SECT. I. CHAP. XI. Comme les extrémités des chartes font d'ordinaire les plus PREM. PARTIE, maltraitées par le tems; les dites prefque toujours fituées au bas de ces pièces fe trouvent quelquefois en fi pitoyable état qu'elles en paroiffent ou font indéchifrables. Si malgré cela les copiftes ordinaires, & même les Oficiers publics, s'avifent de réaliser dans leurs expéditions des conjectures; il s'enfuit des anachronifmes inévitables, dont on a coutume de faire grand bruit contre des originaux, qui en font, comme on voit, fort innocens. En général ce feroit une folie achevée, de rejeter les fautes des Mff. fur les fauflaires. Elles font en effet de telle nature; qu'on ne fauroit dire en aucune façon (2) de prefque toutes, qu'elles aient été faites de propos délibéré. Il en eft de même de celles, qui fe rencontrent dans les copies des chartes. Nul intérèt n'a pu éngager les écrivains, à fe porter à des altérations, dont qui que ce foit ne pouvoit tirer avantage. On ne fauroit donc en affigner d'autres causes, celles qui conviennent également aux Mss. que col. 43. (2) Cùm pleraque manufcriptorum librorum vitia fint ejufmodi, ut datâ opera confultò invecta dici omnino non poffint. Germon. de veter. hæret. n. X P. 7. (n) Dere diplom. p. 624. (n) Innoc. III. Epift. 1. 2. p. 148. (c) De re diplom. P. 624. (p) Ibid. p. 623. (9) Ibidem p. 28. 241. IV. Si l'on avoit aujourdui les originaux des auteurs facrés, ecléfiaftiques & profanes; on ne manqueroit pas d'y avoir recours dans les doutes, que font naitre les variantes des Mff. On doit apliquer cette règle aux copies des diplomes. Leurs originaux, quand ils fubfiftent, doivent fervir à diffiper les nuages des copies. L'expérience aprend tous les jours, qu'ils font évanouir des dificultés (3) infurmontables, uniquement fondées fur les bévues des copiftes. Ils ne feroient pas d'un moindre (3) L'infpection des originaux, quand on eft à portée de les confulter, lève ces dificultés, qui ne naiffent le plus fouvent que des copies défectueuses. Doublet (r) a publié un diplome de Charlemagne, en faveur de l'Abbé Fulrade & des moines de S. Denis, qui porte la date du XVI. des calendes d'Octobre, la XXII. année du regne de ce Prince, en France & la VIII. de fon regne en Lombardic. Comment concilier ces dates avec la vérité de l'hiftoire; fi D.Mabillon (s) n'avoit trouvé l'original, où l'année XIV. du regne eft clairement marquée,au lieu de l'année XXII? C'eft ainfi que les anachronifies difparoiffent, quand on peut récouvrer les originaux. Le même Doublet, ou les copiftes qu'il a fuivis, ont lu Fulrade au lieu de Fardulfe (1) dans un diplome de l'an 779. par lequel Charlemagne confirme les donations de fa four Gifelle au même monastère. On a des milliers d'exemples de noms propres mis les uns pour les autres par les copiftes furtout lorfqu'ils font tombés fur des Mff. & des chartes dificiles à lire, ou qu'ils ont trouvé ces noms écrits par abréviation, ou feulement marqués par la lettre initiale. : Veut-on encore un exemple remarquable des bévues des copiftes? le Monajti cum Anglicanum va nous le fournir. Il s'agit d'une charte de donation faite à l'Eglife Métropolitaine de Rouen par Jean Sans-terre Roi d'Angleterre & Duc de Normandie.On y lit que fon pèreHenri II. & fon frére Henri ont leur fépulture dans cette Eglife. (1) Noverit univerfitas veftra, quòd nos pro falute anima noftra & pro salute animarum bona memoria Henrici Regis patris nofiri fratris noftri Henrici ju nioris,qui in Ecclefia Rotomagenfi HABENT SEPULTURAM. Si cette pièce concernoit une Abbaïe; certains auteurs ne manque roient pas, de la mettre au nombre de tant de monumens, (x) qui prouvent la multitude des faux titres, fabriqués autrefois par les moines.Toure charte,diroient-ils, dont le contenu fe trouve démenti par des faits certains & incontestables,doit être reje tée comme une pièce fauffe,en quelques archives qu'elle fe trouve.Or il eft certair, & les Hiftoriens l'ateftent, que Henri II. fut inhumé dans la célébre Abbaie de Fontevrault,& non dans la Cathédrale deRouen. Donc le titre des Chanoines de cette Eglife, qui énonce difertement le contraire, doit être mis (y) au rang des pièces fabriquées. Ce titre ne laifferoit pourtant pas d'être très véritable. Comment cela ? C'eft que les copiftes, faute d'attention ou par ignorance, lui ont fait dire ce que l'autographe ne dit point. En effet il est très vraisemblable, qu'ils ont mis au pluriel habent pour habet, qui ne tombe que fur Henri le jeune, fils de Henri II. La véritable leçon ainfi rétablie ; la charte ne contient rien, que de conforme à la vérité: puifque le jeune Henri fut effectivement enterré dans l'Eglife de Rouen. Des fautes groffiéres dans les chartes foit des Chapitres, foit des Monastères, ne font donc pas toujours des preuves valables de leur fauffeté, (z) & la feule infpection des originaux fufit, pour en juftifier un grand nombre, que des critiques de nom ont décriés trop légèrement. Voici un autre exemple frapant des mécomptes des copiftes. Par une erreur de ce genre, un Archevêque de Rouen connu dans l'histoire, fait place à un in PREM. PARTIE. fecours; fi ces fautes étoient de véritables falfifications Au connu, qui n'exista jamais. Paul déguisé | jufte. Quand ce favant Religieux parle de сс à lone conceffi) hallucinatum fuiffe librarium CHAP. XI, (a) Méthod. pour étud. l'hift. tom. 2、 377 • (b) Spicil. t. z pag. 587. (c) Pag. 42. (d) Pag. 22. (e) De re diplom. lib. 2. p. 154. PREM. PARTIE. copie plus ancienne, que la falfification prétendue, est une SECT. I. pièce de comparaison fufifante; à combien plus jufte titre une CHAP. IX. copie, qui joindra l'authenticité à l'antiquité, aura-t-elle là même prérogative? on ne Quant aux priviléges poftérieurs, opofés à ceux contre lesquels on a quelque préjugé : outre que cela eft un peu vague, comprend pas bien, comment ils pouroient former une preuve convaincante de la fabrication de tel & tel article dans les pièces,avec lesquelles ils ne feroient pas d'acord. C'est beaucoup, fi quelquefois ils fondoient un moyen légitime de fufpicion. En éfet eft-ce que l'opofition d'un privilége poftérieur prouvera, qu'on n'avoit pas autrefois certains droits, certains hé ritages, certaines prétentions? N'arive-t-il pas tous les jours, que les biens & les droits paffent d'une famille à l'autre ? Ainfi quand des priviléges poftérieurs prouveroient contre le droit actuel d'une Partie; ils ne prouveroient pas contre la fincérité de fes chartes. D'ailleurs ne voit-on jamais de familles & de communautés alléguer des titres, qui fe croifent & qui fe combatent précisément fur le même objet ? S'enfuit-il que ces pièces foient fauffes ou falfifiées M. Simon, tout M. Simon qu'il étoit,n'en conviendroit pas. Après un long détail fur les préten tions & Bulles contradictoires des Abbaïes du Mont-Caffin & de Fleuri, au fujet du Corps de S. Bénoît, il fe fait cette ob(f) Lettr-choif. jection: (f)» Vous me direz aparamment, ou que ces Bulles » ont été fupofées par les moines de ces deux monaftères, qu'un de ces deux moines (Lauret & du Bofc) n'a pas dit la vérité. Pour moi, répond-il, je croirois plutôt, que » CES BULLES QUI SONT OPOSÉES LES UNES AUX AUTRES, SONT » VÉRITABLEMENT des Papes, au nom defquels elles ont été expédiées, fur l'expofé des moines. « tom. 3. p. 74. . Jufqu'à quel point les copies peuvent être remplies de fautes; fans qu'on en puif رو où V. Quoiqu'à plufieurs égards, le mérite des meilleures copies foit inférieur à celui des originaux; ce qui fufit pour fufpecter ceux-ci, ne fufit pas pour fufpecter celles-là. Une faute confidérable de chronologie dans un autographe, peut fouvent ferien conclure le rendre fufpect. Mais ce ne feroit pas une raifon, pour fufpeccontre leurs origi- ter une copie; fr elle n'étoit ni authentique, ni collationée fur avoir recours, ou l'original, & que la faute ne fût pas extrémement groffiére, & du moins aux co- de plus opofée au mœurs du tems. Les originaux font incompa pies anciennes ou rablement moins fujets aux fautes, que les copies. A proportion naux.Neceffité d'y collationées... que que ces dernières s'écartent de la fource, & qu'elles ne font que des copies de copies; les fautes vont toujours croiffant : à moins qu'elles ne foient enfin corigées fur plufieurs exemplaires, fuivant les règles d'une judicieufe critique. L'expérience juftifie tous les jours, que plus une copie s'éloigne de l'original, plus elle fe défigure ordinairement, & plus les erreurs s'y multiplient. Elle pouroit donc être pleine d'anachronifmes, fans pour cela tirer fon origine d'un autographe fupofé. En conféquence de ces fautes acumulées dans la copie, il y auroit de l'injuftice à former contre l'original des foupçons de faux : lorfque fa copie n'eft ni authentique, ni fort ancienne. La feule infpection d'une copie quelconque ne met donc pas en droit, à raifon de fes fautes plus ou moins énormes ou nombreuses, de fufpecter fon original ou de l'acufer de faux. Mais, dit-on, (g) fi une copie eft fidèle, elle représente le ftyle & le texte même de l'original. Or il peut s'y rencontrer quelque chofe de contraire aux usages & aux faits du tems, où il a été dreffé. Celui donc qui aura examiné une feule copie, poura prononcer avec affurance fur la fauffeté de la pièce originale. Poteft ergo ab eo, qui folum diplomatis exemplar examinavit, falfitas certò judicari. Une copie fidèle, il eft vrai, repréfente le style & le texte de l'original. Mais la question eft de favoir, fi cette copie eft fidèle. Hé ! comment peut-on s'en affurer, fans avoir vu (4) l'original, ou du moins quelque copie authentique ? C'eft donc manifeftement une pétition de principe, de taxer de faux l'original, fur le vu d'une copie, quelque vicieufe qu'elle puiffe être. Comme fi toute copie étoit fidèle, ou qu'on pût juger de fa fidélité, avec une entiére certitude, fans la comparer avec l'original, ou du moins avec une copie authentique ! Combien voyons-nous de copies fans nulle annonce de fceau, fans dates, fans fignatures, fans témoins, fans prefque aucune (4) Si fcripturam authenticam non videmus, ad exemplaria nihil facere poffumus. Decret. Gregor. IX. 1. 2. tit. 22. cap. 1. C'est la première décifion donnée par les Papes, fur la foi qu'on doit ajouter aux pièces, qui peuvent être citées en Juftice. Quoique nous ayons dévelopé (1) les déTome I. fauts de ce texte, & que nous ayons pris Ee PREM. PARTIE. CHAP. XI. (g) Germon Difcept. 3. pag. 199. (b) Cy-deffus ch. 4. n. 4. |