que la nature leur avoit donnés fur les complexions froides, qui ne font jamais que des hommes médiocres.

Il a exifté & il exifte encore, mais en trèspetit nombre, de ces ames pleines d'ardeur, que la divinité s'eft plu à former pour le bonheur & la gloire de l'humanité, qui, telles que ces ifles fécondes, fourniffent au fein de l'agitation & des orages, les productions les plus utiles & les plus abondantes.

Pour ne pas perdre de vue plus long-tems mon objet qui eft l'influence qu'a cette trop dangereufe ville fur le Militaire, je m'attacherai d'abord à ceux que les longs & utiles travaux ont portés aux grades les plus éclatans. Que de foins, que de devoirs, que d'objets de diffipation & de dépenfe, le luxe extravagant de cette fuperbe Cité n'a-t-il pas attaché indifpenfablement aux premiers honneurs? Que d'importuns à recevoir, d'ennuyeux à congédier, d'oififs à fupporter; que d'ingrats à ménager, de parens à traiter; que de frippons à enrichir, à furveiller; que d'intérêts propres à difcuter, à faire valoir; que de démarches à faire; que de poursuites à éluder ; & quelle attention fur-tout, quels foins n'exige pas encore un refte d'existence délâbrée pour la foutenir, en l'arrachant à l'avidité des plaifirs qui la guettent de toutes parts! quel tems

refte-t-il pour approfondir un métier qui exige des connoiffances relatives aux cordons & aux grades dont on eft décoré! Il en eft de Paris visà-vis des Généraux, comme des hommes vis-àvis des jolies femmes. Il n'eft point de moyens qu'ils n'emploient pour les féduire : fi elles fuccombent, ils font affez injuftes pour les méprifer. • Les Militaires qui font dans un état moyen, fouffrent davantage, & font plus aiguillonnés par le luxe qui les environne. L'ambition leur fait chercher des protecteurs; leur intelligence s'ufe à les conferver, à les multiplier; prefque tous leur tems y eft employé, ainfi qu'à la conduite de leur fortune qu'ils cherchent à rendre un peu plus aifée, & la diffipation & les plaifirs ont exténué leur efprit, avant qu'il ait eu le moment de leur faire reffouvenir qu'ils avoient un métier à étudier.

Les autres Militaires condamnés aux bas gra des par la naissance, la fortune, l'éloignement, le peu d'ambition, le dégoût pris de l'aviliffement des distinctions, & de la prostitution des honneurs, ne fongent qu'à multiplier leurs plaifirs. Ils donnent donc tête baiffée dans tous ceux (a) que leur offre la Capitale; ils y évaporent le feu de leurs fens, y confument leur petite légitime, & ils ne fongent qu'ils font Militaires que quand le tambour les ramene aux drapeaux

manger une foible folde, & s'occuper à des travaux purement mécaniques.

Voilà en gros l'influence que cette nouvelle Ca poue a fur nos troupes ; voilà le poifon que dans fa trop féduifante enceinte elle a grand foin de leur offrir dans des vafes.ornés de fleurs. Oui, ce font moins les généreux ennemis qui nous ont fait perdre quelques batailles, que Paris. Notre plus cruel ennemi, eft. donc dans notre fein, & nous fommes affez malheureux pour le connoître & l'idolâtrer encore; c'eft à nos Mentors à nous enlever de cette perfide Capitale. Non jamais l'Ile de Calypfo ne fut fi dangereufe. Minerve ne fauva qu'un héros ; notre Miniftere peut en conferver vingt mille.

(a) La route de l'ambition eft, par la forme de notre gouvernement, fermée à la plupart des Citoyens ; il ne leur refte donc plus que celle des plaifirs.

ART. XXXIII. PENTE INNÉE POUR SON PAYS
Nefcio quâ natale folum dulcedine cunctos

Ducit, & immemores non finit effe fui.. Ovide.

DANS un trou fous trente pieds de neiges, le Lapon jouit fraîchement d'une volupté, que le plus beau palais ne peut faire goûter à un expa trié..

Dans les déterts affreux où paffe la zone torride, l'Africain bafanné retrouve avec tranfport le rocher qui l'a vu naître. Tout être par fon penchant naturel eft attiré vers fon berceau (4): il femble que l'on quitte la vie avec moins de peine dans le lieu où on l'a reçue. Le lievre timide dédommagé par fa légéreté, des armes défenfives qui lui manquent, fuit devant la meute qui le preffe; il rufe, va, revient, se porte en cent endroits, forcé enfin de céder, fon lieu natal eft celui qu'il choifit pour fe faire dé

vorer.

Ne voilà que trop d'exemples pour appuyer une vérité que tout le monde connoît. Il feroit donc bien effentiel d'entretenir dans le Soldat non-feulement l'efpoir, mais même la certitude de retourner à fes foyers, au tems préfixe de l'expiration defon engagement. J'ai parlé dans un article de ce petit Ouvrage, de la néceffité de les lui rendre plus chers, par les diftinctions relatives à fes talens & à fes travaux; il n'est que trop jufte qu'un brave Soldat qui a tout facrifié à l'honneur, puiffe prouver authentiquement une fenfibilité auffi précieufe.

(4) Les hommes préferent le lieu de leur naiffance, celui où ils ont été élevés. Les autres animaux, les plantes mèmes, fouffrent, dégénerent & périffent pour

peu qu'on les en éloigne. Il paroît que ces différens êtres tiennent indifpenfablement aux fubftances analogues qui les ont produits, & que ces fubftances dépendent du local & de l'expofition qui modifie & difpofe exclufivement les particules qui font néceffaires à leur conferva tion & à leur bien-être.

ART. XXXIV. DU BONHEUR.

Quisquis medium fugit iter
Stabili nunquam tramite curret.

IL eft des hommes malheureusement nés, qui, mécontens de ce qu'ils poffedent, mais jaloux de ce qu'ils voient aux autres, fe tourmentent & s'agitent, fans pouvoir fe rendre compte du dégoût qui les pourfuit: d'autres qui d'un caractere dur, n'ont comme la pierre de ponce, que. de l'âpreté, de la légèreté & du vuide; d'autres qui, nés avec un efprit foible & timide, ne peuvent jouir que de la crainte & de l'humiliation de ceux qui leur font fubordonnés ; d'autres qui, ignorant les juftes prétentions de l'homme, se courroucent & s'enflamment quand quelque chofe réfifte à leur indifcrete fantaifie. Il en eft d'autres qui confumés d'ambition (a), finiffent leur carriere en proie à cette maladie de l'efprit, qui ne commence que quand le corps affoibli ne lui en permet plus d'autres, flottant continuelle