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Vous avez pu voir, dans le Salon de M. Diderot, que M. de Loutherbourg, peintre de l'Académie, a une fort belle et fort aimable femme. Voyons maintenant si M. Lemierre est plus heureux en chantant les grâces de la beauté qu'en maniant le poignard de Melpomène.

VERS DE M. LEMIERRE A MADAME DE LOUTHERBOURG.

Quel est, dis-moi, charmante Églé,

Cet adorateur de province,

Qui, ne se doutant pas que son talent soit mince,
S'en vient te haranguer de ce ton emmiellé?

Bon Dieu, quel fatras de louanges!
L'amour-propre lui-même en serait ennuyé;

Et tu me fais presque pitié

D'être belle comme les anges.

La cour fait tant d'édits! Eh bien, j'en voudrais un
D'une forme toute nouvelle :

De par le roi, défense à tout sot importun
De faire bâiller une belle

Avec un éloge commun,

Ainsi qu'aux mal bâtis de se mêler de danse,
Aux voix fausses de chant, au peintre de faubourg

De prendre en sa main pesante

Le pinceau qui nous enchante

Sous les doigts de Loutherbourg.

On donne depuis environ un mois, sur le théâtre de la Comédie-Italienne, avec beaucoup de succès, un petit opéracomique intitulé la Clochette, en un acte et en vers1; les paroles de M. Anseaume, la musique de M. Duni. Le poëte a choisi pour sujet de sa pièce le conte de La Fontaine qui porte le même nom. Ce conte n'est pas un des meilleurs du bonhomme. Il n'a rien de piquant. Remarquez qu'il est tout entier de l'invention du bonhomme, et que l'invention était sa partie faible; il n'est original, charmant, divin, que dans ses détails. Aussi ne manque-t-il jamais d'allonger son sujet tant qu'il peut, et dans ses fables et dans ses contes; mais c'est alors qu'il montre tout son génie. Je ne serais pas surpris qu'aux critiques d'un

1. Cette pièce fut représentée pour la première fois le 24 juillet 1766.

goût un peu sévère, sa manière de narrer ne parût pas exempte de reproche, surtout dans les fables: car, pour les contes, comme le genre en lui-même est frivole, le nigaudage et cette facilité avec laquelle le poëte s'abandonne à son imagination naïve et piquante leur donnent un charme et une grâce inexprimables; mais, quelque raison qu'on se crût de blâmer en quelques occasions la manière du poëte, je doute qu'on eût jamais le courage de retrancher une ligne de ses ouvrages; jusqu'aux défauts, tout y est précieux.

Quoique le conte de la Clochette soit peu de chose dans l'original, il était charmant à mettre sur la scène; mais M. Anseaume s'y est bien mal pris et y a bien mal réussi. Sa pièce est froide, plate et mal faite. Sedaine en aurait fait une pièce charmante; mais ce Sedaine ne donne son secret à personne, et aucun de nos faiseurs ne cherche à le lui dérober. Malgré cela, la pièce de M. Anseaume, quoique froide et sans aucun intérêt, a réussi, grâce au jeu de théâtre que la Clochette ne pouvait manquer de produire. La musique en est jolie, quoique d'un goût un peu vieux et d'un style un peu faible. Notre bon papa Duni n'est plus jeune; les idées commencent à lui manquer, et il ne travaille plus que de pratique. Il vient de se mettre en route pour l'Italie; j'ignore si c'est pour y rester ou pour s'y rafraîchir simplement la mémoire. Ce qu'il y a de plus joli, à mon sens, se réduit à l'air de Colinette: Mon cher agneau, quel triste sort! et aux couplets en reproches entre Colin et Colinette: A la fête du village. Le poëte a fait une bévue assez plaisante, dont le parterre ne s'est point aperçu. La scène se passe au milieu des champs, et lorsque Colinette se brouille avec son amant, elle lui dit: Sortez. Il faut croire que lorsqu'elle se brouillera dans sa cabane, elle lui ordonnera de rentrer. Cette observation ne porte, je le sais, que sur une misère; mais elle prouve combien nos représentations théâtrales sont dénuées de vérité, puisque cette platitude n'a choqué personne. On dirait que chaque spectateur, en entrant dans nos salles de spectacle, s'est engagé à laisser la vérité à la porte, à ne lui rien comparer, et à n'exiger, dans ce qu'il verra et ce qu'il entendra, rien qui lui ressemble.

-M. Falconet, sculpteur du roi et professeur de l'Académie royale de peinture et sculpture, vient d'être appelé par

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l'Impératrice de Russie pour exécuter la statue équestre de Pierre le Grand. Cette statue doit être érigée à Pétersbourg, en bronze. Quel monument et quelle entreprise! c'est, de toutes celles qu'un souverain pourrait proposer dans ce siècle, la plus belle, la plus grande, la plus digne d'un homme de génie. Ge que Pierre le Grand a de sauvage et d'étonnant, cet instinct sublime qui guide un prince encore barbare lui-même dans la réformation d'un vaste empire, le rend plus propre au bronze qu'aucun des souverains qui aient jamais existé. Je désire que le génie de M. Falconet soit au niveau de son entreprise. Je désire que M. Thomas, occupé d'un poëme épique dont Pierre le Grand doit être le héros, érige à ce grand homme un monument aussi durable que le bronze de M. Falconet. Le génie de Pierre aura ainsi servi à immortaliser deux Français; et ceux-ci, en transmettant à la postérité les honneurs rendus par Catherine à la mémoire du fondateur de l'empire de Russie, apprendront aux générations suivantes par quels monuments il convient de consacrer la mémoire de l'auguste princesse qui a osé porter à sa perfection l'ouvrage commencé par Pierre le Grand.

M. Falconet emmène avec lui une jeune personne de dixhuit ans, appelée Mile Collot, son élève depuis plus de trois ans, et qui fait le buste avec beaucoup de succès. C'est un phénomène assez rare et peut-être unique. Elle a fait plusieurs bustes d'hommes et de femmes très-ressemblants, et surtout pleins de vie et de caractère. Celui de notre célèbre acteur Préville, en Sganarelle, dans le Médecin malgré lui, est étonnant. Je conserverai celui de M. Diderot, qu'elle a fait pour moi1. Celui de M. le prince de Galitzin, ministre plénipotentiaire de Russie, est parlant comme les autres. Je ne doute pas que, si ces différents bustes avaient été présentés à l'Académie, Mile Collot n'eût été agréée d'une voix unanime; et c'est un honneur que son maître aurait dû lui procurer avant son départ pour Pétersbourg. Cette jeune personne joint à son talent une vérité de caractère et une honnêteté de mœurs tout à fait précieuses. Elle ne manque point d'esprit, assurément, et cet esprit est relevé par une pureté, une vérité, une naïveté de sentiments, qui le rendent

1. Voir sur ce buste la note qui lui est consacrée dans l'Iconographie de Diderot, tome XX, p. 109 des OEuvres complètes.

très-piquant, et qu'elle m'a promis de conserver religieusement. Le jour de son départ, je me ferai dévot, et je prierai jour et nuit Celui qui tient dans ses mains le cœur des souverains, afin qu'il touche celui de l'auguste souveraine de Russie, et qu'il le porte à permettre à Marie-Victoire Collot de faire son buste, et à lui ordonner, quand il sera fait, de l'envoyer à Paris embellir la retraite d'un homme obscur, mais tout rempli de la gloire de Catherine. Et, à chaque répétition de cette prière, j'aurai soin de faire le signe de la croix selon le rite de l'Église grecque, et de m'écrier, avec componction et frémissement d'entrailles Seigneur, ne punis point l'audace et la témérité des vœux de ton serviteur, et regarde en pitié l'excès de sa confiance.

Nous avons fait depuis peu une perte qui mérite d'être remarquée. Mile Randon de Malboissière vient de mourir à la fleur de son âge 1. Elle avait environ dix-huit ou dix-neuf ans. M. de Bucklay, officier dans un de nos régiments irlandais, arriva quelques jours avant sa mort, dans le dessein de l'épouser, mais, dans le fait, pour lui rendre les derniers honneurs. Le jour marqué pour la célébration du mariage fut celui de l'enterrement. Cette jeune personne avait été destinée en mariage au jeune du Tartre, fils d'un célèbre notaire de Paris, et sujet de distinction pour son âge. Ce jeune homme, qui donnait les plus grandes espérances, fut enlevé l'année dernière par une maladie courte et vive, secondée de tout le savoir-faire du médecin Bouvart. On dit que la tendresse de Mlle de Malboissière pour ce jeune homme, et la douleur qu'elle ressentit de sa perte, n'ont pas peu contribué à abréger ses jours. Elle était déjà célèbre à Paris par ses connaissances. Elle entendait et possédait parfaitement sept langues, savoir: le grec, le latin, l'italien, l'espagnol, le français, l'allemand et l'anglais; elle parlait les langues vivantes dans la perfection. On dit ses parents inconsolables de sa perte, et c'est aisé à comprendre.

Cette perte en rappelle une autre non moins sensible :

1. Mme la marquise de La Grange a publié un intéressant recueil des lettres de Laurette de Malboissière (Didier, 1866, in-12). — Du Tartre était fils d'un trèsriche traitant; son père était-il ce du Tartre dont Raynal (voir t. I, p. 255) cite une cruelle repartie à Ballot de Sauvot? Nous avouons que nous n'avons aucune certitude à cet égard, ni sur la véritable orthographe du nom.

c'est celle du chevalier James Macdonald, baronnet, chef de la tribu des montagnards d'Écosse de son nom, décédé à Frascati en Italie, le 26 juillet dernier, à l'âge d'environ vingt-quatre ans. Ce jeune homme vint à Paris après la conclusion de la dernière paix, et y passa près de dix-huit mois. Il étonna tout le monde par la variété et l'étendue de ses connaissances, par la solidité de son jugement, par la justesse et la maturité de son esprit. Pendant tout le temps que je l'ai connu, je n'ai jamais entendu traiter une matière à laquelle il fût, je ne dis pas étranger, mais sur laquelle il n'eût des connaissances rares. Tant de savoir et de mérite dans un jeune homme de vingt ans, de la plus noble simplicité de caractère, et exempt de toute espèce de pédanterie, ne laissait pas de choquer un peu, nonseulement nos agréables à talons rouges, qui, lorsque le chapitre des chevaux, des cochers et de la pièce nouvelle est épuisé, n'ont plus rien à dire, mais en général nos gens du monde, qui, pour avoir vécu cinquante ou soixante ans, n'en sont pas moins ignorants. Mais leur humeur n'empêchait pas le chevalier Macdonald de vivre dans la meilleure compagnie de Paris, et d'y jouir d'une considération qui ne semblait pas faite pour son âge. Le chevalier Macdonald était roux et laid de figure; il n'avait point de grâce ni d'agrément dans l'esprit; l'effet qu'il faisait malgré cela prouve le pouvoir des qualités solides. Ce caractère d'esprit sérieux ne l'empêchait pas d'aimer la poésie, la peinture et la musique, et d'en avoir les meilleurs principes avec un goût naturel, excellent et de la meilleure trempe. Il est mort d'un anévrisme au cœur. L'état de sa santé ne lui a jamais permis d'espérer une longue carrière. Sa passion pour l'étude, et les fatigues d'esprit qu'elle entraîne, peuvent avoir contribué à abréger ses jours. Après avoir passé dix-huit mois à Paris, il s'en retourna en Écosse, respirer son air natal. Il en revint il y a précisément un an, et nous trouvâmes sa santé meilleure. Il partit pour l'Italie, où il vient de succomber, aux regrets de tous ceux qui l'ont connu. C'est un homme rare de moins. Il nous disait quelquefois qu'il avait un frère cadet qui valait mieux que lui, en quelque sens qu'on voulût prendre ce mot. Nous ne connaissons pas ce frère; ainsi il ne peut nous. consoler de la perte de sir James.

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Les pièces qui ont concouru pour le prix de la poésie

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