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Quant au malheureux sang d'un tyran odieux,
Malgré la juste horreur que j'ai pour sa famille,
Le sénat à mes soins a confié sa fille ;

Elle n'a point ici de ces respects flatteurs
Qui des enfants des rois empoisonnent les cœurs;
Elle n'a point trouvé la pompe et la mollesse
Dont la cour des Tarquins enivra sa jeunesse;
Mais je sais ce qu'on doit de bontés et d'honneur
A son sexe, à son âge, et surtout au malheur.
Dès ce jour, en son camp que Tarquin la revoie;
Mon cœur même en conçoit une secrète joie :
Qu'aux tyrans désormais rien ne reste en ces lieux
Que la haine de Rome et le courroux des dieux.
Pour emporter au camp l'or qu'il faut y conduire,
Rome vous donne un jour; ce temps doit vous suffire
Ma maison cependant est votre sûreté;

Jouissez-y des droits de l'hospitalité.

Voilà ce que par moi le sénat vous annonce.
Ce soir à Porsenna rapportez ma réponse;
Reportez-lui la guerre, et dites à Tarquin
Ce que vous avez vu dans le sénat romain.
(Aux sénateurs.)

Et nous, du Capitole allons orner le faîte

Des lauriers dont mon fils vient de ceindre sa tête;
Suspendons ces drapeaux et ces dards tout sanglants
Que ses heureuses mains ont ravis aux Toscans.
Ainsi puisse toujours, plein du même courage,
Mon sang, digne de vous, vous servir d'âge en âge!
Dieux, protégez ainsi contre nos ennemis

Le consulat du père et les armes du fils!

SCÈNE III.

ARONS, ALBIN, qui sont supposés être entrés de la salle d'audience dans un autre appartement de la maison de Brutus.

ARONS.

As-tu bien remarqué cet orgueil inflexible,
Cet esprit d'un sénat qui se croit invincible?
Il le serait, Albin, si Rome avait le temps
D'affermir cette audace au cœur de ses enfants.

Crois-moi la liberté, que tout mortel adore,
Que je veux leur ôter, mais que j'admire encore,
Donne à l'homme un courage, inspire une grandeur,
Qu'il n'eût jamais trouvés dans le fond de son cœur.
Sous le joug des Tarquins, la cour et l'esclavage
Amollissaient leurs mœurs, énervaient leur courage;
Leurs rois, trop occupés à dompter leurs sujets,
De nos heureux Toscans ne troublaient point la paix:
Mais si ce fier sénat réveille leur génie,

Si Rome est libre, Albin, c'est fait de l'Italie.
Ces lions, que leur maître avaient rendus plus doux,
Vont reprendre leur rage et s'élancer sur nous.
Étouffons dans leur sang la semence féconde
Des maux de l'Italie et des troubles du monde;
Affranchissons la terre et donnons aux Romains
Ces fers qu'ils destinaient au reste des humains.
Messala viendra-t-il? Pourrai-je ici l'entendre?
Osera-t-il?...

ALBIN.

Seigneur, il doit ici se rendre;
A toute heure il y vient: Titus est son appui.

ARONS.

As-tu pu lui parler? puis-je compter sur lui?

ALBIN.

Seigneur, ou je me trompe, ou Messala conspire
Pour changer ses destins plus que ceux de l'empire:
Il est ferme, intrépide, autant que si l'honneur

Ou l'amour du pays excitait sa valeur;
Maître de son secret, et maître de lui-même,
Impénétrable et calme en sa fureur extrême.

ARONS.

Tel autrefois dans Rome il parut à mes yeux,
Lorsque Tarquin régnant me reçut dans ces lieux;
Et ses lettres depuis... Mais je le vois paraître.

SCÈNE IV.

ARONS, MESSALA, ALBIN.

ARONS.

Généreux Messala, l'appui de votre maître,
Eh bien! l'or de Tarquin, les présents de mon roi,

Des sénateurs romains n'ont pu tenter la foi?
Les plaisirs d'une cour, l'espérance, la crainte,
A ces cœurs endurcis n'ont pu porter d'atteinte?
Ces fiers patriciens sont-ils autant de dieux,
Jugeant tous les mortels, et ne craignant rien d'eux?
Sont-ils sans passions, sans intérêt, sans vice?

MESSALA.

Ils osent s'en vanter; mais leur feinte justice,
Leur âpre austérité que rien ne peut gagner,
N'est dans ces cœurs hautains que la soif de régner;
Leur orgueil foule aux pieds l'orgueil du diadème;
Ils ont brisé le joug pour l'imposer eux-même.
De notre liberté ces illustres vengeurs,
Armés pour la défendre, en sont les oppresseurs.
Sous les noms séduisants de patrons et de pères,
Ils affectent des rois les démarches altières.

Rome a changé de fers; et, sous le joug des grands,
Pour un roi qu'elle avait, a trouvé cent tyrans.

ARONS.

Parmi vos citoyens en est-il d'assez sage
Pour détester tout bas cet indigne esclavage?

MESSALA.

Peu sentent leur état; leurs esprits égarés
De ce grand changement sont encore enivrés;
Le plus vil citoyen, dans sa bassesse extrême,
Ayant chassé les rois, pense être roi lui-même.
Mais, je vous l'ai mandé, seigneur, j'ai des amis
Qui sous ce joug nouveau sont à regret soumis;
Qui, dédaignant l'erreur des peuples imbéciles,
Dans ce torrent fougueux restent seuls immobiles;
Des mortels éprouvés, dont la tête et les bras
Sont faits pour ébranler ou changer les États.

ARONS.

De ces braves Romains que faut-il que j'espère?
Serviront-ils leur prince?

MESSALA.

Ils sont prêts à tout faire; Tout leur sang est à vous: mais ne prétendez pas Qu'en aveugles sujets ils servent des ingrats: Ils ne se piquent point du devoir fanatique De servir de victime au pouvoir despotique, Ni du zèle insensé de courir au trépas

Pour venger un tyran qui ne les connaît pas.
Tarquin promet beaucoup; mais, devenu leur maître,
Il les oubliera tous, ou les craindra peut-être.
Je connais trop les grands: dans le malheur amis,
Ingrats dans la fortune, et bientôt ennemis :
Nous sommes de leur gloire un instrument servile,
Rejeté par dédain dès qu'il est inutile,

Et brisé sans pitié s'il devient dangereux.
A des conditions on peut compter sur eux:
Ils demandent un chef digne de leur courage,
Dont le nom seul impose à ce peuple volage;
Un chef assez puissant pour obliger le roi,
Même après le succès, à nous tenir sa foi;.
Ou, si de nos desseins la trame est découver
Un chef assez hardi pour venger notre perte.

ARONS.

Mais vous m'aviez écrit que l'orgueilleux Titus...

MESSALA.

Il est l'appui de Rome, il est fils de Brutus;
Cependant...

ARONS.

De quel œil voit-il les injustices
Dont ce sénat superbe a payé ses services?
Lui seul a sauvé Rome, et toute sa valeur
En vain du consulat lui mérita l'honneur;
Je sais qu'on le refuse.

MESSALA.

Et je sais qu'il murmure;
Son cœur altier et prompt est plein de cette injure;
Pour toute récompense il n'obtient qu'un vain bruit,
Qu'un triomphe frivole, un éclat qui s'enfuit.
J'observe d'assez près son âme impérieuse,

Et de son fier courroux la fougue impétueuse :
Dans le champ de la gloire il ne fait que d'entrer;
Il y marche en aveugle, on l'y peut égarer.
La bouillante jeunesse est facile à séduire :
Mais que de préjugés nous aurions à détruire!
Rome, un consul, un père, et la haine des rois,
Et l'horreur de la honte, et surtout ses exploits.
Connaissez-donc Titus; voyez toute son âme,
Le courroux qui l'aigrit, le poison qui l'enflamme;
11 brûle pour Tullie.

ARONS.

Il l'aimerait?

MESSALA.

Seigneur,

A peine ai-je arraché ce secret de son cœur :

Il en rougit lui-même, et cette âme inflexible
N'ose avouer qu'elle aime, et craint d'être sensible.
Parmi les passions dont il est agité,

Sa plus grande fureur est pour la liberté.

ARONS.

C'est donc des sentiments et du cœur d'un seul homme Qu'aujourd'hui, malgré moi, dépend le sort de Rome! (A Albin.)

Ne nous rebutons pas. Préparez-vous, Albin,

A vous rendre sur l'heure aux tentes de Tarquin.
(A Messala.)

Entrons chez la princesse. Un peu d'expérience
M'a pu du cœur humain donner quelque science:
Je lirai dans son âme, et peut-être ses mains
Vont former l'heureux piége où j'attends les Romains.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

SCÈNE I.

Le théatre représente, ou est supposé représenter un appartement du palais des consuls.

TITUS, MESSALA:

MESSALA.

Non, c'est trop offenser ma sensible amitié;

Qui peut de son secret me cacher la moitié

En dit trop et trop peu, m'offense et me soupçonne.

TITUS.

Va, mon cœur à ta foi tout entier s'abandonne;

Ne me reproche rien.

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