison l'a déjà tenté :
C'était le poëte des sages;
Mais il était trop concerté :
Et, dans son Caton si vanté,
Ses deux filles, en vérité,
Sont d'insipides personnages.
Imitez du grand Addison
Seulement ce qu'il a de bon;
Polissez la rude action

De vos Melpomènes sauvages;
Travaillez pour les connaisseurs

De tous les temps, de tous les âges;
Et répandez dans vos ouvrages

La simplicité de vos mœurs.

Que messieurs les poëtes anglais ne s'imaginent pas que Je veuille leur donner Zaire pour modèle : je leur prêche la simplicité naturelle et la douceur des vers; mais je ne me fais point du tout le saint de mon sermon. Si Zaïre a eu quelque succès, je le dois beaucoup moins à la bonté de mon ouvrage qu'à la prudence que j'ai eue de parler d'amour le plus tendrement qu'il m'a été possible. J'ai flatté en cela le goût de mon auditoire : on est assez sûr de réussir quand on parle aux passions des gens plus qu'à leur raison. On veut de l'amour, quelque bon chrétien que l'on soit; et je suis très-persuadé que bien en prit au grand Corneille de ne s'être pas borné, dans son Polyeucte, à faire casser les statues de Jupiter par les néophytes; car telle est la corruption du genre humain, que peut-être

De Polyeucte la belle âme
Aurait faiblement attendri,
Et les vers chrétiens qu'il déclame
Seraient tombés dans le décri,
N'eût été l'amour de sa femme

Pour ce païen son favori,

Qui méritait bien mieux sa flamme
Que son bon dévot de mari.

Même aventure à peu près est arrivée à Zaïre. Tous ceux qui vont au spectacle m'ont assuré que, si elle n'avait été que convertie, elle aurait peu intéressé; mais elle est amoureuse de la meilleure foi du monde, et voilà ce qui a fait sa fortune. Cependant il s'en faut bien que j'aie échappé à la censure.

Plus d'un éplucheur intraitable
M'a vétillé, m'a critiqué;
Plus d'un railleur impitoyable
Prétendait que j'avais croqué,
Et peu clairement expliqué
Un roman très-peu vraisemblable,
Dans ma cervelle fabriqué;
Que le sujet en est tronqué,
Que la fin n'est pas raisonnable:
Même on m'avait pronostiqué
Ce sifflet tant épouvantable,
Avec quoi le public choqué
Régale un auteur misérable.
Cher ami, je me suis moqué
De leur censure insupportable :
J'ai mon drame en public risqué;
Et le parterre favorable,
Au lieu de siffler, m'a claqué.
Des larmes même ont offusqué
Plus d'un œil que j'ai remarqué
Pleurer de l'air le plus aimable,
Mais je ne suis point requinqué
Par un succès si désirable:
Car j'ai, comme un autre, marqué
Tous les déficit de ma fable.
Je sais qu'il est indubitable
Que, pour former œuvre parfait,
Il faudrait se donner au diable,
Et c'est ce que je n'ai pas fait.

Je n'ose me flatter que les Anglais fassent à Zaïre le même honneur qu'à Brutus, dont on a joué la traduction sur le théâtre de Londres. Vous avez ici la réputation de n'être ni assez dévots pour vous soucier beaucoup du vieux Lusignan, ni assez tendres pour être touchés de Zaïre. Vous passez pour aimer mieux une intrigue de conjurés

qu'une intrigue d'amants. On croit qu'à votre théâtre on bat des mains au mot de patrie, et chez nous à celui d'amour; cependant la vérité est que vous mettez de l'amour tout comme nous dans vos tragédies. Si vous n'avez pas la réputation d'être tendres, ce n'est pas que vos héros de théâtre ne soient amoureux, mais c'est qu'ils expriment rarement leur passion d'une manière naturelle. Nos amants parlent en amants, et les vôtres ne parlent encore qu'en poëtes.

Si vous permettez que les Français soient vos maîtres en galanterie, il y a bien des choses en récompense que nous pourrions prendre de vous. C'est au théâtre anglais que je dois la hardiesse que j'ai eue de mettre sur la scène les noms de nos rois et des anciennes familles du royaume. Il me paraît que cette nouveauté pourrait être la source d'un genre de tragédie qui nous est inconnu jusqu'ici, et dont nous avons besoin. Il se trouvera sans doute des génies heureux qui perfectionneront cette idée, dont Zaïre n'est qu'une faible ébauche. Tant que l'on continuera en France de protéger les lettres, nous aurons assez d'écrivains. La nature forme presque toujours des hommes en tout genre de talent; il ne s'agit que de les encourager et de les employer. Mais si ceux qui se distinguent un peu n'étaient soutenus par quelque récompense honorable, et par l'attrait plus flatteur de la considération, tous les beaux arts pourraient bien dépérir au milieu des abris élevés pour eux, et ces arbres plantés par Louis XIV dégénéreraient faute de culture: le public aurait toujours du goût, mais les grands maîtres manqueraient. Un sculpteur dans son académie verrait des hommes médiocres à côté de lui, et n'élèverait pas sa pensée jusqu'à Girardon et au Puget; un peintre se contenterait de se croire supérieur à son confrère, et ne songerait pas à égaler le Poussin. Puissent les successeurs de Louis XIV suivre toujours l'exemple de ce grand roi, qui donnait d'un coup d'œil une noble émulation à tous les artistes! I encourageait à la fois un Racine et un Van

Robais... Il portait notre commerce et notre gloire par-delà les Indes; il étendait ses grâces sur des étrangers étonnés d'être connus et récompensés par notre cour. Partout où était le mérite, il avait un protecteur dans Louis XIV.

Car de son astre bienfaisant
Les influences libérales,

Du Caire au bord de l'Occident,
Et sous les glaces boréales,
Cherchaient le mérite indigent.
Avec plaisir ses mains royales
Répandaient la gloire et l'argent
Le tout sans brigue et sans cabales.
Guillelmini, Viviani,

Et le céleste Cassini,

Auprès des lis venaient se rendre,
Et quelque forte pension

Vous aurait pris le grand Newton,
Si Newton avait pu se prendre.
Ce sont là les heureux succès
Qui faisaient la gloire immortelle

De Louis et du nom français.

Ce Louis était le modèle

De l'Europe et de vos Anglais.

On craignait que, par ses progrès,

Il n'envahît à tout jamais

La monarchie universelle;

Mais il l'obtint par ses bienfaits.

Vous n'avez pas chez vous des fondations pareilles aux monuments de la munificence de nos rois, mais votre nation y supplée. Vous n'avez pas besoin des regards du maître pour honorer et récompenser les grands talents en tout genre. Le chevalier Steele et le chevalier Wanbruck étaient en même temps auteurs comiques et membres du Parlement. La primatie du docteur Tillotson, l'ambassade de M. Prior, la charge de M. Newton, le ministère de M. Addison, ne sont que les suites ordinaires de la considération qu'ont chez vous les grands hommes. Vous les comblez de biens pendant leur vie, vous leur élevez des mausolées et des statues après leur mort: il n'y a point jus

qu'aux actrices célèbres qui n'aient chez vous leur place dans les temples à côté des grands poëtes.

Votre Oldfield', et sa devancière
Bracegirdle la minaudière,

Pour avoir su dans leurs beaux jours
Réussir au grand art de plaire,
Ayant achevé leur carrière,
S'en furent, avec le concours
De votre république entière,
Sous un grand poêle de velours,
Dans votre église pour toujours
Loger de superbe manière.
Leur ombre en paraît encor fière,
Et s'en vante avec les Amours:
Tandis que le divin Molière,
Bien plus digne d'un tel honneur,
A peine obtint le froid bonheur
De dormir dans un cimetière;
Et que l'aimable Le Couvreur,
A qui j'ai fermé la paupière,
N'a pas eu même la faveur
De deux cierges et d'une bière;
Et que M. de Laubinière
Porta la nuit par charité

Ce corps autrefois si vanté,

Dans un vieux fiacre empaqueté,

Vers le bord de notre rivière.

Voyez-vous pas à ce récit

L'Amour irrité qui gémit,

Qui s'envole en brisant ses armes,
Et Melpomène tout en larmes,
Qui m'abandonne, et se bannit

Des lieux ingrats qu'elle embellit

Si longtemps de ses nobles charmes?

Tout semble ramener les Français à la barbarie dont Louis XIV et le cardinal de Richelieu les ont tirés. Malheur aux politiques qui ne connaissent pas le prix des beaux-arts! La terre est couverte de nations aussi puissantes que nous : d'où vient cependant que nous les regardons presque toutes avec peu d'estime? c'est par la raison

1. Fameuse actrice mariée à un seigneur d'Angleterre.

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