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dissertation polémique. Voilà comme les gens de lettres devraient se combattre; voilà comme ils en useraient, s'ils avaient été à votre école; mais ils sont d'ordinaire plus mordants que des avocats, et plus emportés que des jansénistes. Les lettres humaines sont devenues très-inhumaines; on injurie, on cabale, on calomnie, on fait des couplets. Il est plaisant qu'il soit permis de dire aux gens par écrit ce qu'on n'oserait pas leur dire en face! Vous m'avez appris, mon cher père, à fuir ces bassesses, et à savoir vivre comme à savoir écrire.

Les Muses, filles du ciel,

Sont des sœurs sans jalousie :
Elles vivent d'ambroisie,

Et non d'absinthe et de fiel;

Et quand Jupiter appelle

Leur assemblée immortelle

Aux fêtes qu'il donne aux dieux
Il défend que le Satyre
Trouble les sons de leur lyre

Par ses sons audacieux.

Adieu, mon cher et révérend père : je suis pour jamais à vous et aux vôtres, avec la tendre reconnaissance que je vous dois, et que ceux qui ont été élevés par vous ne conservent pas toujours, etc.

A Paris, le 7 janvier 1729.

LETTRE

AU PÈRE PORÉE, JÉSUITE.

Je vous envoie, mon cher père1, la nouvelle édition qu'on vient de faire de la tragédie d'OEdipe. J'ai eu soin d'effacer, autant que je l'ai pu, les couleurs fades d'un amour déplacé, que j'avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce sujet exige.

Je veux d'abord que vous sachiez, pour ma justification, que, tout jeune que j'étais quand je fis l'OEdipe, je le composai à peu près tel que vous le voyez aujourd'hui : j'étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théâtre de Paris; je travaillai à peu près comme si j'avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier, qui était du pays: il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes, à la manière des Grecs. C'était me conseiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J'eus bien de la peine seulement à obtenir que les comédiens de Paris voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce : j'en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour.

1. Cette lettre a été trouvée dans les papiers du père Porée, après sa mort.

que dans tous les préceptes de l'abbé d'Aubignac : Sévère et Pauline sont les véritables maîtres de l'art. Tant de livres faits sur la peinture par des connaisseurs n'instruiront pas tant un élève que la seule vue d'une tête de Raphaël.

Les principes de tous les arts qui dépendent de l'imagination sont tous aisés et simples, tous puisés dans la nature et dans la raison. Les Pradon et les Boyer les ont connus aussi bien que les Corneille et les Racine : la différence n'a été et ne sera jamais que dans l'application. Les auteurs d'Armide et d'Issé, et les plus mauvais compositeurs, ont eu les mêmes règles de musique. Le Poussin a travaillé sur les mêmes principes que Vignon. Il paraît donc aussi inutile de parler de règles à la tête d'une tragédie, qu'il le serait à un peintre de prévenir le public par des dissertations sur ses tableaux, ou à un musicien de vouloir démontrer que sa musique doit plaire.

Mais, puisque M. de La Motte veut établir des règles toutes contraires à celles qui ont guidé nos grands maîtres, il est juste de défendre ces anciennes lois, non pas parce qu'elles sont anciennes, mais parce qu'elles sont bonnes et nécessaires, et qu'elles pourraient avoir dans un homme de son mérite un adversaire redoutable.

DES TROIS UNITÉS.

M. de La Motte veut d'abord proscrire l'unité d'action, de lieu, et de temps.

Les Français sont les premiers d'entre les nations modernes qui ont fait revivre ces sages règles du théâtre : les autres peuples ont été longtemps sans vouloir recevoir un joug qui paraissait si sévère; mais comme ce joug était juste, et que la raison triomphe enfin de tout, ils s'y sont soumis avec le temps. Aujourd'hui même, en Angleterre, les auteurs affectent d'avertir au devant de leurs pièces que la durée de l'action est égale à celle de la représentation;

et ils vont plus loin que nous, qui en cela avons été leurs maîtres. Toutes les nations commencent à regarder comme barbares les temps où cette pratique était ignorée des plus grands génies, tels que don Lope de Vega et Shakespeare; elles avouent même l'obligation qu'elles nous ont de les avoir retirées de cette barbarie : faut-il qu'un Français se serve aujourd'hui de tout son esprit pour nous y ramener? Quand je n'aurais autre chose à dire à M. de La Motte, sinon que MM. Corneille, Racine, Molière, Addison, Congrève, Maffei, ont tous observé les lois du théâtre, c'en serait assez pour devoir arrêter quiconque voudrait les violer: mais M. de La Motte mérite qu'on le combatte par des raisons plus que par des autorités.

Qu'est-ce qu'une pièce de théâtre? La représentation d'une action. Pourquoi d'une seule, et non de deux ou trois? C'est que l'esprit humain ne peut embrasser plusieurs objets à la fois; c'est que l'intérêt qui se partage s'anéantit bientôt; c'est que nous sommes choqués de voir, même dans un tableau, deux événements; c'est qu'enfin la nature seule nous a indiqué ce précepte, qui doit être invariable comme elle. Par la même raison, l'unité de lieu est essentielle; car une seule action ne peut se passer en plusieurs lieux à la fois. Si les personnages que je vois sont à Athènes au premier acte, comment peuvent-ils se trouver en Perse au second? M. Le Brun a-t-il peint Alexandre Arbelles et dans les Indes sur la même toile? « Je ne serais pas étonné, dit adroitement M. de La Motte, qu'une nation sensée, mais moins amie des règles, s'accommodât de voir Coriolan condamné à Rome au premier acte, reçu chez les Volsques au troisième, et assiégeant Rome au quatrième, » etc. Premièrement, je ne conçois point qu'un peuple sensé et éclairé ne fût pas ami de règles toutes puisées dans le bon sens, et toutes faites pour son plaisir. Secondement, qui ne sent que voilà trois tragédies, et qu'un pareil projet, fût-il exécuté même en beaux vers, ne serait jamais qu'une pièce de Jodelle ou de Hardy, versifiée par un moderne habile?

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