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importuneront pendant quelques mois. Il paraît déjà quatre feuilles en faveur de M. Rousseau, toutes écrites détestablement par des polissons qu'on ne connaît point, et à qui la fainéantise, et vraisemblablement la misère, mettent la plume à la main. L'un a publié une Justification de Jean-Jacques Rousseau 1; un autre, un Précis pour M. Rousseau; un troisième, des Réflexions posthumes sur le grand procès de Jean-Jacques avec David; un quatrième s'appelle le Rapporteur de bonne foi1. Aucun n'a un seul fait nouveau à alléguer; tous s'occupent à nous apprendre comment il faut voir les faits rapportés dans l'Exposé succinct de la contestation. Il y a, dans une de ces rapsodies, la Lettre d'une femme, anonyme aussi, en faveur de M. Rousseau, qui est encore plus bête que le reste de ce plat barbouillage.

Mais si les apologistes de M. Rousseau m'ennuient avec leurs platitudes, je ne suis pas plus édifié des Notes qui viennent de paraître sur la Lettre de M. de Voltaire à M. Hume. Il fallait laisser cette Lettre comme elle est, et n'y pas revenir; elle est fort gaie, et elle avait beaucoup réussi. Les Notes qu'on vient d'y ajouter forment un vilain et dégoûtant libelle, dicté par la passion, qui est toujours bête, et où l'on reproche à M. Rousseau de vilaines choses qui, vraies ou fausses, ne doivent jamais souiller l'imagination et la plume d'un honnête homme. L'auteur de ces Notes se fait d'ailleurs très-indiscrètement le défenseur de M. Tronchin, de M. Helvétius, de beaucoup d'autres honnêtes gens qui ne l'en avaient pas chargé: suivant la morale des procédés, il ne faut prendre en main que la cause de ceux qui vous ont choisi pour avocat. M. le marquis de Ximenès, qui a fait les honneurs de ces Notes, dit tout haut qu'elles sont de M. de Voltaire. Je suis au désespoir d'être obligé d'y reconnaître son style et sa manière3. M. Hume nous aurait épargné ces chagrins en gardant le silence sur sa tracasserie avec Jean-Jacques, qui,

1. Justification de J.-J. Rousseau dans la contestation qui lui est survenue avec M. Hume. Londres, 1766, in-12.

2. Précis pour M. Rousseau, en réponse à l'Exposé succinct de M. Hume, suivi d'une lettre de Mme *** (La Tour-Franqueville) à l'auteur de la Justification de

M. Rousseau. Paris, 1767, in-12.

3. Paris, sans date, in-12.

4. 1766, in-12. Par T. Verax.

5. Beuchot, dans l'article Ximenes, qu'il a rédigé pour la France littéraire,

quoi qu'on en puisse dire, n'intéressait certainement pas le genre humain. Quant à M. de Voltaire, on peut dire qu'il sait très-bien assigner les différents départements de ses affaires diverses. M. d'Argental et compagnie ont le département dramatique; d'autres, le département philosophique, et l'illustre Ximenès, éditeur de ces Notes, le département des vilenies : car voilà déjà deux ou trois fois qu'il nous fait des présents de la part de M. de Voltaire, que ses vrais amis sont bien affligés de voir paraître. Ces Notes finissent par un désavœu formel de M. de Voltaire, de la Lettre à Jean-Jacques Pansophe; désavou tout aussi inutile que la plupart des autres pièces de ce triste et absurde procès.

- Le graveur Lemire et Basan, marchand d'estampes, proposent au public, par souscription, les Métamorphoses d'Ovide, représentées en une suite de cent quarante estampes in-4o, dédiées à M. le duc de Chartres. La souscription sera ouverte jusqu'au mois de juillet prochain. Les souscripteurs payeront, en quatre termes différents, quatre louis; il seront fournis pour le choix des épreuves suivant l'ordre du tableau, en sorte que les premiers en date auront les premières épreuves. Ceux qui n'auront pas souscrit payeront cinq louis, et n'auront d'épreuves que celles qui resteront après la fourniture des souscripteurs. Quant au texte, on lira l'original d'un côté et la traduction française de l'abbé Bannier de l'autre. Voilà qui s'annonce fort bien: or je dis que cela ne sera pas bien 1. Toutes ces entreprises n'ont jamais répondu à l'attente des amateurs. En dernier lieu, M. Fessard les a encore attrapés avec les Fables de La Fontaine, indignement exécutées par ce graveur. Ce que je sais, c'est que dans toute cette foule immense de dessins et de gravures qu'on a faits pour orner différents ouvrages de poésie et d'imagination, il ne s'en trouve pas un seul qu'un amateur voulût avoir dans son cabinet ou dans son portefeuille. Ces entreprises, bien loin même de tourner au profit de l'art, en hâtent la décadence, et ne doivent pas être encouragées. Il reste à ceux de nos graveurs dont le burin mérite quelque estime

établit d'une façon positive la part prise par Voltaire aux Lettres sur la NouvelleHéloise, mais ne parle point de la Lettre à M. Hume.

1. Ce livre vaut aujourd'hui de 400 à 500 francs relié en veau, et de 800 à 1,000 francs relié en maroquin.

un assez grand nombre de beaux tableaux à nous transmettre par la gravure c'est à quoi ils doivent employer leur talent. S'ils ne peuvent ou ne veulent se charger d'un tel travail, qu'ils meurent de faim ou qu'ils fassent des souliers: car, pour leurs images, je ne conseillerai jamais à personne d'en donner une obole.

Pendant que M. Lemire et compagnie nous préparent leurs images avec la traduction des Métamorphoses faite par l'abbé Bannier, un M. Fontanelle, dont je n'ai jamais entendu parler, nous a donné une nouvelle traduction des Métamorphoses d'Ovide, en deux gros volumes in-8° assez bien imprimés1. Ces volumes sont encore ornés d'images. C'est une fureur qui se répand de plus en plus parmi nous, et qui rend les livres chers et de mauvais goût. Les Anglais, qui exécutent les plus beaux ouvrages en fait de typographie, n'ont pas la manie d'y ajouter de mauvaises images. Quant à M. Fontanelle, qui me paraît différer de feu M. de Fontenelle par plus d'une voyelle, on m'a assuré qu'il est l'auteur de cette mauvaise tragédie de Pierre le Grand, qui a paru sur la fin de l'année dernière. S'il faut juger de son style par sa tragédie, on peut jeter sa traduction et ses images au feu. Mais avant de juger lequel mérite la préférence de l'abbé Bannier ou de M. Fontanelle, il faudrait que la possibilité de traduire en français un poëme tel que les Métamorphoses d'Ovide me fût démontrée : or, c'est précisément le contraire qui m'est démontré. Je soutiens qu'il est impossible de traduire les Métamorphoses, à moins d'être aussi grand poëte qu'Ovide lui-même; comment, sans cela, transmettre dans une autre langue ce coloris précieux qui fait le mérite particulier de ce poëme? Un homme qui serait digne de le traduire s'en désespérerait à chaque page; il n'y a qu'un pédant froid comme la glace, qui puisse achever patiemment un ouvrage qui ne peut lui plaire qu'autant qu'il n'en connaît pas la difficulté.

- Je suis un peu humilié de n'avoir pu, malgré tous les soins que je me suis donnés, réussir jusqu'à présent à voir la tragédie nouvelle de M. de Voltaire intitulée les Scythes. Elle est cependant imprimée, cette tragédie, et je crois que l'édi

1. On a publié une nouvelle édition de la traduction des Métamorphoses d'Ovide, de M. Dubois-Fontanelle, en 1802, 4 vol. in-8°. L'auteur, natif de Grenoble, est mort dans cette ville le 15 février 1812, âgé de soixante-quinze ans. (B.)

tion entière est arrivée à Paris; mais M. d'Argental et M. Le Kain, chargés du département dramatique de notre septuagénaire, en ont arrêté impitoyablement la publication. Ils délibèrent si cette œuvre ne doit pas être jouée avant d'être livrée au public par l'impression. M. de Voltaire, plus modeste et moins ambitieux que ses amis, s'est contenté d'offrir sa tragédie à la lecture sans la présenter aux Comédiens. Il fait bien, mais ses amis font mieux car si cette pièce peut être mise sur le théâtre, pourquoi ne la point montrer au public de sa véri- · table place? La difficulté sera de trouver les acteurs nécessaires aux différents rôles. Il y a deux vieillards, et nous n'avons que Brizard tout seul; et Me Clairon est si peu remplacée par nos débutantes que je serais fort embarrassé de dire à laquelle d'entre elles il faut donner le rôle de la princesse.

Au reste, si je souffre pour ma part de la rigidité avec laquelle M. d'Argental et son bras droit, M. Le Kain, dérobent cette pièce à la connaissance du public, je ne la blâme pas pour cela. Je désire seulement qu'il n'arrive point d'infidélité ou d'indiscrétion qui nous mette en possession de la pièce avant que le conseil souverain ait décidé définitivement de son sort. En attendant, pour satisfaire à mon devoir, je profiterai d'un hasard heureux. M. Le Kain a confié la tragédie des Scythes à M. le comte de Schomberg, maréchal des camps et armées du roi, avec qui j'ai l'honneur d'être lié d'amitié depuis ma première enfance, et qui a bien voulu employer le peu d'heures qu'il a été en possession de la pièce à faire pour moi, à mon insu, l'extrait que vous allez lire. La parole qu'il avait donnée de ne point laisser cette pièce sortir de ses mains ne lui a pas permis de me mettre à portée de faire cet extrait moi-même 1.

On pourrait craindre que cette tragédie ne languît un peu en quelques endroits. Quoiqu'on y reconnaisse toujours le coloris de l'auteur de la Henriade, le style paraît un peu faible. Quant à la machine, elle est bien compliquée, et le moindre inconvénient, comme le plus ordinaire, de ces sortes de machines est que le discours des personnages est employé à faire savoir au spectateur toutes les choses dont le poëte a

1. Nous supprimons l'analyse de cette tragédie, qu'on trouvera tome VI des OEuvres complètes de Voltaire, édition Garnier frères.

intérêt de l'instruire, ce qui ôte au discours sa vérité et sa force. Remarquez que les deux dernières tragédies de M. de Voltaire, savoir, les Scythes et Olympie, ne sont proprement que des opéras dans le goût de Metastasio, et qu'avec très-peu de changements on en ferait des drames lyriques.

Quant au ton, il a cette fausseté qui règne en général dans la tragédie française, et qu'un grand homme comme M. de Voltaire pouvait seul bannir de notre théâtre. La peinture des mœurs étrangères est sans doute précieuse; mais pourquoi y employer des couleurs françaises? Cette fausseté me rend la tragédie insupportable, et j'aime mieux ne m'y jamais rencontrer avec des Romains, des Grecs, des Perses et des Scythes, que d'entendre cette suite d'idées françaises qui sort de la bouche de tous ces gens-là. Ils ne disent pas ce qu'ils doivent dire; ils disent ce que j'en dois penser. Ces Scythes, par exemple, qui se vantent sans fin et sans cesse de leur simplicité, comme si un peuple simple savait qu'il l'est! Ils rejettent les présents des Persans comme des

Instruments de mollesse, où, sous l'or et la soie,
Des inutiles arts tout l'essor se déploie.

Il n'y a qu'un peuple très-raffiné par le luxe qui puisse ainsi parler de quelques meubles de luxe. Il est d'ailleurs d'expérience générale qu'un peuple sauvage a toujours reçu avec avidité les meubles des peuples policés, quoiqu'il n'en connût pas l'usage, par la seule raison que la nouveauté a toujours droit d'intéresser et l'homme sauvage et l'homme policé. Voulez-vous, à présent, savoir à quel point cette fausseté est. enracinée sur notre théâtre? lisez le portrait qu'Indatire fait d'Obéide dans la première scène de cette tragédie :

VII.

De son sexe et du nôtre elle unit les vertus:

Le croiriez-vous, mon père? elle est belle et l'ignore;
Sans doute elle est d'un rang que chez elle on honore;
Son âme est noble au moins, car elle est sans orgueil;
Jamais aucun dégoût ne glaça son accueil;
Sans avilissement à tout elle s'abaisse;
D'un père infortuné soulage la vieillesse,
Le console, le sert, et craint d'apercevoir
Qu'elle va quelquefois par-delà son devoir.

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