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faveur la place de secrétaire et garde des archives de la pairie; et pour faire les appointements de cette place, chaque duc et pair donna cinquante écus par an. On a reproché à M. Villaret la prolixité dans ses derniers volumes; mais comme le libraire payait mille écus par volume, il était naturel que l'auteur cherchât à en faire le plus qu'il lui était possible. C'est M. l'abbé Garnier, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, qui s'est chargé de la continuation de cette histoire, pour prix et somme de quinze cents livres par volume. MM. les ducs et pairs ont nommé aujourd'hui pour leur secrétaire M. Gibert, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et fort au fait de l'histoire de France. Il avait pour concurrents M. Gaillard et M. Thomas. Cette place donne trois ou quatre mille livres par an, un logement au Louvre, et point d'occupation.

-M. de Julienne, chevalier de l'ordre de Saint-Michel, honoraire de l'Académie royale de peinture et sculpture, entrepreneur de la manufacture royale des Gobelins, vient de mourir dans un âge très-avancé. Il était possesseur du secret de cette belle couleur d'écarlate qui n'a rien de pareil en Europe; il a laissé ce secret, en mourant, à M. de Montullé, ancien secrétaire des commandements de la reine. Il laisse aussi une superbe collection de tableaux, dont la vente se fera dans quelque temps d'ici, lorsqu'elle aura été suffisamment annoncée en Europe. Son cabinet passait, parmi les cabinets particuliers, pour un des plus beaux de Paris.

Mlle Clairon vient de redemander de nouveau sa retraite, qui lui sera accordée. Elle s'était engagée à remonter sur le théâtre, supposé qu'on accordât aux comédiens l'état de citoyen, que moins la loi qu'un reste de préjugé et d'opinion gothique leur refuse. Lorsque cette affaire a été proposée au conseil du roi, avec le projet d'ériger la Comédie-Française en Académie royale, quelques-uns du conseil ont observé que les priviléges accordés aux comédiens par Louis XIII n'ayant pas été révoqués, il ne tenait qu'à eux de les faire valoir dans l'occasion. Sur quoi le roi a décidé qu'il n'y avait rien à innover à cet égard. Si Mlle Clairon peut se consoler de ne plus occuper le public de son talent, elle prend le meilleur parti pour sa réputation et

1. Grimm lui consacre un court article nécrologique au mois de janvier 1772. (T.)

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pour son repos. Les dispositions du public ne lui étaient plus favorables; on ne cherchait que les occasions de l'humilier, et sa rentrée lui aurait préparé des chagrins.

M. Rousseau a pris très au grave la lettre du roi de Prusse, fabriquée à Paris par M. Walpole 1. Il est naturellement porté à croire aux complots, aux noirceurs; ainsi, selon lui, cette lettre couvre un grand mystère de la plus profonde iniquité. Tout ce mystère se réduit à égayer un peu le public aux dépens d'un auteur qui n'est pas gai. Si le monarque prenait les choses aussi vivement que l'auteur, si Frédéric était de l'humeur de Jean-Jacques, cette lettre pourrait devenir le sujet d'une guerre sanglante. Elle a été imprimée en français et en anglais dans les papiers publics de Londres, et M. Rousseau vient d'écrire, à ce sujet, à l'auteur du London Chronicle, la lettre suivante 2:

« A Wootton, le 3 mars 1766.

« Vous avez manqué, monsieur, au respect que tout particulier doit aux têtes couronnées, en attribuant publiquement au roi de Prusse une lettre pleine d'extravagance et de méchanceté, dont, par cela seul, vous deviez savoir qu'il ne pouvait être l'auteur. Vous avez même osé transcrire sa signature, comme si vous l'aviez vue écrite de sa main. Je vous apprends, monsieur, que cette lettre a été fabriquée à Paris, et, ce qui navre et déchire mon cœur, que l'imposteur a des complices en Angleterre. Vous devez au roi de Prusse, à la vérité et à moi, d'imprimer la lettre que je vous écris, et que je signe, en réparation d'une faute que vous vous reprocheriez sans doute si vous saviez de quelles noirceurs vous vous rendez l'instrument. Je vous fais, monsieur, mes sincères salutations. »

« Signé: J.-J. ROUSSEAU. »

M. Walpole vient de retourner en Angleterre, et il ne tient qu'à la chambre des communes, dont il est membre, de lui

1. Voir tome VI, page 456.

2. Elle se trouve dans les OEuvres de Rousseau, notamment dans l'édition in-8° donnée par M. de Musset-Pathay, tome XXI, p. 52; mais elle y est adressée à l'auteur du Saint-James Chronicle, et datée du 7 avril 1766. (T.)

faire son procès pour avoir fabriqué cette lettre. La Providence, qui s'appelle ainsi parce qu'elle prévoit les choses de loin, l'en a puni d'avance en l'affligeant de la goutte la mieux conditionnée qu'il y ait en Angleterre, après celle de M. Guillaume Pitt.

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Pour compléter l'histoire de Jean-Jacques sur le continent, il faut savoir que la vénérable classe des pasteurs de Neufchâtel, très-mécontente de ce que le conseil souverain de cette principauté n'a pas voulu seconder ses projets de lapidation concernant ledit Jean-Jacques, a porté plainte au roi de Prusse des atteintes données par ledit conseil souverain aux droits bien reconnus de ladite vénérable classe. Sur quoi Sa Majesté a bien voulu répondre ce qui suit:

« Le roi, sur le très-humble mémoire de la compagnie des pasteurs de la souveraineté de Neufchâtel et de Valengin, concernant les prétendues atteintes que le conseil aurait données. depuis quelque temps aux droits dont elle, ainsi que ses membres, devaient jouir, ordonne d'y répondre que Sa Majesté, bien loin d'acquiescer à la très-humble demande de ladite compagnie à ce sujet, ne pouvait s'empêcher d'être très-mal satisfaite des procédés inquiets, turbulents et tendant à sédition, que lesdits pasteurs avaient tenus relativement à un homme que Sa Majesté daignait honorer de sa protection. Fait à Potsdam, ce 26 février 1766. »

Et a, Sa dite Majesté, daigné ajouter de sa propre main : « Vous ne méritez pas qu'on vous protége, à moins que vous ne mettiez autant de douceur évangélique dans votre conduite qu'il y règne à présent d'esprit de vertige, d'inquiétude, et de sédition. Signé : FRÉDÉRIC. »

La louable imprimerie de la vénérable paroisse de Ferney a cru de son devoir de répandre, autant qu'il dépendait d'elle, cette double réponse, en y ajoutant l'avertissement suivant :

« Ces deux pièces essentielles étant tombées entre nos mains, nous les rendons publiques, afin qu'elles servent à jamais d'exemple à tous les princes, d'instruction à tous les magistrats de l'Europe, et de sauvegarde à tous les citoyens. Fait dans notre résidence, le 20 mars 1766. »

-On vient de nous envoyer d'Allemagne un exemplaire d'un volume in-12 intitulé Abrégé de l'Histoire ecclésiastique

par l'abbé de Fleury 1. On voit à la tête le portrait de ce pauvre abbé de Fleury, l'épaule gauche dévotement couverte de son manteau; mais on a oublié de lui faire faire le signe de la croix de la main droite car, à coup sûr, il se serait signé plus d'une fois en lisant son Abrégé, et à l'inspection de la première page de l'avertissement il aurait cru son abrégeur possédé par Belzebuth et consorts. Voilà donc la destinée de feu l'abbé de Fleury à peu près pareille à celle de feu l'abbé Bazin : ils ont trouvé, celui-ci un neveu éditeur, celui-là un neveu abrégeur. Fleury méritait bien cet honneur: c'était un honnête homme qui aimait la vérité historique par-dessus tout, et à qui elle arrachait des aveux qu'on n'aurait pas pardonnés aujourd'hui; mais, de son temps, l'Église n'était pas encore ombrageuse comme aujourd'hui, et entendait mieux raillerie.

Nous avons souvent sollicité M. Hume, pendant son séjour en France, d'écrire une Histoire ecclésiastique. Ce serait en ce moment une des plus belles entreprises de littérature, et un des plus importants services rendus à la philosophie et à l'humanité. L'abbé Galiani serait peut-être, de tous les hommes en Europe aujourd'hui, le plus capable d'exécuter ce projet. M. de Voltaire n'a plus une vigueur de tête assez soutenue pour se charger d'un pareil travail, il tournerait son sujet trop du côté de la plaisanterie et du ridicule. En attendant, l'Abrégé dont nous parlons, quoique fait sèchement, peut servir. On attribue cet Abrégé à un monarque digne de toutes les couronnes, excepté de la couronne éternelle, dont le ciel veuille le préserver, lui et ses pareils!

Il court depuis quelques jours en manuscrit un Mandement de l'archevêque d'Aix contre M. le marquis d'Argens, chambellan du roi de Prusse. Ce Mandement fait fortune: c'est une des meilleures plaisanteries qu'on ait faites depuis longtemps; elle ne pouvait venir plus à propos. Je ne doute pas qu'elle ne rende les points d'orgue de nos prélats un peu moins fréquents. On dit que le roi de Prusse a pris cette tournure pour faire

1. 1766, in-12, réimprimé en 1767, 2 vol. petit in-8°. Le titre de cet ouvrage dit qu'il est traduit de l'anglais ; c'est une petite supercherie des auteurs, qui sont, pour le corps de l'ouvrage, l'abbé de Prades, et, pour la préface, le roi de Prusse; le tout a été compris dans le Supplément aux OEuvres posthumes de Fré léric, Cologne, 1789. (T.)

quitter au marquis d'Argens la Provence, où il est retenu depuis deux ans1.

- On vient de recueillir, en trois volumes in-12, les OEuvres de théâtre de M. Guyot de Merville. Cet auteur s'avisa, à l'âge de quarante ans, d'écrire des comédies, que les acteurs des deux théâtres refusèrent, la plupart du temps, de représenter. M. Guyot de Merville était naturellement chagrin et tracassier; il était de ces gens à qui, si on les en croit, tout le monde a toujours joué les tours les plus abominables. Il paraît que ce pauvre poëte n'a jamais eu d'aussi cruel ennemi que lui; il aurait fallu avoir autant de talent qu'il avait bonne opinion de lui-même, et il eût été heureux; mais malheureusement ses pièces sont froides, ennuyeuses et sans naturel. Le Consentement forcé est cependant resté au théâtre, et se joue de temps en temps, sans que je l'en estime davantage. Ce pauvre diable important s'était fait champion du poëte Rousseau, dans sa querelle avec M. de Voltaire. Son héros s'était fait chasser de France; et lui, il s'expatria de chagrin, et, après avoir erré quelque temps en Suisse et autour du séjour de M. de Voltaire, il finit par se noyer, d'ennui et de désespoir, dans le lac de Genève, en 1755, âgé d'environ soixante ans. Il fallait noyer ses pièces de théâtre avec lui. Ce recueil en contient plusieurs qui n'ont jamais été ni jouées ni imprimées. L'éditeur se flatte qu'on pourra les mettre au théâtre. Je plains les Comédiens s'ils n'ont que cette ressource pour faire une bonne année.

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M. de Surgy vient de publier un Éloge historique de M. le marquis de Montmirail, fils de M. le marquis de Cour

1. Voir ce Mandement et des détails sur la manœuvre du roi de Prusse, au mois de janvier 1772 de cette Correspondance. (T.)

2. Paris, Duchesne, 1766.

3. On trouve une lettre fort curieuse de Guyot de Merville à Voltaire, tome I, p. 511 des OEuvres de Voltaire, édit. Lequien; elle est datée du 15 avril 1755. Merville, qui s'était retiré sur les bords du lac de Genève, informé que Voltaire venait habiter les environs, lui écrivait pour lui demander pardon de l'avoir offensé par des vers satiriques, et lui offrait la dédicace de ses ouvrages. Voltaire répondit sèchement et poliment, mais refusa de le voir. Merville, désespéré, régla toutes ses affaires, et, après avoir établi le bilan de ses dettes, qu'il chargea un de ses amis, son bienfaiteur, d'acquitter, il sortit de chez celui-ci pour n'y plus rentrer. Son corps fut trouvé le 4 mai 1755, près le village d'Évian; il était né le 1er février 1696. (T.)

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