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FATIME.

Pourquoi donc aujourd'hui vous déclarer contre eux? A la loi musulmane à jamais asservie,

Vous allez des chrétiens devenir l'ennemie;

Vous allez épouser leur superbe vainqueur.

ZAÏRE.

Qui lui refuserait le présent de son cœur?
De toute ma faiblesse il faut que je convienne;
Peut-être sans l'amour j'aurais été chrétienne;
Peut-être qu'à ta loi j'aurais sacrifié,

Mais Orosmane m'aime, et j'ai tout oublié:
Je ne vois qu'Orosmane, et mon âme enivrée
Se remplit du bonheur de s'en voir adorée.
Mets-toi devant les yeux sa grâce, ses exploits;
Songe à ce bras puissant, vainqueur de tant de rois,
A cet aimable front que la gloire environne :
Je ne te parle point du sceptre qu'il me donne;
Non, la reconnaissance est un faible retour,
Un tribut offensant, trop peu fait pour l'amour.
Mon cœur aime Orosmane, et non son diadème;
Chère Fatime, en lui je n'aime que lui-même.
Peut-être j'en crois trop un penchant si flatteur;
Mais si le ciel, sur lui déployant sa rigueur,
Aux fers que j'ai portés eût condamné sa vie,
Si le ciel sous mes lois eût rangé la Syrie,
Ou mon amour me trompe, ou Zaïre aujourd'hui
Pour l'élever à soi descendrait jusqu'à lui.

FATIME.

On marche vers ces lieux; sans doute c'est lui-même.

ZAÏRE.

Mon cœur, qui le prévient, m'annonce ce que j'aime.
Depuis deux jours, Fatime, absent de ce palais,
Enfin son tendre amour le rend à mes souhaits,

SCÈNE II.

OROSMANE, ZAIRE, FATIMÉ.

OROSMANE.

Vertueuse Zaire, avant que l'hyménée

Joigne à jamais nos cœurs et notre destinée,

J'ai cru, sur mes projets, sur vous, sur mon amour,
Devoir en musulman vous parler sans détour.
Les soudans qu'à genoux cet univers contemple,
Leurs usages, leurs droits, ne sont point mon exemple :
Je sais que notre loi, favorable aux plaisirs,
Ouvre un champ sans limite à nos vastes désirs ;
Que je puis, à mon gré prodiguant mes tendresses,
Recevoir à mes pieds l'encens de mes maîtresses,
Et tranquille au sérail, dictant mes volontés,
Gouverner mon pays du sein des voluptés.

Mais la mollesse est douce, et sa suite est cruelle;
Je vois autour de moi cent rois vaincus par elle;
Je vois de Mahomet ces lâches successeurs,
Ces califes tremblants dans leurs tristes grandeurs,
Couchés sur les débris de l'autel et du trône,
Sous un nom sans pouvoir languir dans Babylone,
Eux qui seraient encore, ainsi que leurs aïeux,
Maîtres du monde entier, s'ils l'avaient été d'eux.
Bouillon leur arracha Solyme et la Syrie;
Mais bientôt, pour punir une secte ennemie,
Dieu suscita le bras du puissant Saladin :
Mon père, après sa mort, asservit le Jourdain;
Et moi, faible héritier de sa grandeur nouvelle,
Maître encore incertain d'un État qui chancelle,
Je vois ces fiers chrétiens, de rapine altérés,
Des bords de l'Occident vers nos bords attirés ;
Et lorsque la trompette et la voix de la guerre
Du Nil au Pont-Euxin font retentir la terre,
Je n'irai point, en proie à de lâches amours,
Aux langueurs d'un sérail abandonner mes jours.
J'atteste ici la gloire, et Zaïre, et ma flamme,
De ne choisir que vous pour maîtresse et pour femme,
De vivre votre ami, votre amant, votre époux,

De partager mon cœur entre la guerre et vous.
Ne croyez pas non plus que mon honneur confie
La vertu d'une épouse à ces monstres d'Asie,
Du sérail des soudans gardes injurieux,
Et des plaisirs d'un maître esclaves odieux :
Je sais vous estimer autant que je vous aime,
Et sur votre vertu me fier à vous-même.
Après un tel aveu, vous connaissez mon cœur;
Vous sentez qu'en vous seule il a mis son bonheur;

Vous comprenez assez quelle amertume affreuse
Corromprait de nos jours la durée odieuse,
Si vous ne receviez les dons que je vous fais
Qu'avec ces sentiments que l'on doit aux bienfaits.
Je vous aime, Zaire, et j'attends de votre âme
Un amour qui réponde à ma brûlante flamme.
Je l'avouerai, mon cœur ne veut rien qu'ardemment;
Je me croirais hai d'être aimé faiblement;
De tous mes sentiments tel est le caractère.
Je veux avec excès vous aimer et vous plaire.
Si d'un égal amour votre cœur est épris,
Je viens vous épouser, mais c'est à ce seul prix;
Et du noeud de l'hymen l'étreinte dangereuse
Me rend infortuné, s'il ne vous rend heureuse.
ZAÏRE.

Vous, seigneur, malheureux! Ah! si votre grand cœur
A sur mes sentiments pu fonder son bonheur,
S'il dépend en effet de mes flammes secrètes,

Quel mortel fut jamais plus heureux que vous l'êtes!
Ces noms chers et sacrés, et d'amant, et d'époux,
Ces noms nous sont communs; et j'ai par-dessus vous
Ce plaisir si flatteur à ma tendresse extrême
De tenir tout, seigneur, du bienfaiteur que j'aime;
De voir que ses bontés font seules mes destins ;
D'être l'ouvrage heureux de ses augustes mains;
De révérer, d'aimer un héros que j'admire.
Oui, si parmi les cœurs soumis à votre empire
Vos yeux ont discerné les hommages du mien,
Si votre auguste choix...

SCÈNE III.

OROSMANE, ZAIRE, FATIME, CORASMIN.

CORASMIN.

Cet esclave chrétien,

Qui sur sa foi, seigneur, a passé dans la France,
Revient au moment même et demande audience.

O ciel!

FA TIME.

OROSMANE.

Il peut entrer. Pourquoi ne vient-il pas ?

CORASMIN.

Dans la première enceinte il arrête ses pas.

Seigneur, je n'ai pas cru qu'aux regards de son maître Dans ces augustes lieux un chrétien pût paraître.

OROSMANE.

Qu'il paraisse. En tous lieux, sans manquer de respect,
Chacun peut désormais jouir de mon aspect.

Je vois avec mépris ces maximes terribles
Qui font de tant de rois des tyrans invisibles.

SCÈNE IV.

OROSMANE, ZAIRE, FATIME, CORASMIN, NÉRESTAN.

NÉRESTAN.

Respectable ennemi qu'estiment les chrétiens,

Je reviens dégager mes serments et les tiens :
J'ai satisfait à tout, c'est à toi d'y souscrire :
Je te fais apporter la rançon de Zaïre,
Et celle de Fatime et de dix chevaliers,
Dans les murs de Solyme illustres prisonniers.
Leur liberté par moi trop longtemps retardée,
Quand je reparaîtrais leur dut être accordée :
Sultan, tiens ta parole! ils ne sont plus à toi,
Et dès ce moment même ils sont libres par moi.
Mais, grâces à mes soins quand leur chaîne est brisée,
A t'en payer le prix ma fortune épuisée,

Je ne le cèle pas, m'ôte l'espoir heureux

De faire ici pour moi ce que je fais pour eux.
Une pauvreté noble est tout ce qui me reste.
J'arrache des chrétiens à leur prison funeste;

Je remplis mes serments, mon honneur, mon devoir
Il me suffit, je viens me mettre en ton pouvoir;
Je me rends prisonnier, et demeure en otage.

OROSMANE.

Chrétien, je suis content de ton noble courage;
Mais ton orgueil ici se serait-il flatté

D'effacer Orosmane en générosité?

Reprends ta liberté, remporte tes richesses,

A l'or de ces rançons joins mes justes largesses :

Au lieu de dix chrétiens que je dus t'accorder,
Je t'en veux donner cent, tu les peux demander.
Qu'ils aillent sur tes pas apprendre à ta patrie
Qu'il est quelques vertus au fond de la Syrie;
Qu'ils jugent en partant qui méritait le mieux,
Des Français ou de moi, l'empire de ces lieux.
Mais, parmi ces chrétiens que ma bonté délivre,
Lusignan ne fut point réservé pour te suivre :
De ceux qu'on peut te rendre il est seul excepté ;
Son nom serait suspect à mon autorité :

Il est du sang français qui régnait à Sclyme;

On sait son droit au trône, et ce droit est un crime:
Du destin qui fait tout tel est l'arrêt cruel;
Si j'eusse été vaincu, je serais criminel.
Lusignan dans les fers finira sa carrière,
Et jamais du soleil ne verra la lumière.
Je le plains, mais pardonne à la nécessité
Ce reste de vengeance et de sévérité.

Pour Zaïre, crois-moi, sans que ton cœur s'offense,
Elle n'est pas d'un prix qui soit en tá puissance;
Tes chevaliers français et tous leurs souverains
S'uniraient vainement pour l'òter de mes mains.
Tu peux partir.

NÉRESTAN.

Qu'entends-je? Elle naquit chrétienne;

J'ai pour la délivrer ta parole et la sienne;
Et quant à Lusignan, ce vieillard malheureux,
Pourrait-il ?...

OROSMANE.

Je t'ai dit, chrétien, que je le veux.
J'honore ta vertu; mais cette humeur altière,
Se faisant estimer, commence à me déplaire :
Sors, et que le soleil levé sur mes États
Demain près du Jourdain ne te retrouve pas.

O Dieu, secourez-nous!

FATIME.

OROSMAN E.

(Nérestan sort.)

Et vous, allez, Zaïre,

Prenez dans le sérail un souverain empire;
Commandez en sultane; et je vais ordonner
La pompe d'un hymen qui vous doit couronner.

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