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l'on se connaît le moins en inscriptions, et où l'on en fait du plus mauvais goût. On voit aussi sur ce mausolée le médaillon de M. de Maupertuis; mais il n'est pas ressemblant. Ce monument est donc plutôt érigé à l'honneur du fils qu'à celui du père, quoique les cendres du fils reposent loin d'ici chez les capucins de Bâle, où Maupertuis est mort en odeur de sainteté, victime d'un caractère inquiet, envieux et ambitieux outre mesure1. Tout ce que je me souviens d'avoir ouï dire de son père, c'est qu'il était excessivement avare. Maupertuis lui amenait tous les jours à dîner quelques beaux esprits ramassés au café ou à la promenade. Toute cette jeunesse mangeait, buvait, et n'avait jamais assez, et le père Moreau n'aimait pas cela. M. d'Alembert seul avait fait sa conquête. «C'est un joli garçon que ce d'Alembert, disait-il à son fils; cela ne boit point de vin, cela ne prend point de café, cela fait plaisir à voir à une table... » M. de Maupertuis n'a été ni avare ni heureux comme son père. Un amour démesuré de la célébrité a empoisonné et abrégé ses jours. Il affectait en tout une grande singularité, afin d'être remarqué. Il voulait surtout l'être du peuple, dans les promenades et autres lieux publics, et il y réussissait par des accoutrements bizarres et discordants. Il n'aimait pas la société de ses égaux. Jaloux à l'excès de toute gloire littéraire, il était toujours malheureux de se trouver avec ceux qui pouvaient la disputer ou la partager. Il avait affecté une grande amitié pour la femme de chambre de Mme la duchesse d'Aiguillon, qu'il voyait beaucoup; mais si l'on n'avait jamais dit dans le salon de Mine d'Aiguillon que Maupertuis était monté à l'entresol de Mile Julie, je crois que sa liaison avec Mlle Julie aurait peu duré. Il prétendait aussi avoir conçu une passion violente pour une jeune Laponne qu'il avait amenée en France, et qui y est morte. Il aimait à chanter des couplets qu'il avait faits pour elle sous le pôle, et qu'il faut conserver ici :

me

Pour fuir l'amour,

En vain l'on court
Jusqu'au cercle polaire :
Dieux! qui croiroit

1. Maupertuis (Pierre-Louis Moreau de), né à Saint-Malo, le 17 juillet 1698,

mourut à Bâle, le 27 juillet 1759.

Qu'en cet endroit

On eût trouvé Cythère !

Dans les frimas

De ces climats,
Christine nous enchante;

Et tous les lieux

Où sont ses yeux

Font la zone brûlante.

L'astre du jour

A ce séjour
Refuse sa lumière;

Et ses attraits

Sont désormais
L'astre qui nous éclaire.

Le soleil luit;

Des jours sans nuit
Bientôt il nous destine;
Mais ces longs jours

Seront trop courts

Passés près de Christine.

Le mausolée qui a donné lieu à cette petite digression est de M. Huez, de l'Académie royale de sculpture. Ce monument ne rendra pas à M. Huez l'immortalité qu'il donne au père de Maupertuis. Il y a là un ange gardien des cendres de M. Moreau qui a l'air plus lourd et plus paysan qu'un chantre d'une paroisse de village. Sa draperie est aussi lourde que toute sa figure, qui est de proportion colossale.

-M. Léonard vient de publier des Idylles morales1, en vers, au nombre de six. Le but de l'auteur était de peindre les premiers sentiments doux et honnêtes de la nature, comme l'amour avec toute son innocence, l'amour filial, etc. On dit que M. Léonard est jeune, et qu'il mérite d'être encouragé; moi, au contraire, je trouve qu'il mérite d'être découragé. Puisqu'il est jeune et honnête, il mérite qu'on l'empêche de se livrer à la poésie. Pour être poëte, il ne suffit pas d'avoir des sentiments honnêtes, il faut encore un talent décidé. Dans le genre de poésie où M. Léonard s'est essayé, il faut une facilité et une

1. Paris, Merlin, 1766, in-8°.

grâce de style, un choix d'images tendres et délicieuses, un charme et une douceur de coloris qui vous ravissent et vous enchantent. On voit bien que ce sont les Idylles de M. Gessner, de Zurich, qui ont donné à M. Léonard l'envie de faire les siennes; mais le singe qui prendrait l'Antinous pour modèle n'en resterait pas moins singe. Gessner est un poëte divin, et M. Léonard un honnête enfant, si vous voulez, et plus sûrement un pauvre diable.

- M. Dancourt, ancien arlequin de Berlin, qui a réfuté le traité de M. Rousseau contre les spectacles, et qui est à la fois auteur et acteur, a arrangé, pour le théâtre de Vienne, un ancien opéra-comique français pour pouvoir être mis en musique. Cette pièce, intitulée les Pèlerins de la Mecque, est une farce de Le Sage. M. Dancourt l'a appelée la Rencontre imprévue. Il fallait faire un meilleur choix. On dit que la musique du chevalier Gluck est charmante.

- M. Eidous vient encore de nous enrichir d'une Histoire de la Nouvelle-York, depuis la découverte de cette province jusqu'à notre siècle, traduite de l'anglais de M. William Smith. Volume in-12 de quatre cents pages. Cette histoire finit à l'année 1732; ainsi elle aurait besoin d'un supplément. Quant à M. Eidous, je ne voudrais pas à mon plus cruel ennemi assez de mal pour le lui donner pour traducteur.

- Marianne, ou la Paysanne de la forêt d'Ardennes, histoire mise en dialogues, forme un volume in-12 de trois cents pages, en treize entretiens. L'auteur de ce roman nous assure, suivant l'usage, que c'est une histoire véritable. Il prend lui-même le nom d'Ergaste, et sous ce nom il questionne la paysanne de la forêt d'Ardennes et se fait conter sa vie : c'est ce qui forme les différents entretiens. Vous croyez peut-être que le but de l'auteur a été de nous faire un tableau intéressant de la vie rustique? Point du tout. Marianne est une servante de cabaret, qu'un colonel veut violer, et, comme il n'en peut venir à bout, il la bat, et ensuite, pour réparation, il la mène à Paris et la fait aller à l'Opéra avec sa sœur. Cependant tous les attraits de Paris n'empêchent pas notre héroïne de retourner à la fin du roman dans son village, de reprendre ses habits de paysanne et d'épouser un valet de cabaret nommé Antoine, qui n'a jamais cessé de l'aimer. Et ce fond, si détestable par lui-même, est écrit et exécuté d'un style et d'un ton qui rendent Ergaste tout à fait

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digne d'obtenir la survivance de M. Antoine dans son auberge. Oh! mon Dieu, que je suis las de passer en revue tant de détestables ouvrages! Tant de mauvais livres décèlent une plaie profonde du gouvernement: d'un côté, un si grand désœuvrement, puisqu'enfin on n'imprimerait pas ces platitudes si l'on n'en trouvait le débit; de l'autre, tant d'auteurs oisifs à Paris, tandis qu'on pave les grands chemins par corvée !

Il faut ajouter à cette foule de romans qui ont paru depuis un mois ou six semaines la Campagne, roman traduit de l'anglais par M. de Puisieux. Deux volumes in-12, faisant ensemble six cent cinquante pages. Ce M. de Puisieux m'a l'air de vouloir entrer en lice avec M. Eidous pour savoir lequel traduira l'anglais le plus mal. Moi, qui tiens à mes anciens amis, je parie pour M. Eidous. S'il est possible de l'égaler, il ne sera certainement surpassé par personne. En voici la preuve: M. Eidous traduit un livre de médecine dans lequel l'auteur anglais conseille contre de certaines douleurs de rhumatisme de se faire frotter avec des brosses de chair. Comme nous ne connaissons pas cette expression en français, et qu'on ne distingue pas les brosses qui servent à cet usage par une épithète particulière, M. Eidous, n'entendant pas le mot qui signifie brosse, et n'entendant que le mot qui signifie chair ou viande, fait dire à l'auteur anglais que dans ces cas il conseille de manger des viandes rôties. Je donne dix ans à M. de Puisieux pour faire une balourdise qui vaille celle-là. Quant au roman de la Campagne, je conviens qu'il faut avoir bien du temps de reste pour le perdre avec ces livres-là; mais enfin j'aime encore mieux le plat naturel de ce roman que la morale raffinée et façonnée de la marquise de Crémy et de sa religieuse.

M. de La Grange, que je n'ai pas l'honneur de connaître, a traduit de l'anglais un autre roman intitulé Histoire de miss Indiana Dauby. Deux volumes in-12, formant ensemble plus de cinq cents pages. Ce roman, qui est en forme de lettres, n'a pas fait plus de fortune que le précédent.

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Les traductions multipliées de romans anglais ne font pas tarir pour cela nos auteurs originaux. M. S. de C.1 vient de publier l'École des pères et des mères, ou les Trois Infortunées,

crit et

1. L'abbé Sabatier de Castres.

1

en deux parties. Ces trois infortunées sont Émilie, la comtesse d'Orbeval et Julie. Je crains que Mme la marquise de Luchet, à qui ce roman est dédié, n'en fasse bientôt la quatrième. C'est cette Mlle Delon, de Genève, aimable, gaie, folle, qui a épousé, il y a quelque temps, un homme de condition, appelé M. de Luchet, à qui le besoin a fait faire le métier d'auteur et en fait faire tous les jours de plus mauvais. Je crains que cette pauvre Mme de Luchet, tout en chantant et en dansant, n'arrive incessamment à l'hôpital, où l'auteur de l'École des pères et des mères pourra lui servir de maréchal des logis, s'il n'a pas d'autre ressource pour vivre que la table de ses trois infortunées.

Les Aventures philosophiques1, qui paraissent déjà depuis quelque temps, font un petit volume in-12 de deux cents pages, qui conte ennuyeusement l'histoire de trois philosophes modernes, dont il y en a un qui a à peu près les opinions de M. Rousseau. L'auteur se croit un malin peste. Il prétend avoir fait son roman avant Candide; mais celui-ci l'a gagné de vitesse, et il meurt de peur que ses Aventures philosophiques ne passent pour un réchauffé de Candide. Il peut être tranquille. Personne ne lui fera une injustice aussi criante. Un réchauffé exige un peu de chaleur, et heureusement ces Aventures philosophiques sont d'un froid et d'une platitude qui garantissent l'auteur à jamais de toute comparaison avec Candide.

Si vous envoyez tout cet énorme fatras d'inutilités au corps des épiciers, vous accorderez à Mme Robert le pas sur toute la confrérie. Nicole de Beauvais, ou l'Amour vaincu par la reconnaissance, qu'elle vient de publier en deux parties, est bien digne de figurer à côté de ses autres ouvrages, dont elle a soin d'indiquer les titres et le prix. Il faut que Mme Robert travaille pour la province ou pour les pays étrangers, car à Paris il n'y a âme qui vive qui ait jamais entendu parler de Mine Robert et de ses romans.

M. l'abbé Coyer a fait au commencement de cette année . une brochure intitulée De la Prédication. C'était un excellent sujet médiocrement traité. Aussi ces petits ouvrages manqués amusent Paris à peine deux fois vingt-quatre heures, et tombent ensuite dans un oubli éternel. Le but de M. l'abbé Coyer était

1. Par Dubois-Fontanelle.

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