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Militaire, ne feroit-il pas utile d'employer les momens de récréation des jeunes gens qui les compofent au profit de leur état ? Pourquoi ne fupprimeroit-on pas ces pieces tendres & frivoles, qui ne peuvent qu'énerver le courage, en nourriffant des penchans vifs & naturels dont il faudroit les diftraire? Pourquoi n'y fuppléroit-on pas par de petites pieces, des dialogues mieux faits, mais dans le genre de celui qui fuit? Les Officiers qui s'amuferoient à les leur faire. déclamer, pourroient à coup fûr en tirer ce double avantage, par les émotions plus ou moins fortes qu'ils éprouveroient, par la facilité avec laquelle ils faifiroient tel ou tel trait, le ton, l'énergie avec laquelle ils le rendroient; ces Officiers, dis-je, pourroient juger fainement de leur genre d'efprit, & du degré de fenfibilité de leur jeune caractere. D'ailleurs ce feroit un moyen de plus pour reproduire infenfiblement dans les troupes qui nous fuccéderont, ce caractere primitif qu'il feroit ridicule à quelques, particuliers de vouloir afficher, puifque la tournure des idées eft actuellement différente: je l'affronte cependant par amour pour ma patrie, mon métier & mes femblables.

DIALOGUE,

Ou RÉSUMÉ en action.

LE COLONEL.

LE MAJOR.

LE LIEUTENANT DE FORTUNE.

UN LAQUA15.

Le Colonel feul.

Quoi! à vingt ans, n'ayant jamais paru à mon

Corps, que cinq à fix fois, à la tête d'une compagnie où le moindre Cavalier en favcit plus que moi, je me trouve aujourd'hui commander à près de deux mille hommes! Leur fort eft entre mes mains, la gloire de la Nation peut dépendre de l'ufage que j'en ferai à l'armée; cette même Nation a les yeux fur moi : elle est pleine de confiance, en même tems elle en manque. Quoi ! elle me lie, elle n'ofe pas me confier à moimême, & elle me rend pour ainfi dire defpote, en m'abandonnant deux mille hommes qu'elle enchaîne. Quelle contrariété ! ma fortune eft peu confidérable; c'eft fans doute un très-grand malheur pour un Chef. Combien cela n'influerat-il pas fur le bonheur que j'aurois à fecourir toutes ces honnêtes créatures, qui n'affrontent le befoin que par un goût précieux qui exige de

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la reconnoiffance? Oui, je dois me charger le premier de cette dette auffi honorable; pere de cette nombreuse famille, tout ce que j'ai, lui appartient hélas! je lui devrai encore par la gloire qu'elle me donnera en échange.

Mes parens qui n'ont jamais compté qu'avec leur ambition, & qui ont toujours regardé un Régiment, comme un domaine admirable, ne manqueront pas de me contrarier. Ils viennent déjà de me faire prendre un Major qu'ils difent avoir beaucoup de talens : je m'en défie ; car jusqu'ici j'avois cru très-rare de rencontrer un homme qui en eût feulement un peu. D'ailleurs ce mot eft fi proftitué, fi dépendant de la légéreté des idées d'une foule de prôneurs, qui ont intérêt à donner ce qu'ils n'ont jamais connu qu'en vérité il eft fort permis d'en douter. Au furplus il fera très-bien d'en avoir; car j'avoue franchement que j'en ai l'on ne peut pas moins.

Comme tous les jeunes gens, je n'avois vu que le grade & les épaulettes; mais l'illufion s'efface, & je fens déjà tout le poids du fardeau qui eft prêt à m'accabler; mais voilà, je crois, le délicieux Major; voyons adroitement jufqu'où je puis étendre ma confiance, & de quelle nature font les talens qui doivent fuppléer à ceux qui me manquent.

LE COLONEL ET LE MAJOR

Le Colonel.

Vous arrivez, Monfieur, fort à propos: je caufois avec moi-même, & me demandois compte des connoiffances & des talens qu'il faut avoir pour bien gouverner un Corps auffi étendu que celui que je vais commander. Je vous avouerai, Monfieur, que je n'étois pas trèscontent de mes recherches; que j'aurois même frémi à l'aspect des devoirs, des obligations, qu'une pareille charge impofe, fi l'on ne m'avoit raffuré, en me parlant de vos lumieres & de votre expérience. J'efpere donc que je n'aurai qu'à me louer du choix que l'on m'a fait faire de vous.

Le Major.

Mon Général, l'existence je vous la dois; je n'en ai par conféquent que l'ufufruit, qui fera employé toute ma vie à vous prouver combien je ferai jaloux de continuer à mériter vos bontés. Vous pouvez déformais difpofer de moi, comme d'un fecond vous-même: vous m'avez trop payé par la préférence que vous venez de m'accorder. Rien dans le monde ne pourra plus m'empêcher de vous prouver combien je me plairai à vous être fidele; confiance, estime, amitié de mes camarades, nulle confidération ne me retiendra ; tout cédera fans peine à ma vive reconnoiffance. Le Colonel.

Le Colonel.

Je fens, Monfieur, tout le prix de cet énorme facrifice.

Le Major.

Il n'eft que trop au-deffous de tous ceux que je defirerois vous faire. Ne vous y trompez pas, mon Général, l'eftime, l'amitié, la confiance ne font plus que des amorces, qui fervent aux yeux fins à tromper les fots. L'eftime naît du jugement qu'un homme porte fur le compte d'un autre qu'il ne peut connoître, puifqu'il ne fe connoît pas lui-même, & qu'il part toujours d'après des idées fort véritables & très-circonfcrites: l'amitié eft une fille du Ciel qui n'a garde de le quitter pour revenir fur la terre; elle y a été trop mal reçue par ce Tien & le Mien, qui arment continuellement tous les hommes. Quant à ce que l'on nomme confiance, ce n'eft qu'un excès d'indifcrétion qui dérive de l'amour propre & de la foibleffe ; j'ai donc raifon, mon Général, en ne regardant ces prétendus beaux fentimens, que comme des moyens dont je dois me fervir adroitement pour vous faire connoître à fond votre Corps & vous le foumettre; oui, vous le foumettre, de maniere qu'un feul de vos regards fuffife pour le faire tout trembler & obéir.

N

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