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Peut-être, accomplissant ses décrets éternels,
Afin de nous punir il nous fit criminels.
Le sphinx bientôt après désola cette rive;
A ses seules fureurs Thèbes fut attentive:
Et l'on ne pouvait guère, en un pareil effroi,
Venger la mort d'autrui, quand on tremblait pour soi.

OE DIPE.

Madame, qu'a-t-on fait de ce sujet fidèle?

JOCASTE.

Seigneur, on paya mal son service et son zèle.
Tout l'État en secret était son ennemi:

Il était trop puissant pour n'être point hai;
Et du peuple et des grands la colère insensée
Brûlait de le punir de sa faveur passée.
On l'accusa lui-même, et d'un commun transport
Thèbe entière à grands cris me demanda sa mort :
Et moi, de tous côtés redoutant l'injustice,
Je tremblai d'ordonner sa grâce ou son supplice.
Dans un château voisin conduit secrètement,
Je dérobai sa tête à leur emportement.

Là, depuis quatre hivers, ce vieillard vénérable,
De la faveur des rois exemple déplorable,
Sans se plaindre de moi ni du peuple irrité,
De sa seule innocence attend sa liberté.

CE DIPE.

(A sa suite.)

Madame, c'est assez. Courez; que l'on s'empresse;
Qu'on ouvre sa prison, qu'il vienne, qu'il paraisse.
Moi-même devant vous je veux l'interroger.
J'ai tout mon peuple ensemble et Laïus à venger.
Il faut tout écouter; il faut d'un œil sévère
Sonder la profondeur de ce triste mystère.

Et vous, dieux des Thébains, dieux qui nous exaucez,
Punissez l'assassin, vous qui le connaissez !

Soleil, cache à ses yeux le jour qui nous éclaire!
Qu'en horreur à ses fils, exécrable à sa mère,
Errant, abandonné, proscrit dans l'univers,
Il rassemble sur lui tous les maux des enfers;
Et que son corps sanglant, privé de sépulture,
Des vautours dévorants devienne la pâture!
LE GRAND-PRÊTRE.

A ces serments affreux nous nous unissons tous.

CE DIPE.

Dieux, que le crime seul éprouve enfin vos coups!
Ou si de vos décrets l'éternelle justice
Abandonne à mon bras le soin de son supplice,
Et si vous êtes las enfin de nous hair,
Donnez, en commandant, le pouvoir d'obéir.
Si sur un inconnu vous poursuivez le crime,
Achevez votre ouvrage et nommez la victime.
Vous, retournez au temple; allez, que votre voix
Interroge ces dieux une seconde fois;

Que vos vœux parmi nous les forcent à descendre:
S'ils ont aimé Laius, ils vengeront sa cendre;
Et, conduisant un roi facile à se tromper,

Ils marqueront la place où mon bras doit frapper.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

SCÈNE I.

JOCASTE, ÉGINE, ARASPE, Le Chœur.

ARASPE.

Oui, ce peuple expirant, dont je suis l'interprète,
D'une commune voix accuse Philoctète,

Madame; et les destins, dans ce triste séjour,
Pour nous sauver, sans doute, ont permis son retour.

JOCASTE.

Qu'ai-je entendu, grands dieux !

ÉGINE.

Ma surprise est extrême !...

JOCASTE.

Qui? lui! qui? Philoctète ?

ARASPE.

Oui, madame, lui-même.

A quel autre en effet pourraient-ils imputer

Un meurtre qu'à nos yeux il sembla méditer?

Il haissait Laius, on le sait; et sa haine

Aux yeux de votre époux ne se cachait qu'à peine;
La jeunesse imprudente aisément se trahit;
Son front mal déguisé découvrait son dépit :
J'ignore quel sujet animait sa colère ;

Mais au seul nom du roi, trop prompt et trop sincère
Esclave d'un courroux qu'il ne pouvait dompter,
Jusques à la menace il osa s'emporter :

Il partit; et, depuis, sa destinée errante
Ramena sur nos bords sa fortune flottante.

Même il était dans Thèbe en ces temps malheureux
Que le ciel a marqués d'un parricide affreux :
Depuis ce jour fatal, avec quelque apparence
De nos peuples sur lui tomba la défiance.

Que dis-je? Assez longtemps les soupçons des Thébaina
Entre Phorbas et lui flottèrent incertains:

Cependant ce grand nom qu'il s'acquit dans la guerre,
Ce titre si fameux de vengeur de la terre,

Ce respect qu'aux héros nous portons malgré nous,
Fit taire nos soupçons et suspendit nos coups.

Mais les temps sont changés : Thèbe, en ce jour funeste,
D'un respect dangereux dépouillera le reste;

En vain sa gloire parle à ces cœurs agités,
Les dieux veulent du sang, et sont seuls écoutés.

PREMIER PERSONNAGE DU CHOEUR.

O reine! ayez pitié d'un peuple qui vous aime;
Imitez de ces dieux la justice suprême;

Livrez-nous leur victime; adressez-leur vos vœux

Qui peut mieux les toucher qu'un cœur si digne d'eux ?

JOCASTE.

Pour fléchir leur courroux s'il ne faut que ma vie,

Hélas! c'est sans regret que je la sacrifie.

Thébains, qui me croyez encor quelques vertus,
Je vous offre mon sang: n'exigez rien de plus.
Allez.

SCÈNE II.

JOCASTE, ÉGINE.

ÉGINE.

Que je vous plains!

JOCASTE.

Hélas! je porte envie

A ceux qui dans ces murs ont terminé leur vie.

Quel état! quel tourment pour un cœur vertueux !
ÉGINE.

Il n'en faut point douter, votre sort est affreux !
Ces peuples, qu'un faux zèle aveuglément anime,
Vont bientôt à grands cris demander leur victime.
Je n'ose l'accuser; mais quelle horreur pour vous
Si vous trouvez en lui l'assassin d'un époux !

JOCASTE.

Et l'on ose à tous deux faire un pareil outrage!
Le crime, la bassesse eût été son partage!
Égine, après les nœuds qu'il a fallu briser,
Il manquait à mes maux de l'entendre accuser.
Apprends que ces soupçons irritent ma colère,
Et qu'il est vertueux puisqu'il m'avait su plaire.
ÉGINE.

Cet amour si constant...

JOCASTE.

Ne crois pas que mon cœur

De cet amour funeste ait pu nourrir l'ardeur;

Je l'ai trop combattu. Cependant, chère Égine,

Quoi que fasse un grand cœur où la vertu domine,

On ne se cache point ces secrets mouvements,

De la nature en nous indomptables enfants;

Dans les replis de l'âme ils viennent nous surprendre ; + Ces feux qu'on croit éteints renaissent de leur cendre : Et la vertu sévère, en de si durs combats, Résiste aux passions et ne les détruit pas.

ÉGINE.

Votre douleur est juste autant que vertueuse,
Et de tels sentiments...

JOCASTE.

Que je suis malheureuse! Tu connais, chère Égine, et mon cœur et mes maux; J'ai deux fois de l'hymen allumé les flambeaux; Deux fois, de mon destin subissant l'injustice, J'ai changé d'esclavage, ou plutôt de supplice; Et le seul des mortels dont mon cœur fut touché A mes vœux pour jamais devait être arraché. Pardonnez-moi, grands dieux, ce souvenir funeste;

D'un feu que j'ai dompté c'est le malheureux reste.
Égine, tu nous vis l'un de l'autre charmés,

Tu vis nos nœuds rompus aussitôt que formés :
Mon souverain m'aima, m'obtint malgré moi-même;
Mon front chargé d'ennuis fut ceint du diadème;
Il fallut oublier dans ses embrassements

Et mes premiers amours, et mes premiers serments.
Tu sais qu'à mon devoir tout entière attachée,
J'étouffai de mes sens la révolte cachée;

Que, déguisant mon trouble et dévorant mes pleurs, Je n'osais à moi-même avoue mes douleurs...

ÉGINE.

Comment donc pouviez-vous du joug de l'hyménée
Une seconde fois tenter la destinée ?

Hélas!

Parle.

JOCASTE.

ÉGINE.

M'est-il permis de ne vous rien cacher?

JOCASTE.

ÉGINE.

OEdipe, madame, a paru vous toucher;

Et votre cœur, du moins sans trop de résistance,
De vos États sauvés donna la récompense.

Ah! grands dieux!

JOCASTE.

ÉGINE.

Était-il plus heureux que Laius,

Ou Philoctète absent ne vous touchait-il plus?
Entre ces deux héros étiez-vous partagée ?

JOCASTE.

Par un monstre cruel Thèbe alors ravagée
A son libérateur avait promis ma foi;
Et le vainqueur du sphinx était digne de moi.
ÉGINE.

Vous l'aimiez ?

JOCASTE.

Je sentis pour lui quelque tendresse ; Mais que ce sentiment fut loin de la faiblesse ! Ce n'était point, Égine, un feu tumultueux, De mes sens enchantés enfant impétueux; Je ne reconnus point cette brûlante flamme

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