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tanvaux et neveu de M. le maréchal d'Estrées1. C'était en effet un jeune homme de la plus grande espérance, également cher aux militaires et aux gens de lettres, et que nous avons vu moissonné à la fleur de son âge, il y a environ quinze ou seize mois. Sa mort est pour la France une perte réelle, que peu de jeunes gens de son âge et de son rang promettent de réparer. M. de Surgy nous apprend que M. de Montmirail l'honorait d'une amitié particulière. Il s'intéressait singulièrement aux progrès de l'histoire naturelle, comme le prouvent les observations qu'il a fournies à M. de Buffon et ses travaux à l'Académie des sciences. C'est lui aussi qui avait engagé M. de Surgy à composer les Mélanges intéressants et curieux, ou Abrégé d'histoire naturelle, morale, civile et politique de l'Asie, l'Afrique, l'Amérique et des terres polaires. Ce recueil est estimé. Nous en avions cinq volumes M. de Surgy vient d'y en ajouter cinq autres qui le rendent complet. Il a mis à la tête du dernier volume cet Éloge de M. de Montmirail, qu'on vend aussi séparément, avec un portrait en taille-douce assez ressemblant. Je crois vous avoir déjà dit que M. de Surgy s'est chargé, de concert avec M. de Querlon, de la continuation de l'Histoire des voyages entreprise par feu l'abbé Prévost.

15 avril 1766.

M. Loyseau de Mauléon, célèbre avocat au Parlement, vient de donner un Mémoire pour la défense de trois soldats aux gardes; et ce Mémoire a fait du bruit, tant par la singularité de la cause que par la manière dont l'auteur l'a traitée. Des trois soldats, deux étaient ivres ; le troisième, qui les avait joints, était de sang-froid. Les deux premiers prennent querelle dans un passage avec des bourgeois ivres aussi; le troisième, en homme prudent, saisit un de ses camarades, et le pousse dans la rue, où il le retient pour l'empêcher de se battre. Pendant ce temps-là l'autre soldat, accablé par les six bourgeois ivres, tire son épée pour se faire jour, et au même instant un de ces malheureux se jette sur lui, s'enfile lui-même, et est tué raide.

1. 1766, in-12. Grimm a déjà parlé de la mort de M. de Montmirail, t. VI, p. 140. 2. De Surgy porta jusqu'à quatorze le nombre des volumes de cet ouvrage. (T.)

La populace s'assemble, on fait venir la garde, qui n'arrête que le soldat que son camarade avait empêché de prendre part à la querelle. Les témoins embrouillent l'affaire, parce qu'ils confondent les actions des différents soldats dont ils ignorent le nom. M. le maréchal de Biron, colonel des gardes-françaises, obtient des lettres de grâce dans lesquelles les trois soldats sont compris, mais où, par erreur, on désigne comme auteur du meurtre celui qui ne l'avait pas commis. Lorsqu'il est interrogé, on lui conseille de se dire en effet auteur du meurtre, parce que sans cela les lettres de grâce ne peuvent servir. Cet aveu hasardé rend sa cause plus fâcheuse que jamais car, comme on avait déposé que ce soldat avait été retenu dans la rue par son camarade, les juges en inférèrent qu'étant de son propre aveu l'auteur du coup, il l'avait porté de dessein prémédité, et non pour sa défense. En conséquence, ils refusèrent d'entériner ses lettres de grâce; et voilà ce malheureux sur le point d'être condamné au supplice pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Alors ses camarades se montrent et découvrent la vérité. Celui qui a fait le coup produit des témoins qui l'attestent. Il y a dans cette aventure une foule de circonstances bizarres, avec un mélange singulier de bonne foi et d'héroïsme. On ignore encore quel sera le sort de ces trois soldats. Leur avocat a expliqué cette affaire très-embrouillée avec beaucoup de précision et de vraisemblance. La partie pathétique se ressent un peu de la déclamation reçue au barreau, et c'est dommage.

Le Siège de Calais nous a valu le Siége de Beauvais, ou Jeanne Laisné, tragédie en cinq actes, par M. Araignon, avocat au Parlement. Ah! quelle tragédie! M. Araignon rend justice à son heureux rival, M. de Belloy, quoique, pendant qu'il s'amusait en Allemagne, celui-ci, comme il dit, l'ait forcé de vitesse par sa sublime tragédie du Siége de Calais. En effet, elle est sublime en comparaison du Siége de Beauvais.

ARTICLE DE M. DIDEROT.

Vous me demandez, mon ami, ce que je pense de l'Éloge du Dauphin, par M. Thomas. Je ne vous répondrai pas autre

1. Paris, Lambert, 1766, in-8°.

chose que ce que je lui en dis à lui-même, lorsqu'il m'en fit la lecture... « Jamais l'art de la parole n'a été si indignement prostitué. Vous avez pris tous les grands hommes passés, présents et à venir, et vous les avez humiliés devant un enfant qui n'a rien dit ni rien fait. Votre prince valait-il mieux que Trajan? Eh bien! monsieur, sachez que Pline s'est déshonoré par son Eloge de Trajan. Vous avez un caractère de vérité et d'honnêteté à soutenir, et vous l'allez perdre. Si c'est un Tacite qui écrive un jour notre histoire, vous y serez marqué d'une flétrissure. Vous me faites jeter au feu tous les Éloges que vous avez faits, et vous me dispensez de lire tous ceux que vous ferez désormais. Je ne vous demande pas de prendre le cadavre du Dauphin, de l'étendre sur la rive de la Seine, et de lui faire, à l'exemple des Égyptiens, sévèrement son procès; mais je ne vous permettrai jamais d'être un vil et maladroit courtisan. Si vous et moi nous fussions nés à la place du Dauphin, il y aurait paru peut-être ; nous ne serions pas restés trente ans ignorés, et la France aurait su qu'il s'élevait, dans l'intérieur d'un palais, un enfant qui serait peut-être un jour un grand homme. Il ne valait donc pas mieux que nous? Or, je vous demande si vous auriez le front d'accepter votre éloge. Personne ne m'a jamais fait sentir comme vous combien la vérité, ou du moins l'art de se montrer vrai, était essentiel à l'orateur, puisque, malgré les choses hautes et grandes dont votre ouvrage est rempli, je n'ai pu vous accorder mon attention. On saura, monsieur, ce qui vous a déterminé à parler, et l'on ne vous pardonnera pas la petitesse de votre motif. Vous vous déshonorerez vous-même; oui, monsieur, vous vous déshonorerez sans faire aucun honneur à la mémoire du Dauphin. Loin de me persuader, de me toucher, de m'émouvoir, vous m'avez indigné : vous n'avez donc pas été éloquent. Je ne suis pas venu comme César avec la condamnation de Ligarius signée; mais il eût fallu s'y prendre autrement pour me la faire tomber des mains. Si votre prince méritait la centième partie des éloges que vous lui prodiguez, qui est-ce qui lui a ressemblé? qui est-ce qui lui ressemblera? Le passé ne l'a point égalé, l'avenir ne montrera rien qui l'égale. Vous m'opposez des garants éclairés, honnêtes et véridiques de ce que vous dites. Je ne connais point ces garants; je

n'en conteste ni la véracité, ni les lumières; mais trouvez-m'en un parmi eux qui ose monter en chaire à côté de vous, et dire: J'atteste que tout ce que cet orateur a dit est la vérité. Le public réclamera, monsieur; vous l'entendrez, et je ne vous accorde pas un mois pour rougir de votre ouvrage. Si j'avais comme vous cette voix qui sait évoquer les mânes, j'évoquerais celles de d'Aguesseau, de Sully, de Descartes ; vous entendriez leurs reproches, et vous ne les soutien driez pas. Mais croyezvous qu'un père qui connaissait apparemment son fils puisse approuver un amas d'hyperboles dont il ne pourra se dissimuler le mensonge? Que voulez-vous qu'il pense des lettres et de ceux qui les cultivent, lorsqu'un des plus honnêtes d'entre nous se résout à mentir à toute une nation avec aussi peu de pudeur? Et ses sœurs, et sa femme? Pour ses valets, ils en riront. Si j'étais votre frère, je me lèverais pendant la nuit, j'enlèverais cet Éloge de votre portefeuille, je le brûlerais, et je croirais vous avoir montré combien je vous aime. Seul, chez moi, le lisant, je l'aurais jeté cent fois à mes pieds, et je doute que le talent me l'eût fait ramasser. Vos exagérations feront plus de tort à votre héros que la satire la plus amère; parce que la satire aurait révolté, et qu'un éloge outré fait supposer que l'orateur n'a pas trouvé dans les faits de quoi s'en passer. C'est inutilement que vous vous défendez par le prétexte de dire quelques vérités grandes et fortes que les rois n'ont point encore entendues; ces vérités sont flétries, et restent sans effet par la vile application que vous en faites. Et que penseront les tyrans? Comment redouteront-ils la voix de la postérité? Qu'est-ce qui les arrêtera, lorsqu'ils pourront se dire à eux-mêmes Faisons tout ce qu'il nous plaira; il se trouvera toujours quelqu'un qui saura nous louer? Vous êtes mille fois plus blâmable que Pline. Trajan était un grand prince; Trajan vivait, Pline lui donnait peut-être une leçon ; mais le Dauphin est mort, il n'a plus de leçons à recevoir; le moment d'être pesé dans la balance de la justice est venu; et c'est ainsi que vous tenez cette balance! Monsieur, monsieur, vous le dirai-je? si j'étais roi, je défendrais à tout rhéteur, et spécialement à vous, d'oser écrire une ligne en ma faveur; et si à la justice de Marc Antonin je joignais, malheureusement pour vous, la férocité de Phalaris, je vous ferais arracher la

langue, et on la verrait clouée publiquement sur un poteau pour apprendre à tous les orateurs à venir à respecter la vérité. »

J'ai entendu du Dauphin un éloge qui m'a plu, parce qu'il était vrai; et en voici une courte analyse.

L'orateur n'avait eu garde de s'ériger en panégyriste. On peut être le panégyriste d'un roi; mais il avait conçu que le rôle contraint, obscur, ignoré d'un Dauphin, réduisait l'orateur à celui d'apologiste; et vous allez voir le parti qu'il avait su tirer de cette idée.

Il commençait par plaindre la condition des princes. Il faisait voir que tous ces avantages, qui leur étaient si fort enviés, étaient bien compensés par la seule difficulté de recevoir une bonne éducation. Il entrait dans les détails de cette éducation difficile, et il demandait ensuite à son auditeur ce qu'il aurait été, lui qui l'écoutait, ce qu'il serait devenu à la place d'un Dauphin.

Ensuite il rendait compte de l'emploi des journées du Dauphin. Il en parlait sans enthousiasme et sans emphase; puis il demandait à son auditeur ce qu'il était permis de se promettre d'un prince qui avait reçu le goût des bonnes choses et celui des bonnes lectures.

Il peignait la dépravation de nos mœurs, il montrait la foi conjugale foulée aux pieds dans toutes les conditions de la société; et il interrogeait son auditeur sur la sagesse et la fermeté d'un prince qui l'avait respectée à la cour.

De là il passait à son respect pour le roi, à sa tendresse pour ses enfants et pour ses sœurs, à son attachement pour ses amis, à son caractère, à son esprit, à ses actions, à ses discours et à quelques autres qualités domestiques personnelles et bien connues; et il en tirait les pronostics les plus heureux en faveur des peuples qu'il aurait gouvernés.

Il avait réservé toutes les forces de son éloquence pour le beau moment de la vie de son prince, celui où l'on vit sa patience dans les douleurs, sa résignation, son mépris pour les grandeurs et pour la mort.

Mort, il le montrait seul, abandonné, solitaire dans un vaste palais; et il demandait aux hommes : Quelle différence alors du fils d'un roi et d'un particulier?

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