ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

A cette loi terrible il nous fallut souscrire.
D'une commune voix Thèbe offrit son empire
A l'heureux interprète inspiré par les dieux
Qui nous dévoilerait ce sens mystérieux.
Nos sages, nos vieillards, séduits par l'espérance,
Osèrent, sur la foi d'une vaine science,

Du monstre impénétrable affronter le courroux :
Nul d'eux ne l'entendit; ils expirèrent tous.
Mais OEdipe, héritier du sceptre de Corinthe,
Jeune, et dans l'âge heureux qui méconnaît la crainte,
Guidé par la fortune en ces lieux pleins d'effroi,
Vint, vit ce monstre affreux, l'entendit, et fut roi.
Il vit, il règne encor; mais sa triste puissance
Ne voit que des mourants sous son obéissance.
Hélas! nous nous flattions que ses heureuses mains
Pour jamais à son trône enchaînaient les destins.
Déjà même les dieux nous semblaient plus faciles :
Le monstre en expirant laissait ces murs tranquilles;
Mais la stérilité, sur ce funeste bord,

Bientôt avec la faim nous rapporta la mort.

Les dieux nous ont conduits de supplice en supplice;

La famine a cessé, mais non leur injustice;

Et la contagion, dépeuplant nos États,

Poursuit un faible reste échappé du trépas.

Tel est l'état horrible où les dieux nous réduisent.
Mais vous, heureux guerrier que ces dieux favorisent,
Qui du sein de la gloire a pu vous arracher?
Dans ce séjour affreux que venez-vous chercher ?
PHILOCTÈTE.

J'y viens porter mes pleurs et ma douleur profonde.
Apprends mon infortune et les malheurs du monde.
Mes yeux ne verront plus ce digne fils des dieux,
Cet appui de la terre, invincible comme eux.
L'innocent opprimé perd son dieu tutélaire;
Je pleure mon ami; le monde pleure un père.

Hercule est mort?

DIMAS.

PHILOCTÈTE.

Ami, ces malheureuses mains Ont mis sur le bûcher le plus grand des humains. Je rapporte en ces lieux ses flèches invincibles, Du fils de Jupiter présents chers et terribles;

Je rapporte sa cendre, et viens à ce héros,
Attendant des autels, élever des tombeaux.
Crois-moi, s'il eût vécu, si d'un présent si rare
Le ciel pour les humains eût été moins avare,
J'aurais loin de Jocaste achevé mon destin :
Et, dût ma passion renaître dans mon sein,
Tu ne me verrais point, suivant l'amour pour guide,
Pour servir une femme abandonner Alcide.

DIMAS.

J'ai plaint longtemps ce feu si puissant et si doux :
Il naquit dans l'enfance, il croissait avec vous.
Jocaste, par un père à son hymen forcée,
Au trône de Laius à regret fut placée.
Hélas! par cet hymen qui coûta tant de pleurs,
Les destins en secret préparaient nos malheurs.
Que j'admirais en vous cette vertu suprême,
Ce cœur digne du trône et vainqueur de soi-même!
En vain l'amour parlait à ce cœur agité,

C'est le premier tyran que vous avez dompté.

PHILOCTÈTE.

Il fallut fuir pour vaincre; oui, je te le confesse,
Je luttai quelque temps; je sentis ma faiblesse :
Il fallut m'arracher de ce funeste lieu,

Et je dis à Jocaste un éternel adieu.
Cependant l'univers, tremblant au nom d'Alcide,
Attendait son destin de sa valeur rapide;

A ses divins travaux j'osai m'associer;

Je marchai près de lui, ceint du même laurier.
C'est alors, en effet, que mon âme éclairée
Contre les passions se sentit assurée.

L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux :
Je lisais mon devoir et mon sort dans ses yeux;
Des vertus avec lui je fis l'apprentissage;

Sans endurcir mon cœur, j'affermis mon courage:
L'inflexible vertu m'enchaîna sous sa loi.

Qu'eussé-je été sans lui? rien que le fils d'un roi,
Rien qu'un prince vulgaire, et je serais peut-être
Esclave de mes sens, dont il m'a rendu maître.

DIMAS.

Ainsi donc désormais, sans plainte et sans courroux, Vous reverrez Jocaste et son nouvel époux?

PHILOCTÈTE.

Comment! que dites-vous? un nouvel hyménée...

DIMAS.

OEdipe à cette reine a joint sa destinée.

PHILOCTÈTE.

OEdipe est trop heureux ! je n'en suis point surpris;
Et qui sauva son peuple est digne d'un tel prix :

Le ciel est juste.

DIMAS.

OEdipe en ces lieux va paraître :

Tout le peuple avec lui, conduit par le grand-prêtre,
Vient des dieux irrités conjurer les rigueurs.

PHILOCTÈTE.

Je me sens attendri, je partage leurs pleurs.
O toi, du haut des cieux, veille sur ta patrie;
Exauce en sa faveur un ami qui te prie;

Hercule, sois le dieu de tes concitoyens;

Que leurs vœux jusqu'à toi montent avec les miens!

SCÈNE II.

LE GRAND-PRÊTRE, LE CHOEUR.
La porte du temple s'ouvre, et le grand-prêtre paraît
au milieu du peuple.

PREMIER PERSONNAGE DU CHOEUR.

Esprits contagieux, tyrans de cet empire,

Qui soufflez dans ces murs la mort qu'on y respire,
Redoublez contre nous votre lente fureur,

Et d'un trépas trop long épargnez-nous l'horreur.

SECOND PERSONNAGE.

Frappez, dieux tout-puissants; vos victimes sont prêtes :
O monts, écrasez-nous... Cieux, tombez sur nos têtes!
O mort, nous implorons ton funeste secours !

O mort, viens nous sauver, viens terminer nos jours!
LE GRAND-PRÊTRE.

Cessez, et retenez ces clameurs lamentables,

Faible soulagement aux maux des misérables.

Fléchissons sous un dieu qui veut nous éprouver,

Qui d'un mot peut nous perdre et d'un mot nous sauver. Il sait que dans ces murs la mort nous environne,

Et les cris des Thébains sont montés vers son trône.

Le roi vient. Par ma voix le ciel va lui parler;
Les destins à ses yeux veulent se dévoiler.
Les temps sont arrivés ; cette grande journée
Va du peuple et du roi changer la destinée.

SCÈNE III.

OEDIPE, JOCASTE, LE GRAND-PRÊTRE,
ÉGINE, DIMAS, ARASPE, LE CHOEUR.

CE DIPE.

Peuple qui, dans ce temple apportant vos douleurs,
Présentez à nos dieux des offrandes de pleurs,
Que ne puis-je, sur moi détournant leurs vengeances,
De la mort qui vous suit étouffer les semences!
Mais un roi n'est qu'un homme en ce commun danger,
Et tout ce qu'il peut faire est de le partager.

(Au grand-prêtre.)

Vous, ministre des dieux que dans Thèbe on adore,
Dédaignent-ils toujours la voix qui les implore?
Verront-ils sans pitié finir nos tristes jours?
Ces maîtres des humains sont-ils muets et sourds?
LE GRAND-PRÊTRE.

Roi, peuple, écoutez-moi. Cette nuit, à ma vue,
Du ciel sur nos autels la flamme est descendue ;
L'ombre du grand Laius a paru parmi nous,
Terrible et respirant la haine et le courroux.
Une effrayante voix s'est fait alors entendre:

« Les Thébains de Laïus n'ont point vengé la cendre;

« Le meurtrier du roi respire en ces États,

«Et de son souffle impur infecte vos climats.

« Il faut qu'on le connaisse, il faut qu'on le punisse.

« Peuple, votre salut dépend de son supplice. >>

OEDIPE.

Thébains, je l'avouerai, vous souffrez justement
D'un crime inexcusable un rude châtiment.

Laius vous était cher, et votre négligence
De ses månes sacrés a trahi la vengeance.

Tel est souvent le sort des plus justes des rois !
Tant qu'ils sont sur la terre on respecte leurs lois,
On porte jusqu'aux cieux leur justice suprême :
Adorés de leur peuple, ils sont des dieux eux-même;

Mais, après leur trépas, que sont-ils à vos yeux ?
Vous éteignez l'encens que vous brûliez pour eux;
Et, comme à l'intérêt l'âme humaine est liée,
La vertu qui n'est plus est bientôt oubliée.
Ainsi du ciel vengeur implorant le courroux,
Le sang de votre roi s'élève contre vous.
Apaisons son murmure, et qu'au lieu d'hécatombe
Le sang du meurtrier soit versé sur sa tombe.
A chercher le coupable appliquons tous nos soins.
Quoi! de la mort du roi n'a-t-on pas de témoins?
Et n'a-t-on jamais pu, parmi tant de prodiges,
De ce crime impuni retrouver les vestiges?
On m'avait toujours dit que ce fut un Thébain
Qui leva sur son prince une coupable main.

(A Jocaste.)

Pour moi qui, de vos mains recevant sa couronne,
Deux ans après sa mort ai monté sur son tròne,
Madame, jusqu'ici, respectant vos douleurs,
Je n'ai point rappelé le sujet de vos pleurs;
Et, de vos seuls périls chaque jour alarmée,
Mon âme à d'autres soins semblait être fermée.
JOCASTE.

Seigneur, quand le destin, me réservant à vous,
Par un coup imprévu m'enleva mon époux,
Lorsque, de ses États parcourant les frontières,
Ce héros succomba sous des mains meurtrières,
Phorbas en ce voyage était seul avec lui;
Phorbas était du roi le conseil et l'appui :
Laius, qui connaissait son zèle et sa prudence,
Partageait avec lui le poids de sa puissance.
Ce fut lui qui du prince, à ses yeux massacré,
Rapporta dans nos murs le corps défiguré :
Percé de coups lui-même, il se traînait à peine;
Il tomba tout sanglant aux genoux de sa reine :
«Des inconnus, dit-il, ont porté ces grands coups;
<< Ils ont devant mes yeux massacré votre époux;
<< Ils m'ont laissé mourant; et le pouvoir céleste
« De mes jours malheureux a ranimé le reste. »
Il ne m'en dit pas plus; et mon cœur agité
Voyait fuir loin de lui la triste vérité,
Et peut-être le ciel, que ce grand crime irrite,
Déroba le coupable à ma juste poursuite:

« ÀÌÀü°è¼Ó »