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FANIE, suivante d'Aménaïde.

PLUSIEURS CHEVALIERS, assistant au conseil.
ÉCUYERS, SOLDATS, PEUPLE.

La scène est à Syracuse, d'abord dans le palais d'Argire et dans une salle du conseil, ensuite dans la place publique sur laquelle cette salle est construite. L'époque de l'action est de l'année 1005. Les Sarrasins d'Afrique avaient conquis toute la Sicile au 1xe siècle; Syracuse avait secoué leur joug. Des gentilshommes normands commencèrent à s'établir vers Salerne, dans la Pouille. Les empereurs grecs possédaient Messine; les Arabes tenaient Palerne et Agrigente

TANCREDE

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

ASSEMBLÉE DES CHEVALIERS rangés en demi-cercle.

ARGIRE.

Illustres chevaliers, vengeurs de la Sicile,

Qui daignez, par égard au déclin de mes ans,
Vous assembler chez moi pour chasser nos tyrans,
Et former un état triomphant et tranquille;
Syracuse en ses murs a gémi trop longtemps
Des desseins avortés d'un courage inutile.

Il est temps de marcher à ces fiers musulmans,

Il est temps de sauver d'un naufrage funeste

Le plus grand de nos biens, le plus cher qui nous reste,
Le droit le plus sacré des mortels généreux,
La liberté c'est là que tendent tous nos vœux.
Deux puissants ennemis de notre république,
Des droits des nations, du bonheur des humains,
Les Césars de Byzance, et les fiers Sarrasins,
Nous menacent encor de leur joug tyrannique.
Ces despotes altiers, partageant l'univers,

Se disputent l'honneur de nous donner des fers.
Le Grec a sous ses lois les peuples de Messine;
Le hardi Solamir insolemment domine
Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna,
Dans les murs d'Agrigente, aux campagnes d'Enna;
Et tout de Syracuse annonçait la ruine.

Mais nos communs tyrans, l'un de l'autre jaloux,

Armés pour nous détruire, ont combattu pour nous;
Ils ont perdu leur force en disputant leur proie.
A notre liberté le ciel ouvre une voie ;
Le moment est propice, il en faut profiter.

La grandeur musulmane est à son dernier âge;
On commence en Europe à la moins redouter.
Dans la France un Martel, en Espagne un Pélage,
Le grand Léon1 dans Rome armé d'un saint courage,
Nous ont assez appris comme on peut la dompter.
Je sais qu'aux factions Syracuse livrée

N'a qu'une liberté faible et mal assurée.

Je ne veux point ici vous rappeler ces temps
Où nous tournions sur nous nos armes criminelles,
.Où l'Etat répandait le sang de ses enfants.
Étouffons dans l'oubli nos indignes querelles.
Orbassan, qu'il ne soit qu'un parti parmi nous,
Celui du bien public, et du salut de tous.
Que de notre union l'État puisse renaître;
Et, si de nos égaux nous fûmes trop jaloux,
Vivons et périssons sans avoir eu de maître.

ORBASSAN.

Argire, il est trop vrai que les divisions

Ont régné trop longtemps entre nos deux maisons:
L'État en fut troublé; Syracuse n'aspire

Qu'à voir les Orbassans unis au sang d'Argire.
Aujourd'hui l'un par l'autre il faut nous protéger.

1. Par le grand Léon, M. de Voltaire entend Léon IV, et non le pape Léon Ier, connu dans les cloîtres sous le nom de saint Léon, de Léon le Grand. Ce saint Léon est le premier pape qui ait approuvé le supplice des hérétiques. Il dit dans ses lettres que le tyran Maxime, en punissant de mort Priscillien, a rendu un grand service à l'Église; et il poursuivit avec violence ce qui restait de priscillianistes en Espagne. Les légendaires racontent qu'un jour une femme lui ayant baisé la main, il sentit un mouvement de concupiscence, qu'en conséquence il se coupa la main. Mais la Vierge la lui rendit quelques jours après, afin qu'il pût célébrer la messe. C'est depuis ce temps qu'on baise les pieds du pape, attendu que, le pied étant enveloppé dans une pantoufle, le saintpère court moins de risque d'être obligé de se le couper. On sent bien que ce n'est pas à ce pape que M. de Voltaire a pu donner le nom de grand. D'ailleurs saint Léon vivait plusieurs siècles avant l'époque où la tragédie de Tancrède est placée.

En citoyen zélé j'accepte votre fille;
Je servirai l'État, vous, et votre famille;
Et du pied des autels, où je vais m'engager,
Je marche à Solamir, et je cours vous venger.
Mais ce n'est pas assez de combattre le Maure;
Sur d'autres ennemis il faut jeter les yeux :
Il fut d'autres tyrans non moins pernicieux,
Que peut-être un vil peuple ose chérir encore.

De quel droit les Français, portant partout leurs pas, Se sont-ils établis dans nos riches climats?

De quel droit un Coucy1 vint-il dans Syracuse,
Des rives de la Seine au bord de l'Aréthuse?
D'abord modeste et simple, il voulut nous servir;
Bientôt fier et superbe, il se fit obéir.

Sa race, accumulant d'immenses héritages,
Et d'un peuple ébloui maîtrisant les suffrages,
Osa sur ma famille élever sa grandeur.

Nous l'en avons punie, et, malgré sa faveur,
Nous voyons ses enfants bannis de nos rivages.
Tancrède2, un rejeton de ce sang dangereux,
Des murs de Syracuse éloigné dès l'enfance,
A servi, nous dit-on, les Césars de Byzance:
Il est fier, outragé, sans doute valeureux;

Il doit hair nos lois, il cherche la vengeance.

Tout Français est à craindre on voit même en nos jours
Trois simples écuyers 3, sans bien et sans secours,
Sortis des flancs glacés de l'humide Neustrie",

Aux champs apuliens se faire une patrie;

Et, n'ayant pour tous droits que celui des combats,
Chasser les possesseurs, et fonder des États.
Grecs, Arabes, Français, Germains, tout nous dévore;
Et nos champs, malheureux par leur fécondité,
Appellent l'avarice et la rapacité

Des brigands du Midi, du Nord, et de l'Aurore.

1. Un seigneur de Coucy s'établit en Sicile du temps de Charles

le Chauve.

2. Ce n'est pas Tancrède de Hauteville, qui n'alla en Italie que quelque temps après.

3. Les premiers Normands qui passèrent dans la Pouille, Drogon, Bateric, et Ripostel.

4. La Normandie.

5. Le pays de Naples.

Nous devons nous défendre ensemble et nous venger.
J'ai vu plus d'une fois Syracuse trahie;
Maintenons notre loi que rien ne doit changer;
Elle condamne à perdre et l'honneur et la vie
Quiconque entretiendrait avec nos ennemis
Un commerce secret, fatal à son pays.
A l'infidélité l'indulgence encourage.
On ne doit épargner ni le sexe ni l'âge.
Venise ne fonda sa fière autorité

Que sur la défiance et la sévérité :
Imitons sa sagesse en perdant les coupables.
LOREDAN.

Quelle honte, en effet, dans nos jours déplorables,
Que Solamir, un Maure, un chef des musulmans,
Dans la Sicile encore ait tant de partisans!
Que partout dans cette île et guerrière et chrétienne,
Que même parmi nous Solamir entretienne
Des sujets corrompus, vendus à ses bienfaits
Tantôt chez les Césars occupé de nous nuire,
Tantôt dans Syracuse ayant su s'introduire,
Nous préparant la guerre et nous offrant la paix,
Et pour nous désunir soigneux de nous séduire!
Un sexe dangereux, dont les faibles esprits
D'un peuple encor plus faible attirent les hommages,
Toujours des nouveautés et des héros épris,
A ce Maure imposant prodigua ses suffrages.
Combien de citoyens, aujourd'hui prévenus
Pour ces arts séduisants que l'Arabe cultive1;
Arts trop pernicieux, dont l'éclat les captive,
A nos vrais chevaliers noblement inconnus!

Que notre art soit de vaincre, et je n'en veux point d'autre.
J'espère en ma valeur, j'attends tout de la vôtre;

Et j'approuve surtout cette sévérité

Vengeresse des lois et de la liberté.

Pour détruire l'Espagne il a suffi d'un traître 2:

Il en fut parmi nous; chaque jour en voit naître.
Mettons un frein terrible à l'infidélité;

Au salut de l'État que toute pitié cède;

1. En ce temps les Arabes cultivaient seuls les sciences en Occident; et ce sont eux qui fondèrent l'école de Salerne.

2. Le comte Julien, ou l'archevêque Opas.

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