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De traits affreux de sang les marbres se couvrirent;
De l'autel ébranlé par de longs tremblements
Une invisible main repoussait mes présents;
Et les vents, au milieu de la foudre éclatante,
Portèrent jusqu'à moi cette voix effrayante:
<< Ne viens plus des lieux saints souiller la pureté ;
« Du nombre des vivants les dieux t'ont rejeté;
<<< Ils ne reçoivent point tes offrandes impies;
« Va porter tes présents aux autels des furies;
« Conjure leurs serpents prêts à te déchirer;
<< Va, ce sont là les dieux que tu dois implorer. »
Tandis qu'à la frayeur j'abandonnais mon âme,
Cette voix m'annonça, le croiriez-vous, madame ?
Tout l'assemblage affreux des forfaits inouïs
Dont le ciel autrefois menaça votre fils,
Me dit que je serais l'assassin de mon père.

JOCASTE.

Ah dieux !

OEDIPE.

Que je serais le mari de ma mère.

JOCASTE.

Où suis-je? Quel démon en unissant nos cœurs,
Cher prince, a pu dans nous rassembler tant d'horreurs?

OEDIPE.

Il n'est pas encor temps de répandre des larmes :
Vous apprendrez bientôt d'autres sujets d'alarmes.
Écoutez-moi, madame, et vous allez trembler.

Du sein de ma patrie il fallut m'exiler.

Je craignis que ma main, malgré moi criminelle,
Aux destins ennemis ne fût un jour fidèle;
Et suspect à moi-même, à moi-même odieux,
Ma vertu n'osa point lutter contre les dieux.
Je m'arrachai des bras d'une mère éplorée;
Je partis, je courus de contrée en contrée;
Je déguisai partout ma naissance et mon nom :
Un ami, de mes pas fut le seul compagnon.
Dans plus d'une aventure, en ce fatal voyage,
Le dieu qui me guidait seconda mon courage:
Heureux si j'avais pu, dans l'un de ces combats,
Prévenir mon destin par un noble trépas!
Mais je suis réservé sans doute au parricide.
Enfin je me souviens qu'aux champs de la Phocide

(Et je ne conçois pas par quel enchantement
J'oubliais jusqu'ici ce grand événement;

La main des dieux sur moi si longtemps suspendue
Semble ôter le bandeau qu'ils mettaient sur ma vue),
Dans un chemin étroit je trouvai deux guerriers
Sur un char éclatant que traînaient deux coursiers :
Il fallut disputer, dans cet étroit passage,
Des vains honneurs du pas le frivole avantage.
J'étais jeune et superbe, et nourri dans un rang
Où l'on puisa toujours l'orgueil avec le sang.
Inconnu, dans le sein d'une terre étrangère,
Je me croyais encore au trône de mon père ;
Et tous ceux qu'à mes yeux le sort venait offrir
Me semblaient mes sujets, et faits pour m'obéir.
Je marche donc vers eux, et ma main furieuse
Arrête des coursiers la fougue impétueuse;
Loin du char à l'instant ces guerriers élancés
Avec fureur sur moi fondent à coups pressés.
La victoire entre nous ne fut point incertaine :
Dieux puissants! je ne sais si c'est faveur ou haine,
Mais sans doute pour moi contre eux vous combattiez;
Et l'un et l'autre enfin tombèrent à mes pieds.
L'un d'eux, il m'en souvient, déjà glacé par l'âge,
Couché sur la poussière, observait mon visage;
Il me tendit les bras, il voulut me parler;
De ses yeux expirants je vis des pleurs couler;
Moi-même en le perçant, je sentis dans mon âme,
Tout vainqueur que j'étais... Vous frémissez, madame.

JOCASTE.

Seigneur, voici Phorbas. on le conduit ici.

OEDIPE.

Hélas! mon doute affreux va donc être éclairci!

SCÈNE II.

OEDIPE, JOCASTE, PHORBAS, SUITE.

CE DIPE.

Viens, malheureux vieillard, viens, approche... A sa vue, D'un trouble renaissant je sens mon âme émue;

Un confus souvenir vient encor m'affliger;

Je tremble de le voir et de l'interroger.

PHORBAS.

Eh bien! est-ce aujourd'hui qu'il faut que je périsse ?
Grande reine, avez-vous ordonné mon supplice?
Vous ne fûtes jamais injuste que pour moi.

JOCASTE.

Rassurez-vous, Phorbas, et répondez au roi.

Au roi!

PHORBAS.

JOCASTE.

C'est devant lui que je vous fais paraître.

PHORBAS.

O dieux! Laius est mort, et vous êtes mon maître!

Vous, seigneur?

OE DIPE.

Épargnons les discours superflus :

Tu fus le seul témoin du meurtre de Laius;
Tu fus blessé, dit-on, en voulant le défendre.

PHORBAS.

Seigneur, Laïus est mort, laissez en paix sa cendre; N'insultez pas du moins au malheureux destin D'un fidèle sujet blessé de votre main.

Je t'ai blessé? qui, moi?

OE DIPE.

PHORBA S.

Contentez votre envie;

Achevez de m'ôter une importune vie;

Seigneur, que votre bras, que les dieux ont trompé,
Verse un reste de sang qui vous est échappé;
Et puisqu'il vous souvient de ce sentier funeste
Où mon roi...

OE DIPE.

Malheureux! épargne-moi le reste; J'ai tout fait, je le vois, c'en est assez. O dieux, Enfin après quatre ans vous dessillez mes yeux!

Hélas! il est donc vrai!

JOCASTE.

OE DIPE.

Quoi! c'est toi que ma rage

Attaqua vers Daulis en cet étroit passage?
Oui, c'est toi vainement je cherche à m'abuser;
Tout parle contre moi, tout sert à m'accuser;
Et mon œil étonné ne peut te méconnaître.

PHORBAS.

Il est vrai, sous vos coups j'ai vu tomber mon maître; Vous avez fait le crime, et j'en fus soupçonné;

J'ai vécu dans les fers, et vous avez régné.

OE DIPE.

Va, bientôt à mon tour je me rendrai justice;
Va, laisse-moi du moins le soin de mon supplice :
Laisse-moi, sauve-moi de l'affront douloureux
De voir un innocent que j'ai fait malheureux.

SCÈNE III.

OEDIPE, JOCASTE.

OE DIPE.

Jocaste... car enfin la fortune jalouse
M'interdit à jamais le tendre nom d'épouse.
Vous voyez mes forfaits: libre de votre foi,
Frappez, délivrez-vous de l'horreur d'être à moi.

Hélas!

JOCASTE.

OEDIPE.

Prenez ce fer, instrument de ma rage;

Qu'il vous serve aujourd'hui pour un plus juste usage; Plongez-le dans mon sein.

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O trop funeste hymen! ô feux jadis si doux!

JOCASTE.

Ils ne sont point éteints; vous êtes mon époux.

OEDIPE.

Non, je ne le suis plus; et ma main ennemie
N'a que trop bien rompu le saint nœud qui nous lie.
Je remplis ces climats du malheur qui me suit,
Redoutez-moi, craignez le dieu qui me poursuit;
Ma timide vertu ne sert qu'à me confondre,
Et de moi désormais je ne puis plus répondre.
Peut-être de ce dieu partageant le courroux,
L'horreur de mon destin s'étendrait jusqu'à vous;
Ayez du moins pitié de tant d'autres victimes;
Frappez, ne craignez rien, vous m'épargnez des crimes.

JOCASTE.

Ne vous accusez point d'un destin si cruel;

Vous êtes malheureux, et non pas criminel:
Dans ce fatal combat que Daulis vous vit rendre,
Vous ignoriez quel sang vos mains allaient répandre;
Et, sans trop rappeler cet affreux souvenir,

Je ne puis que me plaindre, et non pas vous punir.
Vivez...

OEDIPE.

Moi, que je vive! il faut que je vous fuie.

Hélas! où traînerai-je une mourante vie?

Sur quels bords malheureux, en quels tristes climats,
Ensevelir l'horreur qui s'attache à mes pas?

Irai-je, errant encore, et me fuyant moi-même,
Mériter par le meurtre un nouveau diadème?
Irai-je dans Corinthe, où mon triste destin

A des crimes plus grands réserve encor ma main?
Corinthe! que jamais ta détestable rive...

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