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discours en prose de trente-six pages 1. Cette édition est ornée d'estampes, et soignée comme tout ce que M. Dorat fait imprimer. Ce jeune homme a certainement le talent des vers; il a même une manière à lui qui est agréable et brillante; mais il a deux grands défauts: premièrement, il fait trop de vers, et la sobriété n'est nulle part plus nécessaire qu'en poésie; en second lieu, il manque d'idées. On lit tout un poëme comme celui-ci; on entend un ramage assez agréable, mais qui ne signifie rien, et dont il ne reste rien. C'est que ces jeunes gens veulent se faire une réputation dans les lettres sans étudier, sans rien apprendre. Ils se font piliers des spectacles. De la Comédie ils vont souper en ville, se couchent tard, se lèvent plus tard encore, courent le matin les rues et les promenades publiques en chenille 2, et pensent qu'avec une vie aussi dissipée on peut parvenir au temple de Mémoire. Ce n'était sûrement pas là la vie de Virgile, d'Horace, de Catulle. Je crains que M. Dorat, avec son petit talent, ne fasse jamais rien qui vaille, et j'en suis fâché. Il devrait bien renoncer à écrire en prose; ses discours préliminaires sont de dure et de fade digestion. Au reste, il faut être juste, et convenir qu'un poëme comme celui de la Déclamation théâtrale aurait fait de la réputation à un poëte, il y a quarante ans, et l'aurait peut-être mis de l'Académie française; aujourd'hui, une telle production est à peine aperçue. Le public est donc devenu bien sévère ? Pas à l'excès; mais c'est qu'il était trop facile, et même plat, il y a quarante ou cinquante ans. Le premier chant de ce poëme traite de la tragédie; le second, de la comédie; le troisième, de l'opéra. L'auteur a dans son portefeuille un quatrième chant, de la danse, et il aurait dû retarder cette nouvelle édition pour ajouter ce quatrième chant, et rendre ainsi son poëme complet. Ce supplément nous procurera encore une nouvelle édition de ce poëme dans quelque temps d'ici.

M. Dorat a une singulière manie ou une singulière gaucherie dans l'esprit. Il s'est avisé d'adresser des épîtres à tous les gens célèbres ou à la mode, sans les connaître, sans être lié avec eux; et il a toujours trouvé le secret de les offenser

1. Déclamation théâtrale, 1766, in-8°. Frontispice et trois figures d'Eisen, gravées par De Ghendt.

2. Être en chenille signifiait alors étre en costume non habillé. (T.)

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dans des vers qu'il se proposait de faire à leur louange. Dans l'épître adressée à la belle Hollandaise, Mme Pater, il fait la satire de la Hollande1. Dans une autre, à M. David Hume, il dit le diable des Anglais. 11 offense Me Clairon d'une manière très-sensible dans une épître qu'il s'avise de lui adresser. Aujourd'hui il met le comble à cette folie, en adressant une épître à M. de Voltaire sur la complaisance qu'il a d'écrire à tout le monde. Cette épître, remplie de traits satiriques, a été lue et répandue par l'auteur et par ses amis dans plusieurs cercles. Quelques gens sensés ont représenté à M. Dorat qu'il était fort imprudent à lui de faire une satire contre M. de Voltaire, de s'en faire un ennemi sans nécessité, et de briguer ainsi une place dans quelque facétie entre l'ivrogne Fréron et l'archidiacre Trublet. M. Dorat a paru sentir la justesse de ces réflexions, mais vous ne devineriez jamais le parti qu'elles lui ont fait prendre. C'est de faire imprimer cette épître, de peur, dit-il, qu'une copie infidèle et défigurée par la malignité ne tombe entre les mains de M. de Voltaire. Il est vrai qu'en la faisant imprimer, il en a supprimé les traits les plus mordants; il en a affaibli plusieurs autres, et il croit qu'elle pourra passer ainsi sans trop fâcher M. de Voltaire; mais, moi, je crois qu'il se trompe. Il finit son épître par ces deux vers:

Je viens de rire à tes dépens,

Et je vais pleurer à Mérope.

M. de Voltaire n'aime pas qu'on rie à ses dépens; il a fait ses preuves à cet égard, et je pense qu'il le prouvera aussi à M. Dorat; et que, si M. Dorat aime à rire aux dépens de M. de Voltaire, il n'aura pas longtemps les rieurs de son côté. Cette épitre du rieur Dorat est suivie de deux autres. La première, adressée à M. de Pezay sur son voyage en Suisse, est en revanche un panégyrique du patriarche de Ferney; c'est le contre

1. Mme Pater était la femme d'un riche banquier hollandais. Quand elle arriva à Paris, son renom de beauté mit bientôt en émoi tous les hommes à la mode. Quelques-uns ayant, un jour, trouvé le moyen de se faire présenter chez elle, M. Pater, auquel leur manége n'échappait point, leur dit en les reconduisant : « Messieurs, nous aurons toujours beaucoup de plaisir à vous voir; mais je vous préviens qu'il n'y a rien à faire ici; car je ne sors pas de la journée, et la nuit je couche avec ma femme. » (T.) Voyez t. VI, p. 175.

poison de la première. Vous l'avez lue dans son temps à la suite de ces feuilles. La seconde, adressée à M. de Saint-Foix, auteur de la petite comédie des Grâces, est peu de chose. Ces trois morceaux ont paru sous le titre de Bagatelles anonymes 1.

Ce n'est pas tout: M. Dorat a aussi voulu dire son mot sur la querelle de M. Rousseau avec M. Hume, en tant que M. de Voltaire s'en est mêlé par la lettre adressée à ce sujet au philosophe écossais. M. Dorat vient de faire imprimer un Avis aux sages du siècle, c'est-à-dire à M. de Voltaire et à M. Rousseau. Cet avis est en vers, et l'auteur fait observer à ces messieurs :

Que grâce à leurs dissensions,

Souvent les précepteurs du monde

En sont devenus les bouffons.

Moi, j'observe à M. Dorat que les précepteurs du monde donneront à lui, écolier, cent coups de verge bien appliqués. On a imprimé en Hollande une traduction du Premier Alcibiade de Platon, par M. Lefèvre, petit in-8° de près de cent pages. Je ne connais pas ce M. Lefèvre; mais je sais qu'il traduit fort mal les dialogues de Platon. Il convient même qu'il n'aime pas à se donner beaucoup de peine, qu'il écrit à peu près comme il parle, et que le soir il donne à l'imprimeur ce qu'il a composé le matin. Or, en lisant sa préface, vous trouverez que cet homme, qui écrit comme il parle, parle comme un franc polisson. Il dit qu'il est bien aise de faire plaisir au public par ses traductions, mais qu'il est bien aise aussi de ne pas se chagriner, en se distillant la cervelle sur la préférence que tel mot pourrait disputer à l'exclusion de tel autre mot; que d'ailleurs ce qui n'est pas bon aujourd'hui le sera peut-être demain. Et c'est un homme qui parle, qui écrit, qui s'exprime ainsi, qui ose entreprendre de traduire les entretiens divins de Socrate! Il faudrait, en punition de cette entreprise sacrilége, condamner cet impie à servir, pendant l'espace de trois ans, de fac

1. Bagatelles anonymes, recueillies par un amateur, Genève (Paris), 1766, in-8°, vignette et cul-de-lampe d'Eisen, gravés par Née.

2. In-8°, 8 pages, avec un joli frontispice anonyme représentant Voltaire et Rousseau, tous deux très-rajeunis, se montrant le poing dans un jardin dessiné à la française. Un exemplaire de cette pièce, très-rare et inconnue aux bibliographes, figurait dans la vente de M Léon Sapin (1878), no 1140.

teur à l'Année littéraire et autres ordures de cette espèce. Malgré cet aveu, il a l'impertinence de dire que, pour trancher court, il aura obligation à qui le convaincra de faux dans sa traduction. Ce Lefèvre est à coup sûr quelque provincial; car, à Paris, les plus détestables barbouilleurs n'écrivent pas de ces sottises 1.

Malgré l'impertinence du traducteur, vous lirez ce dialogue entre Socrate et Alcibiade avec un grand plaisir; vous sentirez, en lisant, ce charme inexprimable, cette dignité de votre être, cette élévation que la philosophie socratique sait si bien inspirer, et que M. Lefèvre n'a pu défigurer entièrement. Vous y trouverez cette subtilité de raisonnement particulière au divin Socrate, qui touche immédiatement à la subtilité des sophistes, et qui en est cependant si éloignée. Vous verrez dans Alcibiade le modèle d'un petit-maître d'Athènes aussi différent d'un freluquet de Paris que le gouvernement d'Athènes l'était de celui de France, et dans Socrate ce caractère de gravité, de sérénité et de supériorité auquel aucun philosophe moderne n'atteindra jamais, parce que, dans nos gouvernements, le philosophe et l'homme d'État ne sont jamais réunis dans la même personne, et qu'ils n'étaient jamais séparés dans les gouvernements anciens. Le but de Socrate, dans ce dialogue, c'est de prouver à Alcibiade qu'aucune chose ne saurait être utile, si elle n'est en même temps belle, honnête et juste; et il faut voir avec quel art il montre à son jeune homme l'absurdité de ses discours, quoique ces discours soient d'Alcibiade, c'est-à-dire d'un jeune homme plein d'esprit. Socrate traite à fond le chapitre de la nature humaine, de ses faiblesses, de ses défauts, des moyens de la fortifier et de la rendre meilleure par les soins que nous devons prendre de nous-mêmes. Le charme de cette lecture nous dédommage un peu de cette foule d'insipides brochures dont nous sommes accablés.

1. Grimm traite fort cavalièrement Tanneguy Lefèvre (né en 1615, mort en 1672), comme traducteur du Premier Alcibiade de Platon. Il avoue, au reste, qu'il ne connaît pas ce M. Lefèvre. Comment le style de ce traducteur, qu'on n'a jamais accusé de ne pas savoir le grec, n'a-t-il pas fait sentir à Grimm qu'il avait sous les yeux un ouvrage du XVIIe siècle? En effet, Tanneguy Lefèvre, père de l'illustre Mme Dacier, était mort en 1672, et ce fut le professeur hollandais Rhunkenius qui reproduisit à Amsterdam, en 1766, avec des corrections, sa traduction du Premier Alcibiade de Platon, imprimée dès 1666. (B.)

pas

On a traduit de l'italien des Pensées sur le bonheur, petite brochure in-12 de soixante-quatre pages. Vous lirez ces Pensées avec quelque plaisir. Elles sont d'un esprit juste, qui ne manque de finesse; et puisqu'il est dit qu'on ne pourra jamais écrire sur le bonheur que froidement, contentons-nous de ces Pensées. L'auteur est M. le comte de Verri, Milanais, qui vient de quitter la carrière des lettres pour celle des affaires, M. le comte de Firmian lui ayant procuré une place à Milan. La traduction des Pensées sur le bonheur nous vient de Suisse 1. M. le comte de Verri était un des principaux membres de cette coterie de Milan qui s'est réunie pour cultiver les lettres et la philosophie. Elle a publié pendant quelque temps une feuille périodique intitulée le Café, où l'on trouve des choses précieuses de plus d'un genre. Nous avons eu la satisfaction de voir ici deux membres de cette société : l'un, le marquis Beccaria, auteur du livre Des Délits et des Peines; l'autre, le frère cadet du comte de Verri. Ce dernier, qui n'a pas vingt-quatre ans, d'une figure trèsagréable, a de la grâce et de la finesse dans l'esprit. Il est auteur de plusieurs feuilles du Café. Le marquis Beccaria porte sur son visage ce caractère de bonté et de simplicité lombardes qu'on retrouve avec tant de plaisir dans son livre. Nous n'avons pu le garder qu'un mois, au bout duquel il a repris la route de Milan. On dit qu'il a épousé une jeune femme contre le gré de ses parents, et qu'il en est excessivement amoureux et jaloux. On ajoute que, malgré sa douceur, il est naturellement porté à l'inquiétude et à la jalousie; et je le croirais volontiers. On prétendait qu'une brouillerie avec sa femme nous l'avait inopinément amené, et que le raccommodement survenu nous l'avait de même arraché au bout de quelques semaines. On dit aussi que sa douce moitié est fort jolie, et qu'elle n'est pas inexorable pour ceux qui soupirent autour d'elle. Pauvres philosophes, voilà ce que c'est que de nous! Un regard de la beauté nous attire ou nous renvoie à cent lieues, nous fait passer et repasser les Alpes à sa fantaisie. Pour le jeune comte de Verri, il a laissé son ami reprendre la route de Milan, et est allé faire un tour à Londres avec le P. Frisi, Milanais, barnabite, géomètre habile, professeur de mathéma

1. Mingard était l'auteur de cette traduction.

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