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par exemple, avec ses pantoufles, croyant les avoir quittées. M. Tronchin, consulté par le malade, lui a fait sentir que son état était une suite nécessaire, et par conséquent irrémédiable, de la vieillesse d'un corps usé par les travaux et les fatigues de toute espèce, même du plaisir. Il lui a, en conséquence, ordonné beaucoup de ménagements et point de remèdes, et lui a d'ailleurs interdit toute espèce d'exercice violent, d'application, et surtout le devoir conjugal. Peu de personnes, en effet, ont essuyé et supporté des fatigues plus étonnantes que M. de La Condamine. Après l'arrêt de défense prononcé par M. Tronchin, le malade a chanté son infortune dans les vers suivants :

J'ai lu que Daphné devint arbre,
Et que, par un plus triste sort,
Niobé fut changée en marbre.
Sans être l'un ni l'autre encor,
Déjà mes fibres se roidissent;
Je sens que mes pieds et mes mains
Insensiblement s'engourdissent,
En dépit de l'art des Tronchins.
D'un corps jadis sain et robuste,
Qui bravait saisons et climats,
Les vents brûlants et les frimas,
Il ne me reste que le buste.
Malgré mes nerfs demi-perclus,
Destin auquel je me résigne,
De la santé, que je n'ai plus,
Je conserve encore le signe.
Mais las! je le con-erve en vain :
On me défend d'en faire usage;

Ma moitié, vertueuse et sage,

Au lieu de s'en plaindre, me plaint.
Sa mère, en platonicienne,

Dit « Qu'est-ce que cela vous fait ?

:

N'avez-vous pas la tête saine ?

De quoi donc avez-vous regret?

Madame, à cette triste épreuve

Sitôt je ne m'attendais pas,

Ni que ma femme, entre mes bras,

De mon vivant deviendrait veuve.

On a distribué secrètement un écrit de plus de deux cents pages in-12, bien serrées, intitulé Des Commission, extraordinaires en matière criminelle, avec cette belle épigraphe tirée

de Tacite, qui sera toujours la devise du souverain jaloux d'être un objet de vénération lorsque l'intérêt et la flatterie seront condamnés au silence: Nerva Casar res olim dissociabiles miscuit, principatum ac libertatem, auxitque facilitatem imperii Nerva Trajanus. Tout considéré, il vaut mieux ressembler à Titus, à Trajan, aux Antonins, qu'aux Claude et aux Caligula. La circonstance actuelle du fameux procès en Bretagne a donné une vogue étonnante à cet écrit, qui a été attribué par quelques-uns à M. Lambert, conseiller au Parlement de Paris, fort connu 1. La fin en vaut infiniment mieux que le commencement. L'auteur y passe en revue toutes ces célèbres victimes qui ont été sacrifiées en différents temps de la monarchie, par des commissions extraordinaires, à la haine et à la puissance de leurs ennemis. L'auteur dit à cette occasion des choses fort touchantes; tout bon Français lira avec émotion son apostrophe à Henri IV, et deux ou trois autres morceaux de cette trempe. Mais le commencement de l'écrit est d'un pauvre homme. L'auteur s'y récrie sur la constitution française, admirable sans doute, en ce que tous les ordres de citoyens y ont des prétentions, et qu'aucun d'entre eux n'a un seul droit incontestable et indépendant de la volonté du prince. J'appelle droit incontestable celui qui n'a jamais été disputé ni enlevé à un citoyen, et je n'en trouve pas qui mérite ce nom en France, si ce n'est celui qu'ont les ducs de faire entrer leurs carrosses dans la cour royale et les duchesses de prendre le tabouret chez la reine. L'auteur de l'écrit dont nous parlons ferait un code de droit public, à coup sûr pitoyable, s'il en était chargé. Il étend le pouvoir du souverain et la prérogative royale tant qu'on veut; mais aussi il renouvelle toutes les prétentions des parlements, qu'il veut nous faire regarder comme les représentants de la nation. Il faut compter sur des lecteurs peu instruits dans l'histoire, quand on veut leur faire adopter ces maximes. Son début est surtout bien absurde: « Ce spectacle, dit-il, si admirable d'un gouvernement heureux qui sait accorder la puissance du souverain avec la liberté légitime des sujets, que Rome ne fit qu'entrevoir sous le règne adoré des Trajans, nés

1. Attribué aussi à Le Paige, bailli du Temple, cet écrit est de Chaillou, avocat au parlement de Bretagne; il a été réimprimé avec additions à Rennes, en 1789, sous le titre De la Stabilité des lois.

VII.

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pour la consoler un moment de l'odieux despotisme sous lequel elle avait gémi et sous lequel elle retomba, la constitution de la monarchie française l'offre à l'Europe, sans interruption, depuis quatorze siècles. » Voilà qui est bien trouvé! Ce spectacle n'a-t-il pas été bien admirable sous le débonnaire Louis XI, sous le tendre cardinal de Richelieu? La France, avec sa constitution tant vantée, a eu précisément l'avantage de Rome sous ses empereurs, et de tous les empires de la terre, c'est-à-dire d'avoir été heureuse sous de bons rois, et d'avoir gémi sous le poids de l'oppression et de la calamité publique sous ses mauvais princes. Mais que les moments de bonheur ont été rares en France comme partout ailleurs! A peine l'auteur en trouverait-il deux ou trois dans l'intervalle de ses quatorze siècles. Un auteur de droit public qui raisonne comme le nôtre peut se vanter d'être encore de trois ou quatre siècles en arrière de la bonne philosophie.

-M. de Voltaire n'a pas gardé le silence dans la querelle de M. Hume avec M. Rousseau. Il a fait imprimer une petite lettre adressée à M. Hume, où il a, pour ainsi dire, donné le coup de grâce à ce pauvre Jean-Jacques. Cette lettre a eu beaucoup de succès à Paris, et elle a peut-être fait plus de tort à M. Rousseau que la brochure de M. Hume. Elle est écrite avec une grande gaieté. Je suis étonné que M. de Voltaire n'ait pas donné un précis plus exact de la première lettre de Jean-Jacques, qu'il rapporte. Elle commençait : « Je vous hais, parce que vous corrompez ma patrie en faisant jouer la comédie » ; et elle finissait : « Je frémis quand je pense que, lorsque vous mourrez sur les terres de ma patrie, vous serez enterré avec honneur; tandis que, lorsque je mourrai dans votre pays, mon corps sera jeté à la voirie. » Cette petite lettre de M. de Voltaire a été réimprimée tout de suite à Paris 1. On y a seulement retranché le passage suivant :

« Quelques ex-jésuites ont fourni à des évêques des libelles diffamatoires sous le nom de mandements. Les parlements les ont fait brûler. Cela s'est oublié au bout de quinze jours. »

Il faut placer ce passage après ces mots : << Il y a des

1. Cette lettre de Voltaire à Hume, renfermant la lettre de Rousseau à Voltaire, se trouve dans la correspondance générale de ce dernier, à la date du 24 octobre 1766. Le passage cité ci-après y a été rétabli. (T.)

sottises et des querelles dans toutes les conditions de la vie. Le libraire de Paris a ajouté à son édition la Lettre de M. de Voltaire à Jean-Jacques Pansophe, imprimée depuis plusieurs mois à Londres, mais qui ne s'était pas répandue en France 1. Cette lettre est aussi tronquée en quelques endroits, autant que je puis m'en souvenir. Je me rappelle très-bien, par exemple, que la profession de foi que M. de Voltaire opposait à celle de Jean-Jacques Pansophe commençait ainsi : « Je crois en Dieu de tout mon cœur, et en la religion chrétienne de toutes mes forces. » Au reste, M. de Voltaire persiste à dire que cette lettre n'est point de lui. Il prétend qu'elle est de M. l'abbé Coyer. Je conseille à l'abbé Coyer de prendre M. de Voltaire au mot, et nous dirons que cette lettre est ce que M. l'abbé Coyer a écrit de mieux, quoique je n'aie pas encore pu vaincre la conviction intérieure qui me crie qu'elle appartient à M. de Voltaire, malgré toutes ses protestations. M. Rousseau, de son côté, a écrit à son libraire de Paris, après la lecture de l'Exposé succinct, qu'il trouve M. Hume bien insultant pour un bon homme et bien bruyant pour un philosophe, et qu'il trouve surtout les éditeurs bien hardis. Du reste, il ne s'explique pas davantage. Il paraît que tout ce qu'il avait de partisans parmi les personnes de premier rang, nommément M. le prince de Conti et Mine la comtesse de Boufflers, ont pris fait et cause pour M. Hume. Si M. Rousseau était sage, il laisserait tomber toute cette absurde et vilaine querelle; il se hâterait de donner quelque nouvel ouvrage dont le succès effacerait bientôt, du moins pour quelque temps, jusqu'au souvenir de ses torts.

Ce qui vaut un peu mieux que cette tracasserie, beaucoup trop fameuse, c'est que M. de Voltaire vient d'envoyer à son ami M. d'Argental, chargé de tout temps du département tragique, une tragédie toute nouvelle qui a été reçue à la Comédie-Française par acclamation. On dit que nous y verrons le contraste des mœurs des Scythes avec les mœurs asiatiques, et que le sujet est d'ailleurs entièrement d'invention. On dit aussi que le patriarche travaille à un roman théologique; et pour peu

1. Voir précédemment, page 33.

2. En attribuant à l'abbé Coyer la Lettre au docteur Pansophe, Voltaire était dans l'erreur. L'auteur, nous l'avons déjà dit, était Borde de Lyon. (T.)

qu'il ressemble au roman théologique de Candide, il ne manquera pas d'être édifiant. Il a aussi, dans une nouvelle édition que nous ne connaissons pas, augmenté du double le Commentaire sur le Traité des Délits et des Peines; mais il ne paraît pas que les trois dialogues dont j'ai eu l'honneur de vous parler aient jamais existé.

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Comme nos Académies sont en usage de célébrer la fête du roi, il nous revient tous les ans un panégyrique de saint Louis, prêché devant l'Académie française, et un autre devant les Académies des sciences et des belles-lettres réunies. C'est un présent dont nous nous passerions fort bien. L'année dernière, c'était M. l'abbé Le Cren qui prêcha devant l'Académie française1; cette année, ç'a été M. l'abbé de Vammale, secrétaire de l'archevêque de Toulouse 2. M. l'abbé Planchot a prêché devant l'Académie des belles-lettres et des sciences. Tous les ans on dit, de fondation, que le panégyrique de saint Louis a été très-beau, et tous les ans c'est un verbiage que personne ne regarde. Saint Louis y est prôné comme un des plus grands rois qui aient jamais été. Je pense que l'auteur de l'écrit Des Commissions en est bien convaincu, et qu'à son avis le siècle de saint Louis est un très-beau siècle. Il ne faut pas disputer des goûts. Les Français disent que si ce grand roi a été entraîné par les erreurs de son siècle, il en a préparé un meilleur. Quelle préparation et quel préparateur! Qu'ils fassent donc une bonne fois le parallèle de ce benêt couronné avec Gustave Wasa ou Pierre le Grand, qui ont aussi préparé, quoique M. l'abbé Le Cren et M. l'abbé Planchot n'aient pas encore prononcé leur panégyrique.

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Mine Riccoboni vient de nous faire présent d'un nouveau roman en deux parties, intitulé Lettres d'Adélaïde de Dammartin, comtesse de Sancerre, à M. le comte de Nancé, son ami. C'est toujours le style et la manière de Me Riccoboni. Cette manière est pleine de grâces et d'agréments. Un style rapide, léger, concis; des réflexions souvent vraies, toujours fines. Mais il faut convenir aussi que le fond de ce roman est peu de chose, que la fable n'en est pas très-heureuse, et que la lecture

1. Son Panegyrique a été imprimé, 1765, in-12.

2. 1766, in-8°.

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