Par M. le comte FRANÇOIS DE SALLES, à La Rochelle.
Au flanc de Maumusson, sur la côte de sable Que si souvent la mer parsème de débris, Content des deux ou trois poissons que j'avais pris, Lentement je longeais l'abîme infranchissable.
Mes pas s'alourdissaient dans le gravier mouvant; Le manche du filet meurtrissait mon épaule, Mais sentant mes captifs sautiller dans leur geôle, J'allais, le cœur léger, heureux d'être vivant.
Le ciel était très pur, et les dunes pelées Y traçaient nettement leurs profils onduleux; Sur les genêts dorés et sur les chardons bleus. L'air vibrait, tout rempli de bestioles ailées.
Le soleil dardait fort; un âpre goût de sel Flottait; la mer sans bruit me chantait son poème, Et comme elle, la terre et le ciel et moi-même, Tout proclamait gaîment l'amour universel.
Et pourtant, sous mes yeux, de funèbres épaves Racontaient les fureurs traîtresses de la mer, Les typhons de l'été, les brumes de l'hiver, Les cruautés du sort et le trépas des braves.
C'étaient des madriers gluants et vermoulus D'où pendaient des lambeaux d'algues décolorées, Sombres poteaux marquant la hauteur des marées, Sempiternels jouets du flux et du reflux;
C'étaient profondément engravés, des squelettes De barques, par le flot démembrés jour à jour, Et que l'humidité de leur morne séjour Avait partout marbrés de plaques violettes,
L'eau stagnante luisait par le bordage ouvert En le mystérieux cloaque de leur cale,
Et béants, dans l'horreur de la dernière escale, Ils semblaient étonnés d'avoir autant souffert.
Soudain, je m'arrêtai devant une chaloupe Gisant sur le rivage à quelque pas de moi, Car je venais de lire avec un peu d'émoi
Ce simple mot: « Espoir », sur le tableau de poupe.
O l'ironie atroce et le nom décevant! Je me représentais la coquette voilure,
Le bateau neuf, tout fier de sa pimpante allure, Comme un clair papillon s'envolant dans le vent.
Je voyais le patron appuyé sur la barre, La pipe aux dents, les yeux sur l'horizon fixés, Tandis que son marin, calme, les bras croisés, Modulait quelque chant monotone et barbare;
Et je voyais encor les filets alourdis
Noirs de varech, poudrés d'écailles argentées Qu'en leurs jours de labeur et leurs dures nuitées Les matelots hâlaient de leurs doigts engourdis.
Te les rappelles-tu, tes gais retours de pêche Dans le fourmillement des bassins et des quais, Pauvre petit bateau, lorsque tu débarquais
Tes paniers de « crevette » ou de « sardine fraîche »?
Je t'ai peut-être vu naguère dans le port, Propre, lavé, coquet et peint de couleur tendre, Et ne t'attendant guère et ne pouvant t'attendre A me donner si tôt cette image de mort...
Hélas! Il a suffi d'un souffle de tempête, D'un geste menaçant de la mer en fureur, Pour faire de ta coque un tel objet d'horreur Que le passant t'évite en détournant la tète.
Et tu t'en vas, rongé miette à miette, au néant, « Espoir » abandonné dans ta désespérance, Jusqu'à l'heure où touché de ta longue souffrance, Voudra bien t'engloutir ton père l'Océan.
Je repris mon chemin; sous le flot des pensées, Mon âme avait cessé sa joyeuse chanson;
Mes poissons étaient morts dans leur triste prison, La route semblait longue à mes jambes lassées.
L'air embaumé du soir, lourd du parfum des roses, Procure un goût de miel à nos lèvres moroses; Notre âme s'engourdit dans le calme des choses. Qu'il est prompt alors à venir, Le souvenir !...
Voici que négligeant la durée et l'espace, Le souvenir, pareil à quelque oiseau rapace, Emporte notre esprit loin de l'heure qui passe. Qu'on se plaît à l'y retenir,
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