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M. Messance examine aussi s'il est réellement avantageux que le blé soit, comme on dit, à un bon prix, c'est-à-dire au-dessus de ce vil et bas prix auquel on l'achète dans les années abondantes. M. Messance est persuadé que ce bon prix est un cruel impôt sur le menu peuple, c'est-à-dire sur le plus grand nombre. Tout ce qu'il y a de plus certain, c'est que la science du gouvernement est de toutes les sciences la moins avancée, que les problèmes politiques sont si compliqués, les éléments qui les composent si variés et ordinairement si peu connus, les résultats ainsi que la science des faits, la plus nécessaire de toutes, si hasardés et si arbitraires, qu'un bon esprit ne se permettra jamais de rien prononcer sur ces matières; et quand vous aurez lu les Principes de tout gouvernement, ou Examen des causes de la splendeur ou de la faiblesse de tout État considéré en lui-même, et indépendamment des mœurs, qu'un auteur anonyme vient de publier en deux volumes in-12, vous verrez que cette science difficile n'a pas fait un pas sous sa plume.

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Quelle est donc la lumière qui guidera un grand prince au milieu de ces ténèbres, s'il est vrai qu'il nous faut peut-être encore mille ans d'observations rigoureuses sur les faits pour connaître seulement tous les éléments et leurs différents degrés d'action qui entrent essentiellement dans la combinaison d'un effet politique? Outre un esprit éclairé et juste, c'est l'énergie et l'élévation de l'âme. Cette grande âme du prince se répandra bientôt sur tous les ordres de l'État; elle pénétrera dans toutes les parties de l'administration, et imprimera son caractère à tous les actes de son règne, de même qu'un prince d'une trempe commune plongera par sa pusillanimité, ses incertitudes et son inapplication, ses États et ses peuples bientôt dans l'engourdissement, c'est-à-dire dans la plus triste des situations où une nation puisse tomber.

Je ne puis quitter le livre de M. de La Michaudière sans me rappeler l'aventure du chevalier de Lorenzi avec ce magistrat. Le chevalier de Lorenzi, frère de ce comte de Lorenzi qui a été si longtemps ministre de France à Florence, et qui est mort depuis peu; ce chevalier, dis-je, est Florentin, et a servi en

1. D'Auxiron. (B.)

France. C'est un des plus singuliers originaux qu'on puisse rencontrer. Il est d'abord plein d'honneur, d'une douceur et d'une candeur rares. Il a beaucoup de science, mais tout est si bien embrouillé dans sa tête que, lorsqu'il se mêle d'expliquer quelque chose, il dit des galimatias à mourir de rire et qu'il n'y a que lui qui puisse entendre. Il est d'ailleurs, en fait de distractions, au moins égal à ce M. de Brancas du dernier siècle, dont Mme de Sévigné raconte des mots si plaisants. Mme Geoffrin, en nous faisant un jour un sermon sur la gaucherie, cita pour exemples le chevalier de Lorenzi et M. de Burigny, tous deux présents, observant seulement que celui-ci était plus gauche de corps, et l'autre plus gauche d'esprit : ce qui fournit les deux points du sermon. Ajoutez à cela que le chevalier parle avec beaucoup de réflexion, et que son accent italien rend tout ce qu'il dit plus plaisant, et puis, écoutez:

Il y a quelques années que le chevalier de Lorenzi se trouve obligé d'aller à Lyon pour affaires. M. de La Michaudière y était alors intendant. Le chevalier soupe avec lui tout en arrivant chez le commandant de la ville, qui le présente à M. l'intendant. Il y avait à ce souper un ami intime de M. de La Michaudière, qui, le traitant familièrement, l'appelait souvent La Michaudière tout court. Le chevalier imagine que cet homme dit à l'intendant l'ami Chaudière, et en conséquence il l'appelle pendant tout le souper M. Chaudière, et malgré tout ce qu'on peut faire et dire, il ne comprend pas de toute la soirée qu'il estropie le nom de l'intendant d'une manière ridicule. Le lendemain, il est prié à souper chez M. de La Michaudière. Il y avait beaucoup de monde, et entre autres, M. Le Normant1, fermier général, mari de Mme de Pompadour, qui se trouvait à Lyon de passage. Comme le chevalier de Lorenzi ne le connaissait point, il demande à son voisin quel est cet homme qui se trouvait à table vis-à-vis d'eux. Son voisin lui dit à l'oreille que c'est le mari de Mine de Pompadour. Voilà mon chevalier qui appelle M. Le Normant M. de Pompadour pendant tout le souper. L'embarras de tout le monde fut extrême, mais il n'y eut jamais moyen d'expliquer au chevalier de quoi il était question. Voilà son début à Lyon. On ferait un Lorenziana très-précieux,

1. Le Normant d'Étioles.

car tout ce que cet honnête chevalier a dit et fait dans sa vie est marqué au même coin d'originalité. Je lui dois en mon particulier beaucoup, car c'est un des hommes qui m'a le plus fait rire depuis que j'existe.

Dans la disette qui règne cette année sur nos deux théâtres, les Comédiens italiens se sont adressés à M. Favart comme à un autre Joseph, pour avoir du pain. M. Favart leur a donné une espèce de pièce qui a été faite, il y a six mois, pour célébrer la convalescence de Mlle de Mauconseil, après son inoculation. On vient de donner cette pièce sous le titre de la Fête du château, divertissement mêlé de vaudevilles et de petits airs, et, grâce aux danses dont on l'a orné, ce divertissement a réussi. Il ne faut pas être bien difficile sur une bagatelle de cette espèce, ainsi je n'ai garde de la juger à la rigueur; mais ce que je lui reproche, c'est de n'être pas gaie. M. Favart use. ici du secret du grand Poinsinet; il croit que pour rendre une pièce gaie, on n'a qu'à faire dire aux acteurs qu'ils sont joyeux, qu'ils sont gaillards. Ces gaillards sont ordinairement d'une tristesse à vous faire pleurer d'ennui. C'est l'effet que m'a fait la Fête du château en général. Il est vrai que ce détestable genre de l'ancien opéra-comique, qui consiste en vaudevilles et en petits airs, ne manque jamais son effet avec moi; j'en sors moulu, harassé, comme d'un accès de fièvre, et il serait au-dessus de mes forces de voir une pièce de cette espèce deux fois. Il y a pourtant un joli mot dans cette Fête du château. Colette, qui a tout lieu de craindre que son père ne la marie contre son inclination, veut employer le docteur Gentil, médecin, pour médiateur. « Du moins, je vous demande une grâce, lui dit-elle. Quoi ?... C'est de dire à mon père que je suis sa fille. » Ce mot est à la fois vrai, naïf et plaisant. Au reste, vous croyez bien qu'il est question d'inoculation dans cette pièce, et que M. le docteur Gentil est un médecin des plus agréables et des plus à la mode, ce qui ne l'empêche pas d'épouser à la fin la concierge du château. Mlle de Mauconseil, premier objet de cette fête, et dont la beauté mérite d'être célébrée par tous nos poëtes, va épouser M. le prince d'Hénin, de la maison Le Bossu d'Alsace; et cet événement donnera sans

1. Il fut représenté le 2 octobre 1766.

doute occasion à M. Favart de faire une nouvelle Fête du château, qui nous reviendra si la disette sur nos théâtres subsiste.

-Puisque M. Favart a eu le malheur de nous rappeler M. Poinsinet, il faut dire que celui-ci a aussi fait imprimer une espèce de divertissement théâtral, représenté à Dijon à l'occasion de l'arrivée de M. le prince de Condé, pour tenir les états de Bourgogne. Ce divertissement est intitulé le Choix des Dieux, ou les Fêtes de Bourgogne. Vous y trouverez les dieux de la Grèce, les Muses et les Grâces, travestis en paysans bourguignons. Il fallait appeler cette pièce: Poinsinet, toujours Poinsinet.

On a imprimé un Essai théorique et pratique sur les maladies des nerfs, écrit de soixante-dix pages in-121. Je crois, d'après de grandes autorités, les vomitifs et les purgatifs trèsnuisibles dans les affections nerveuses; ainsi un malade ferait assez mal de se fier à l'auteur de cet Essai. Au reste, nous avons ici depuis peu M. Pomme, soi-disant médecin d'Arles, et qui prétend guérir toutes les femmes de Paris de leurs vapeurs; il en a déjà des plus qualifiées sous sa direction, et il ne tardera pas sûrement à avoir de la vogue. Ce métier est excellent: on n'y risque rien, et l'on ne peut manquer de s'y enrichir; il ne s'agit que du plus ou du moins de fortune, suivant qu'on est bon ou méchant menteur. Le célèbre Printemps, soldat aux gardes-françaises, eut la plus grande vogue il y a quelques années il donnait à tous ses malades une tisane qui n'était autre chose qu'une décoction de foin dans de l'eau; il prenait ses malades pour des bêtes, et il n'avait pas tort. Bientôt cette décoction le mit en état de donner de bon fourrage sec à deux chevaux, qu'il mit devant un bon carrosse dans lequel il allait voir ses malades, tandis que maint docteur régent de la Faculté faisait sa tournée à pied et dans la boue. Aussi la Faculté présenta-t-elle requête à M. le maréchal de Biron pour obliger Printemps de mettre équipage bas et de réserver tout le foin à ses malades.

Nous devons à la plume intarissable de l'illustre patriarche de Ferney un Commentaire sur le livre des Délits et des Peines, par un avocat de province. C'est une brochure in-8° de cent vingt pages, qu'on ne trouve pas à Paris. On voit

1. Par Milhard, ex-jésuite. (B.)

1

que la tragédie d'Abbeville et le procès qui pend en Bretagne 1 ont particulièrement donné lieu à cette brochure, quoique M. l'avocat de province n'ait eu garde de se livrer à tout ce que le patriarche aurait pu lui suggérer sur ces deux objets. En général, ce Commentaire est très-superficiel; il n'est pas permis de traiter avec cette légèreté les plaies les plus funestes du genre humain. Il n'en est pas de la barbarie des lois comme de quelque mauvaise règle de poétique qui peut pervertir le goût public. La première attaque les droits sacrés de l'humanité, et lorsqu'on se permet de parler de ses déplorables effets, si ce n'est pas l'indignation la plus juste qui entraîne, il faut que le sujet soit traité avec l'éloquence la plus touchante. Il faut arracher au fanatisme son glaive, et à la calomnie la livrée et la sauvegarde des lois. Un autre tort de M. l'avocat de province, c'est de suivre mal à propos le projet favori du patriarche de démolir la religion chrétienne. Chaque chose a son temps, et il ne faut pas confondre les matières quand on a à cœur l'amendement du genre humain. Au reste, je me flatte qu'il n'y a pas un mot de vrai à l'aventure que l'auteur raconte d'une fille de famille mise à mort pour avoir accouché clandestinement et exposé son enfant dans la rue, où ensuite il a été trouvé mort. Il serait trop déplorable que de semblables scènes d'horreur se renouvelassent en France à tout moment, et la postérité serait à la fin en droit de nous prendre pour des Hottentots, avec notre beau siècle philosophique. Il faut chercher cette brochure en Suisse, où elle a été imprimée. Paris jouit du privilége de ne plus rien recevoir de tous ces poisons. Cette prérogative commence à devenir fort ennuyeuse.

15 octobre 1766.

Il y a environ trois mois qu'on reçut à Paris les premières nouvelles de la brouillerie de J.-J. Rousseau avec M. Hume. Excellente pâture pour les oisifs! Aussi une déclaration de guerre entre deux grandes puissances de l'Europe n'aurait pu faire plus de bruit que cette querelle. Je dis à Paris : car à Londres, où il y a des acteurs plus importants à siffler, on sut à

1. Le procès de La Chalotais.

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