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que l'Académie française distribue tous les deux ans paraissent successivement. Vous savez que le choix du sujet est abandonné à chaque poëte; et ce n'est que le sujet du prix d'éloquence que l'Académie se réserve de donner. Elle a choisi pour sujet du discours à couronner l'année prochaine, l'éloge du roi de France Charles V, surnommé le Sage. Quant au prix de poésie de cette année, c'est M. de La Harpe qui l'a remporté par une épître en vers, intitulée le Poëte. Son poëme, la Délivrance de Salerne et la fondation du royaume des Deux-Siciles, avait été couronné l'année dernière par l'Académie de Rouen. Ces couronnes académiques sont malheureusement de faibles dédommagements des disgrâces essuyées au théâtre; c'est à la Comédie-Française qu'il eût été doux d'être couronné. On trouve dans l'épître couronnée par l'Académie française des vers bien faits, du style, de la correction, de la sagesse et un ton soutenu; mais on n'y trouve ni chaleur, ni force, ni enthousiasme. Il n'y a là certainement ni ingenium, ni mens divinior, ni os magna sonaturum, ailleurs que dans le passage d'Horace mis en épigraphe sur le titre. Cependant, quel sujet que de tracer le portrait du poëte! et comment est-il possible de rester froid quand on parle à l'être le plus chaud qui existe ? Comment ne se détachet-il pas une étincelle de ce feu qui pénètre et dilate toutes les veines du poëte, pour se glisser dans l'âme de celui qui ose lui donner des préceptes ? C'est là le principal défaut de l'épître couronnée. M. de La Harpe n'est certainement pas un homme. sans talent; mais il manque de sentiment et de chaleur deux points essentiels sans lesquels il est impossible de se promettre du succès dans la carrière de la poésie. Mais quand on lui pardonnerait de ne s'être pas laissé gagner par la chaleur de son sujet, quand on regarderait son épître comme un ouvrage purement didactique, on n'en serait guère plus content. Ce n'est pas que tout ce qu'il y dit ne soit sensé; mais tout cela est si superficiel et si faible que, quand un poëte aurait, dans le plus éminent degré, toutes les qualités que M. de La Harpe exige de lui, il serait encore un assez pauvre homme.

L'Académie a accordé un accessit à une Épitre aux mal

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heureux, présentée par M. Gaillard, si injustement couronné l'année dernière avec M. Thomas. Tout ce qu'on peut dire de cette épître, c'est que M. Gaillard est un gaillard bien triste : il ne voit partout qu'horreur, douleur et maux sans remède. Il saute d'objets en objets, et, à force de toucher à tout, il n'en rend aucun touchant. Son Épître finit par déplorer la perte d'une maîtresse que la mort lui a enlevée. On est un peu étonné de cette chute, après avoir vu le poëte occupé de tous les grands maux de l'univers. Ce morceau est bien faible

Un autre accessit a été accordé à une pièce en vers intitulée la Rapidité de la vie. On la dit de M. Fontaine, nouvelle recrue pour renforcer tout cet essaim de petits poëtes qui s'est formé à Paris depuis quelques années. Ce morceau est encore plus faible que l'Épître de M. Gaillard. Morale triviale et commune que les bavards, qui se décorent du titre d'orateurs sacrés, ont coulée à fond depuis qu'il est d'usage de monter dans une chaire en forme de tonneau renversé, et de débiter une suite de lieux communs au peuple chrétien. Quelques beaux vers cependant. Ce M. Fontaine avait envoyé à l'Académie, pour concourir au prix, un autre Discours en vers sur la philosophie, et il vient de le faire imprimer. Tout ce qu'on en peut dire, c'est que M. Fontaine a de bons principes et de bonnes intentions. Il voudrait faire rougir le genre humain de l'ingratitude dont il a toujours payé ses bienfaiteurs, ceux qui ont osé l'éclairer et combattre les préjugés funestes de leur siècle, dont le peuple, aveuglé et stupide, est à la fois le défenseur et la victime. Ce sujet est grand et beau. Pourquoi faut-il que le poëte qui a osé le choisir ne soit pas au niveau de son sujet ! Malheureusement les fautes d'un siècle ne tournent pas à l'amendement d'un autre. Ce n'est jamais que la postérité qui fait justice des Mélitus et Anitus; et, lorsque les cendres du bon et du méchant, du sage et du fanatique, sont confondues, qu'importe au bonheur du genre humain cette justice inutile et tardive, si elle ne sert du moins à effrayer les Omer sur le jugement de la postérité?

Un poëte qui ne se nomme pas a concouru au prix par une Épitre à une dame qui allaite son enfant. Bavardage trivial, lieux communs qu'on sait par cœur, et que le coloris du poëte ne rend assurément pas intéressants. L'Académie a d'ailleurs publié un extrait de plusieurs pièces qui ont concouru pour le

prix'; et cet extrait prouve ou qu'il n'y a pas un seul sujet d'espérance parmi nos jeunes poëtes, ou, s'il y en a, qu'il ne daigne pas prendre l'Académie pour juge. Elle a mis à la tête de ces extraits deux pages d'une poétique bien mince. Quand le plus illustre corps de la littérature se permet de parler poésie, et de dire ce qu'il désire dans les pièces qu'on lui a adressées, il me semble qu'on devrait remarquer dans ses jugements un sens, une profondeur, une sagesse qui inspirât du respect pour son goût et pour ses lumières. Quand Catherin Fréron dira d'une pièce qui manque de liaison et de succession dans les idées, que c'est comme un cercle qui tourne sur luimême, que c'est du mouvement sans progrès, je le trouverai très-bon; mais quand c'est l'Académie française qui parle si mesquinement, je hausserai les épaules. Elle pourrait ajouter que le poëte ressemble, dans ce cas, à Arlequin courant la poste à s'essouffler sans bouger de sa place.

15 septembre 1766.

L'empire de la Chine est devenu, de notre temps, un objet particulier d'attention, d'étude, de recherches et de raisonnement. Les missionnaires ont d'abord intéressé la curiosité publique par des relations merveilleuses d'un pays très-éloigné qui ne pouvait ni confirmer leur véracité ni réclamer contre leurs mensonges. Les philosophes se sont ensuite emparés de la matière, et en ont tiré, suivant leur usage, un parti étonnant pour s'élever avec force contre les abus qu'ils croyaient bons à détruire dans leur pays. Ensuite les bavards ont imité le ramage des philosophes, et ont fait valoir leurs lieux communs par des amplifications prises à la Chine. Par ce moyen, ce pays est devenu en peu de temps l'asile de la vertu, de la sagesse et de la félicité; son gouvernement, le meilleur possible, comme le plus ancien; sa morale, la plus pure et la plus belle qui soit connue; ses lois, sa police, ses arts, son industrie, autant de modèles à proposer à tous les autres peuples de la terre... Quelle vue sublime! s'est-on écrié, quel ressort puissant que celui qui constitue l'autorité paternelle comme le modèle de l'autorité du

1. Extrait de quelques pièces présentées à l'Académie Française, etc. Paris, Regnard, 1766, in-8°.

gouvernement! Tout l'État, grâce à ce principe, n'est plus qu'une vaste famille où l'équité et la douceur règlent tout, où les gouverneurs, les administrateurs, les magistrats, ne sont que des chefs d'une même famille d'enfants et de frères. Quel pays que celui où l'agriculture est regardée comme la première et la plus noble des professions, et où l'empereur lui-même, à un certain jour de l'année, se met derrière la charrue et laboure une portion d'un champ, afin d'honorer publiquement la condition du laboureur! On sait en quelle recommandation l'étude des lois, de la morale et des lettres est à la Chine; elle seule peut frayer le chemin aux places du gouvernement, depuis la plus petite jusqu'à la plus importante. La morale de Confutzée, que nous nommons vulgairement Confucius, mérite, de l'aveu de tout le monde, les mêmes éloges que les chrétiens ont donnés à la morale de l'Évangile. Si le peuple a ses superstitions, si ses bonzes le repaissent de fables et d'absurdités, tout le corps des lettrés, tout ce qui tient au gouvernement est très-éclairé, n'admet que l'existence d'un Être suprême, ou est même absolument athée. La population prodigieuse de cet empire, en comparaison duquel notre Europe n'est qu'un désert, suffit pour prouver infailliblement que ce peuple est le plus sage et le plus heureux de la terre. Il n'est pas guerrier, à la vérité, et il a été . subjugué; mais voyez la force et le pouvoir de ses lois et de sa morale! les vainqueurs ont été obligés de les adopter et de s'y soumettre en sorte que, vu ces avantages, si le peuple chinois, à l'exemple de la horde juive, voulait se regarder, par fantaisie, comme le peuple choisi de Dieu, à l'exclusion de toutes les autres nations, il ne serait pas aisé de lui disputer cette prérogative.

Il faut convenir qu'un esprit solide, accoutumé à réfléchir, formé par l'expérience, et qui ne s'en laisse pas imposer par des phrases, ne sera pas séduit par ce tableau brillant; il sait trop combien les faits diffèrent ordinairement de la spéculation. Il ne s'inscrira pas précisément en faux contre les dépositions. des panégyristes de la Chine; mais il en doutera sagement. Il ne se prévaudra ni de l'autorité de l'amiral Anson, dans son Voyage autour du monde1, parce qu'enfin il peut avoir eu un

1. A Voyage round the World, in the years 1740 to 1745, by Georges iord

peu d'humeur d'avoir été mal accueilli et trompé par les Chinois; ni de cet autre témoignage du bonhomme John Bell, dont on a traduit la relation l'hiver dernier ', et dont l'autorité paraît d'un poids d'autant plus grand qu'il se défie davantage de ses lumières, et qu'il demande à chaque instant pardon d'avoir vu les choses comme elles sont. Un esprit sage voudra simplement suspendre son jugement; il désirera de passer une vingtaine d'années à la Chine, et d'examiner un peu les choses par lui-même, avant de prendre un parti définitif. Il dira: Quel est le gouvernement dont les principes ne soient fondés sur l'équité, sur la douceur, sur les plus beaux mots de chaque langue? Lisez les édits de tous les empereurs et de tous les rois de la terre, et vous verrez qu'ils sont tous les pères de leurs peuples, et qu'ils ne sont occupés que du bonheur de leurs enfants. Cependant les injustices et les malheurs couvrent la terre entière. C'est une belle institution que celle qui établit des surveillants aux surveillants, qui fait garder ainsi la vertu des uns par la vertu des autres; il est seulement dommage que ceux qui surveillent les surveillants soient des hommes, par conséquent accessibles à toutes les corruptions, à toutes les faiblesses de la nature humaine. Il ne serait donc pas physiquement impossible que tous les mandarins, revêtus de l'autorité paternelle sur les peuples, fussent des hommes intègres et vertueux; mais il est moralement à craindre que, ne pouvant prendre avec l'autorité des pères leurs entrailles, il n'y en ait beaucoup qui ne consultent, dans leurs places, que leur intérêt particulier, et qu'ils ne soient souvent fripons, méchants, rapaces, très-indifférents au moins sur le bien et sur le mal, comme on en accuse certains mandarins en Europe: ce qui n'empêche pas que sur cent il ne se trouve quelquefois un honnête homme, qui soit même assez benêt pour se faire chasser plutôt par ses confrères que de se faire le compagnon de leurs iniquités.

C'est une belle cérémonie, il faut l'avouer, que celle qui met tous les ans l'empereur derrière une charrue; mais il se pourrait qu'à l'exemple de plusieurs étiquettes de nos cours

Anson, compiled from his papers, by Richard Walter, London, 1746, in-4°. Traduit en français par Gua de Malves, Amsterdam, 1749, in-4°.

1. Voyez tome VI, pages 454 et 506.

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