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PHILOCTÈTE.

Si vous n'aviez, seigneur, à craindre que des rois,
Philoctete avec vous combattrait sous vos lois;
Mais un prêtre est ici d'autant plus redoutable
Qu'il vous perce à nos yeux par un trait respectable
Fortement appuyé sur des oracles vains,

Un pontife est souvent terrible aux souverains;
Et, dans son zèle aveugle, un peuple opiniâtre,
De ses liens sacrés imbécile idolâtre,

Foulant par piété les plus saintes des lois,
Croit honorer les dieux en trahissant ses rois;
Surtout quand l'intérêt, père de la licence,
Vient de leur zèle impie enhardir l'insolence.

OEDIPE.

Ah! seigneur, vos vertus redoublent mes douleurs :
La grandeur de votre âme égale mes malheurs ;
Accablé sous le poids du soin qui me dévore,
Vouloir me soulager, c'est m'accabler encore.
Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur?
Quel crime ai-je commis? Est-il vrai, dieu vengeur?

JOCASTE.

Seigneur, c'en est assez, ne parlons plus de crime;

A ce peuple expirant il faut une victime;
Il faut sauver l'État, et c'est trop différer.
Épouse de Laius, c'est à moi d'expirer :

C'est à moi de chercher sur l'infernale rive
D'un malheureux époux l'ombre errante et plaintive;
De ses mânes sanglants j'apaiserai les cris;
J'irai... Puissent les dieux, satisfaits à ce prix,
Contents de mon trépas, n'en point exiger d'autre,
Et que mon sang versé puisse épargner le vôtre !

OEDIPE.

Vous mourir! vous, madame! ah! n'est-ce point assez
De tant de maux affreux sur ma tête amassés ?
Quittez, reine, quittez ce langage terrible;
Le sort de votre époux est déjà trop horrible,
Sans que, de nouveaux traits venant me déchirer,
Vous me donniez encor votre mort à pleurer.
Suivez mes pas, rentrons; il faut que j'éclaircisse
Un soupçon que je forme avec trop de justice.
Venez.

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Non, quoi que vous disiez, mon âme inquiétée
De soupçons importuns n'est pas moins agitée.
Le grand-prêtre me gêne, et, prêt à l'excuser,
Je commence en secret moi-même à m'accuser.
Sur tout ce qu'il m'a dit, plein d'une horreur extrême,
Je me suis en secret interrogé moi-même;

Et mille événements de mon âme effacés
Se sont offerts en foule à mes esprits glacés.
Le passé m'interdit, et le présent m'accable;
Je lis dans l'avenir un sort épouvantable :
Et le crime partout semble suivre mes pas.

JOCASTE.

Eh quoi! votre vertu ne vous rassure pas!
N'êtes-vous pas enfin sûr de votre innocence?

OE DIPE.

On est plus criminel quelquefois qu'on ne pense.

JOCASTE.

Ah! d'un prêtre indiscret dédaignant les fureurs,
Cessez de l'excuser par ces lâches terreurs.

OE DIPE.

Au nom du grand Laïus et du courroux céleste,

Quand Laius entreprit ce voyage funeste,
Avait-il près de lui des gardes, des soldats?

JOCASTE.

Je vous l'ai déjà dit, un seul suivait ses pas.

Un seul homme?

CE DIPE.

JOCASTE.

Ce roi, plus grand que sa fortune, Dédaignait comme vous une pompe importune; On ne voyait jamais marcher devant son char D'un bataillon nombreux le fastueux rempart; Au milieu des sujets soumis à sa puissance, Comme il était sans crainte, il marchait sans défense; Par l'amour de son peuple il se croyait gardé.

OE DIPE.

O héros, par le ciel aux mortels accordé,
Des véritables rois exemple auguste et rare!
OEdipe a-t-il sur toi porté sa main barbare?
Dépeignez-moi du moins ce prince malheureux.

JOCASTE.

Puisque vous rappelez un souvenir fâcheux,
Malgré le froid des ans, dans sa mâle vieillesse,
Ses yeux brillaient encor du feu de sa jeunesse ;
Son front cicatrisé sous ses cheveux blanchis
Imprimait le respect aux mortels interdits;
Et si j'ose, seigneur, dire ce que j'en pense,
Laius eut avec vous assez de ressemblance;
Et je m'applaudissais de retrouver en vous,
Ainsi que les vertus, les traits de mon époux.
Seigneur, qu'a ce discours qui doive vous surprendre?

OE DIPE.

J'entrevois des malheurs que je ne puis comprendre :
Je crains que par les dieux le pontife inspiré

Sur mes destins affreux ne soit trop éclairé.
Moi, j'aurais massacré !... Dieux ! serait-il possible?

JOCASTE.

Cet organe des dieux est-il donc infaillible?

Un ministère saint les attache aux autels :
Ils approchent des dieux, mais ils sont des mortels.
Pensez-vous qu'en effet au gré de leur demande
Du vol de leurs oiseaux la vérité dépende?
Que sous un fer sacré des taureaux gémissants

Dévoilent l'avenir à leurs regards perçants,
Et que de leurs festons ces victimes ornées
Des humains dans leurs flancs portent les destinées ?
Non, non chercher ainsi l'obscure vérité,

C'est usurper les droits de la divinité.

Nos prêtres ne sont point ce qu'un vain peuple pense; Notre crédulité fait toute leur science.

OEDIPE.

Ah dieux! s'il était vrai, quel serait mon bonheur!

JOCASTE.

Seigneur, il est trop vrai; croyez-en ma douleur.
Comme vous autrefois pour eux préoccupée,
Hélas! pour mon malheur, je suis bien détrompée,
Et le ciel me punit d'avoir trop écouté
D'un oracle imposteur la fausse obscurité.
Il m'en coûta mon fils. Oracles que j'abhorre!
Sans vos ordres, sans vous, mon fils vivrait encore.

CE DIPE.

Votre fils! par quel coup l'avez-vous donc perdu?
Quel oracle sur vous les dieux ont-ils rendu ?

JOCASTE.

Apprenez, apprenez, dans ce péril extrême,
Ce que j'aurais voulu me cacher à moi-même
Et d'un oracle faux ne vous alarmez plus.
Seigneur, vous le savez, j'eus un fils de Laius.
Sur le sort de mon fils ma tendresse inquiète
Consulta de nos dieux la fameuse interprète.
Quelle fureur, hélas! de vouloir arracher
Des secrets que le sort a voulu nous cacher!
Mais enfin j'étais mère, et pleine de faiblesse;
Je me jetai craintive aux pieds de la prêtresse .
Voici ses propres mots, j'ai dû les retenir :
Pardonnez si je tremble à ce seul souvenir.
<< Ton fils tuera son père, et ce fils sacrilége,
<< Inceste et parricide... » O dieux! achèverai-je?

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Enfin, seigneur, on me prédit

Que mon fils, que ce monstre entrerait dans mon lit; Que je le recevrais, moi, seigneur, moi sa mère, Dégouttant dans mes bras du meurtre de son père;

Et que, tous deux unis par ces liens affreux,
Je donnerais des fils à mon fils malheureux.
Vous vous troublez, seigneur, à ce récit funeste;
Vous craignez de m'entendre et d'écouter le reste.

OE DIPE.

Ah! madame, achevez: dites, que fites-vous
De cet enfant, l'objet du céleste courroux?

JOCASTE.

Je crus les dieux, seigneur; et, saintement cruelle,
J'étouffai pour mon fils mon amour maternelle.
En vain de cet amour l'impérieuse voix

S'opposait à nos dieux, et condamnait leurs lois;
Il fallut dérober cette tendre victime

Au fatal ascendant qui l'entraînait au crime,
Et, pensant triompher des horreurs de son sort,
J'ordonnai par pitié qu'on lui donnât la mort.
O pitié criminelle autant que malheureuse!
O d'un oracle faux obscurité trompeuse!
Quel fruit me revient-il de mes barbares soins?
Mon malheureux époux n'en expira pas moins;
Dans le cours triomphant de ses destins prospères
Il fut assassiné par des mains étrangères :
Ce ne fut point son fils qui lui porta ces coups;
Et j'ai perdu mon fils sans sauver mon époux!

Que cet exemple affreux puisse au moins vous instruire!
Bannissez cet effroi qu'un prêtre vous inspire;
Profitez de ma faute, et calmez vos esprits.

OE DIPE.

Après le grand secret que vous m'avez appris,
Il est juste à mon tour que ma reconnaissance
Fasse de' mes destins l'horrible confidence.
Lorsque vous aurez su, par ce triste entretien,
Le rapport effrayant de votre sort au mien,
Peut-être, ainsi que moi, frémirez-vous de crainte.
Le destin m'a fait naître au trône de Corinthe:
Cependant de Corinthe et du trône éloigné
Je vois avec horreur les lieux où je suis né.
Un jour, ce jour affreux, présent à ma pensée,
Jette encor la terreur dans mon âme glacée;
Pour la première fois, par un don solennel,
Mes mains jeunes encore enrichissaient l'autel :
Du temple tout à coup les combles s'entr'ouvrirent;

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