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L'ECOLE DU TEMPS,

DORANTE.

Que faire donc ici ?

LA VERITE.

L'on s'inftruit; l'on s'occupe...

DORANTE.

S'inftruire! s'occuper!.. Vous me faites trembler!...
Mais, de ce grave ton je ne fuis point la dupe;
Et vous-vous amusez vous-même à me troubler.
LA VERITE.

Si vous ne venez point ici pour vous inftruire,
Quel autre foin a pû vous y conduire ?
DORANTE.

Quoi! Vous l'ignorez?

LA VERITE.

Que vous me l'appreniez.

Qui. J'attens

DORANTE.

Il faut vous fatisfaire.

Je fuis riche, & n'ai point d'affaire

Et je cherche à paffer le tems.

LA VERITE.

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Eh, quoi! Vous n'avez rien à faire ?

Chacun doit néanmoins s'occuper dans l'Etat.
Depuis le Villageois jufques au Potentat,

Chacun a fes devoirs, tout mortel eft comptable....

COMEDIE.

DORAN TE.

Je vous l'ai déja dit; mon goût Ne s'occupe de rien, & s'amufe de tout. La peine m'eft infuportable.

Des affaires, je hais l'affligeant attirail;

Et tout ce qu'on nomme travail,
Eft, à mes yeux, un objet détestable:
Non que je fois affûrément

Nonchalant par fiftême, ou par tempérament.
Je mets au-deffous de la Bête,

Ces Hommes engourdis que la pareffe endort;
Pour qui le moindre pas, le moindre coup de tête,
Eft fouvent un pénible effort:

Leur trifte létargie eft pire que la mort.

Trop de repos me rend malade;

'Je ne faurois refter dans mon appartement ;
Je fors, je vais, je viens ; j'aime le mouvement,
L'exercice & la promenade.

LA VERITE'.

Mais enfin, votre Emploi ?

Et c'eft?

DORANTE.

Je n'en eûs jamais qu'un.

LA VERITE.

DORANTE.

De n'en avoir aucun.

12

L'ECOLE DU TEMPS,

A tuer les momens, je borne mon envie.
En quatre mots, voici l'histoire de ma vie:
Mon pére étoit Marchand, riche & bien établi ;
Il décora fon opulence

D'un titre par lequel il fe vit ennobli.

LA VERITE'.

C'est le vernis par excellence.
DORAN TE.

Une Charge a plongé mes ayeux dans l'oubli.
Soûtenu d'environ vingt mil écus de rente,
Je joüis du grand monde, & je me fais honneur
Des Privileges de Seigneur ;

Je fuis resté garçon : Ma methode courante,
C'est de me lever tous les jours

Sitôt le Soleil a commencé fon cours.
que

'J'aime toutes les fleurs, j'en ai dans mon parterre,

Que l'on viendroit chercher des deux bouts de la Terre.

Mon premier foin est d'aller voir, Si Maître Mathurin a bien fait fon devoir. Sur une Platte-bande en forme de Théatre, Je vois l'Oreille-d'Ours dont je fuis idolârre ; Je trouve en bon état mes Oeillets, mon Jasmin; Puis de mon cabinet je reprens le chemin.

LA VERITE.

Pour vous y confacrer à l'étude, fans doute

53

COMEDIE.

DORANT E.

Non. L'étude eft un foin que mon efprit redoute.
J'aime à nétoïer mes oifeaux;

Je fiffle mes Serins perchés dans leur cabanne;
J'enseigne à mes Barbets à fauter fur la canne,
Et je leur fais donner quelques coups de ciseaux.
Je remonte ma montre & toutes mes pendules.
LA VERITE' à part.

Quelle foule de ridicules!

DORANTE.

Je découpe des fleurs pour orner un Ecran.
On m'habille; je fors pour aller voir un Grand.
Quand je le quitte il est une heure:

Je fuis près du Palais Royal,

'J'y vais; quelque temps j'y demeure.

Je trouve le Baron homme franc & loyal
Eternel ennemi du cérémonial;

De lui-même il fe prie à diner : je l'emméne ̧
Quand j'apperçois auprès du rond,

Le Chevalier qui fe proméne

Et je l'affocie au Baron.

Chez moi je trouve Orphife ma Coufine
Et la Marquise fa voisine,

Un Gafcon flegmatique appellé d'Archicrac

Qui ment par poids & par mefure,

Et débite en pailant les Quatrains de Pibrac:

Il a pour fon fecond Monfieur de la Céfure,
Poëte, bon gourmet qui m'apporte un écrit
Dont il a depuis peu régalé cette Ville;
Le Cuifinier François traduit en Vaudeville.
Plus, l'on eft de fous plus on rit.

Sur le titre déja l'appétit fe réveille.

Mon Cuifinier a fait merveille;

Et l'on voit qu'il prend des Leçons

Du Livre où l'on a mis les ragoûts en Chanfons.
Sur le Char de Bacchus la joye eft amenée
Son étendart eft déployé,

Nous pouffons le repas avant dans la journée :
C'est autant de Temps employé.

Sur le foir chacun se disperse;
J'aime les Spectacles; j'y vais:
J'y vois du bon & du mauvais.

A travers tout cela quelquefois l'ennui perce.
Ce Tyran de notre loisir

Dans le fein de la joye, & m'affiége & me glace:
Caché derriere le plaifir

Il est à chaque inftant prêt à prendre fa place.
Oui, c'est un fait conftant, Déeffe; & dans le fond
Cet article là me confond.

Car enfin mon fiftême est des plus à la mode
Et je le foutiens fort commode.

Mais les jours les plus gais font place aux tristes nuits,

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