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Goûtez enfin, goûtez la félicité pure

Que l'amour vous promit, que l'hymen vous assure.
Que de votre bonheur mes yeux soient les témoins;
Les regards d'une mère en sont dignes, du moins.
Ma fille, vos destins sont unis avec d'autres ;
Embellissez des jours où s'attachent les vôtres.
Délassez un héros de ses travaux guerriers.
Vous reçûtes le jour à l'ombre des lauriers.
Le tumulte de Mars, la pompe militaire
Ne peut vous étonner ni vous être étrangère;
La fille de Maurice en doit aimer l'éclat;
Allez le contempler aux murs de Schelestadt;
A quelqu'un de vos traits faites-y reconnaître
Le grand cœur du héros à qui vous devez l'être.
Voilà tous vos devoirs et les voeux que je fais;
Mais, pour les remplir tous, ne m'oubliez jamais.

Je ne connais guère rien de plus moral que cet épithalame, et je doute que le plus beau chapitre sur les courtisanes puisse faire plus d'impression. L'inquiétude d'une mère d'être méprisée et reniée par sa fille prêche plus fortement les mœurs que le traité le plus éloquent.

- On a imprimé une Histoire des malheurs de la famille de Calas, jusqu'après le jugement souverain rendu pour leur justification le 9 mars 1765. Précédée de l'héroide de Marc-Antoine Calas à l'Univers. Brochure in-8° de plus de soixante pages 1. J'ai oublié le nom du faiseur d'héroïdes qui fait ici encore l'office d'historien. On a dit avec raison que la tragédie d'Abbeville était encore plus déplorable que celle de Toulouse, en ce que le crime qu'on imputait faussement au vertueux et infortuné Jean Calas était du moins un crime réel, au lieu que les fautes qui ont coûté la vie au chevalier de La Barre n'étaient que des crimes imaginaires dont le châtiment devait être abandonné à la sévérité paternelle. L'auteur de l'histoire de Calas ne parle seulement pas du don que le roi a fait, après le jugement souverain, à cette respectable famille. Si ce rapsodiste était digne de l'emploi qu'il ose usurper, je lui apprendrais qu'il y a apparence que la souscription pour l'estampe de la famille Calas, malgré les traverses qu'elle a essuyées de la part du Parlement de Paris, produira au moins cinquante mille livres. Je félicite

1. Par Édouard-Thomas Simon.

tous ceux qui ont pris part à cette bonne œuvre, et je les crois amplement récompensés de leurs bienfaits par la satisfaction qu'ils en ont dû recueillir.

Traité des stratagèmes permis à la guerre, ou Remarques sur Polyen et Frontin, avec des observations sur les batailles de Pharsale et d'Arbelles, par M. J. de M., lieutenantcolonel d'infanterie1, écrit in-8° de cent et quelques pages. Ce qui m'a le plus frappé dans cet écrit, c'est l'observation de l'auteur que sur le déclin de l'empire romain, lorsque l'art et la discipline étaient dégénérés, tout le monde eut la manie d'écrire sur la guerre.

- Recherches sur l'art militaire, ou Essai d'application de la fortification à la tactique. Volume grand in-8° de deux cent trente-deux pages. Le but de cet ouvrage, dont l'auteur s'appelle M. de Lo-Looz, est d'appliquer les principes de la fortification à la tactique, et de montrer que c'est le même esprit qui les a dictés. M. de Lo-Looz m'a fait comprendre en effet que les principes de ces deux sciences se ressemblent, excepté dans les cas où ils ne se ressemblent pas. Mais je n'ai garde de dire ce que je pense de M. de Lo-Looz, qui a pris pour épigraphe le mot de Quintilien, que les arts seraient bien heureux s'ils n'avaient pour juges que les gens du métier.

- Je ne sais qui est ce M. de L...2 qui vient de publier un Parallèle entre Descartes et Newton, en vingt-quatre pages in-8°. Il prétend élever l'édifice dont, dit-il, Fontenelle a jeté quelques fondements dans l'Éloge de Newton fait à l'Académie des sciences. M. de L... me paraît un plaisant architecte de vouloir achever en vingt-quatre pages un édifice dont Fontenelle n'a pu jeter que quelques fondements. J'assure M. de L... en ma conscience qu'il n'est pas digne de bâtir sur ces fondements.

-Une Lettre critique adressée à M. de Fontenelle dans les champs Élysées, et une Lettre d'un particulier à un seigneur de la cour ont pour objet de parler un peu de tout, et spécialement d'examiner les inscriptions de la statue de Louis XV. C'est un radotage aussi complet qu'incompréhensible.

Nouveaux Essais en différents genres de littérature, de

1. Joly de Maizeroy. 2. Delisle de Salles.

M. de ***, membre de plusieurs académies des sciences et belleslettres1. Brochure in-12 de cent soixante et quelques pages. Je n'ai pas l'honneur de connaître M. de ***, dont les essais sont en vers et en prose. Je crois qu'on en a déjà lu quelque chose dans le Mercure. L'auteur assure qu'il a été tenté cent fois de jeter ses productions au feu. Que n'a-t-il succombé à cette tentation!

- Le Miroir fidèle, ou Entretiens d'Ariste et de Philindor. Cet ouvrage renferme des réflexions politiques et morales, avec un plan abrégé d'éducation opposé aux principes du citoyen de Genève. Par M. le chevalier de C*** de la B***2. Volume in-12 de près de deux cents pages. C'est une des plus mauvaises productions de l'année.

Idée d'une souscription patriotique en faveur de l'agriculture, du commerce et des arts. Voici un rêveur qui veut établir une souscription gratuite, à laquelle tout bon patriote doit prendre part, et qui sera employée à l'encouragement de toute chose utile suivant la décision des commissaires nommés pour cet effet. Je plains l'auteur si sa pension alimentaire est assignée sur les intérêts du fond de cette souscription.

Les Amours de Paliris et de Dirphé. Volume in-12 de près de deux cents pages. Roman poétique en prose, dans le goût de Daphnis et Chloé et d'autres sujets grecs. Ce roman n'a fait aucune sensation.

- L'Anneau de Gygés, vérité peut-être morale. C'est un petit écrit de vingt-quatre pages in-8°. Vous savez que cet anneau avait la vertu de rendre invisible; un honnête homme qui posséderait cet anneau deviendrait le précepteur du monde, et mettrait ordre à bien des injustices. Celui qui s'en est servi ici est un polisson qui n'a vu que des sottises et des platitudes.

- Le Papillotage, ouvrage comique et moral, de cent trentesix pages in-12, très-digne d'être employé à faire des papillotes, et l'auteur moraliste à les placer et à les passer au fer.

- J'ai oublié de comprendre parmi les proscriptions de l'année dernière, justement méritées, un poëme héroï-comique, intitulé Jupiter et Danaé3.

1. Thorel de Campigneulles.

2. Chimiac de La Bastide.

3. (Par du Rousset.) 1764, in-8°.

SEPTEMBRE.

1er septembre 1766.

Jamais les productions théâtrales n'ont été plus rares que cette année. La Comédie-Française, depuis l'ouverture de son théâtre après Pâques, n'a pas donné la moindre nouveauté. Elle s'était flattée pendant quelque temps d'obtenir la permission de jouer la Partie de chasse de Henri IV, par M. Collé, et il est certain que le nom seul de Henri IV aurait fait porter cette pièce aux nues, quelque médiocre et quelque mal faite qu'elle soit d'ailleurs. Mais la question ayant été agitée dans le conseil d'État du roi, et les avis s'étant trouvés partagés, Sa Majesté s'en est réservé la connaissance, et il a été décidé depuis que la pièce ne serait pas jouée. La tragédie de Barnevelt ayant été également défendue, son auteur, M. Lemierre, en a présenté une autre, intitulée Artaxerce, et imitée du poëme lyrique du célèbre Metastasio. Cette tragédie, qui vient d'être jouée sur le théâtre de la Comédie-Française 1, est sans contredit une des plus belles lanternes magiques que jamais Savoyard ait portées sur son dos. Un roi massacré dans son lit lorsqu'il y pense le moins; son fils, soupçonné de ce meurtre, et immolé par son frère, qui est cependant un garçon vertueux, et qui ne se prête pas sans regret à ces petits expédients, qui en est même un peu fâché lorsqu'il découvre que ce frère, trop promptement expédié, est innocent, mais qui n'en aime pas moins l'auteur et l'exécuteur de ces conseils; celui-ci, tranchant toujours toutes les difficultés par un petit crime, et n'étant contrarié que par un benêt de fils qui ne se sent pas la vocation de son père; deux ou trois complots, une coupe empoisonnée, une bataille, deux victoires remportées sans coup férir; enfin, un bon coup de poignard dans le ventre d'un coquin: voilà certainement une suite de tableaux des plus récréatifs, et M. Lemierre ne manquerait pas de faire fortune en les portant, pendant les soirées de l'hiver, de maison en maison, pour faire venir la chair de

1. Elle fut représentée pour la première fois le 20 août 1765.

poule à tous les enfants et à toutes les bonnes. Les enfants du parterre doivent l'encourager à ce parti. Ils ont bien applaudi sa pièce, et je parie pour huit représentations au moins, et peutêtre pour onze. Il est vrai que tous ces effrayants tableaux ne causent pas la plus légère émotion, et que, malgré le mouvement continuel des acteurs, le spectacle reste froid comme glace; mais les nourrices et les sevreuses, et leurs nourrissons, ne seront pas aussi difficiles à émouvoir.

Je ne prétends pas laver l'illustre Metastasio de toutes les fautes de M. Lemierre. Je sais que son plan est presque aussi vicieux que celui de son imitatenr. C'est un grand malheur que dans les pièces d'un poëte divin, doué de tout le charme de l'harmonie, de la plus séduisante magie de coloris, la contexture de la fable soit presque toujours puérile, et que la partie des mœurs, la plus essentielle de toutes, celle qui donne à un drame de l'importance et le véritable pathétique, y soit entièrement négligée. M. Lemierre ne peut se vanter au fond que d'avoir relevé tous ces défauts par une versification dure et faible, par un style prosaïque et incorrect, qui lutte toujours avec la difficulté de trouver l'expression propre, et qui ne peut la surmonter. Que la paix soit avec M. Lemierre et M. de Belloy! Voilà deux terribles colonnes sur lesquelles la gloire du théâtre français repose. Artaxerce peut faire le pendant de Zelmire. Je souhaite toute sorte de prospérité à M. Lemierre. On dit que c'est un honnête garçon, et qu'il est fort pauvre. Que ne dépend-il de moi de lui donner le talent de Racine!

J'ai appris, le jour de la première représentation d'Artaxerce, à mes dépens, que Mlle de La Chassaigne, qui a débuté l'hiver dernier, et que je croyais renvoyée, a été reçue à l'essai. C'est une maussade créature de plus. Elle a joué dans la petite pièce. Le temps de ces essais est un temps d'épreuves bien dures de la patience des spectateurs.

1. Cette réflexion nous rappelle l'anecdote suivante. Lorsque Voltaire vint, en 1778, à Paris, un concours immense se porta à l'hôtel du marquis de Villette, où était logé le patriarche. Lemierre et de Belloy, en leur qualité d'auteurs tragiques, se crurent dans l'obligation de rendre visite à l'auteur de Zaire. Ils furent trèsbien reçus. « Messieurs, leur dit Voltaire, ce qui me console de quitter la vie, c'est que je laisse après moi MM. Lemierre et de Belloy. » Lemierre racontait souvent cette anecdote, et il ne manquait jamais d'ajouter: Ce pauvre de Belloy ne se doutait pas que Voltaire se moquait de lui. (T.)

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