페이지 이미지
PDF
ePub

pu se consoler d'avoir été renvoyé. Il avait été longtemps attaché à M. le maréchal de Noailles. De là il avait passé à M. le duc d'Orléans en qualité de secrétaire des commandements. Il parvint ensuite à être chancelier, garde des sceaux de ce prince, et, en 1759, le roi le prit pour contrôleur général de ses finances; mais il ne put se maintenir dans cette place plus de huit mois, et son court ministère a été regardé comme une époque sinistre et malheureuse. M. de Silhouette avait des connaissances fort étendues; mais il avait, je crois, peu de talent. Le talent d'un ministre consiste dans la justesse des vues et des mesures. M. de Silhouette débuta par attaquer la finance, et ne vit point que le moment d'une guerre très-coûteuse n'était point du tout favorable pour cela. Toutes ses opérations manquèrent, et il perdit la tête. On lui reproche de ne l'avoir pas perdue assez pour négliger son intérêt particulier. Il trouva le secret de se faire une rente viagère de soixante mille livres avec une somme de vingt mille livres qu'il employa à acheter sur la place de mauvais effets qui n'avaient nul crédit, et qu'il fit ensuite prendre au roi pour comptant à leur première valeur. Il était plus noble de recevoir de son roi en pur don un bienfait, que d'avoir l'air de l'acheter par un vilain et indigne tripotage. La réputation de M. de Silhouette était très-mauvaise. Quant à son caractère moral, il passait pour fripon et pour hypocrite. Il avait affiché toute sa vie une grande dévotion, et rien n'est moins indifférent quand on veut aspirer aux places. Il avait traduit dans sa jeunesse l'Essai de Pope sur l'homme', et l'ouvrage de Warburton, sur l'accord de la Foi et de la Raison. Ces traductions, la première surtout, ne sont pas estimées, et l'auteur sentit bientôt que la carrière des lettres ne le mènerait pas au bout auquel il tendait. Depuis la mort de sa femme, il s'était retiré à la campagne, et entièrement livré aux pratiques de dévotion. M. de Silhouette parlait bien, avec netteté et précision, mais sans chaleur. Si par hasard il a été honnête homme, il est à plaindre, car il avait l'air faux et coupable.

1. Londres, 1736, in-12.

2. Dissertation sur l'union de la religion et de la politique, Londres, 1742, 2 vol. in-12. Silhouette est auteur de plusieurs autres ouvrages, originaux ou traduits.

- M. Tercier, ancien premier commis des affaires étrangères, vient de mourir subitement à l'âge de soixante et quelques années. Il était de l'Académie royale des inscriptions et belleslettres. Il avait été aussi censeur royal; mais il perdit cette place et celle qu'il avait aux affaires étrangères, pour avoir donné son approbation au livre De l'Esprit. C'était un bon homme qui ne voyait point de mal en tout cela. On fit, dans ce temps, une chanson qui disait que pour lui l'esprit était affaire étrangère1. Sa disgrâce n'influa point sur sa fortune. On lui conserva ses pensions, et l'on prétend que le département des affaires étrangères lui donnait souvent de quoi s'occuper dans sa retraite.

- Nous avons aussi perdu un médecin appelé M. Renard; c'était l'Esculape du Marais. Une de ses dévotes disait un jour que c'était le premier médecin de Paris. Un mauvais plaisant ajouta: «En entrant par la porte Saint-Antoine, » parce que M. Renard logeait tout auprès. Ce M. Renard, trouvant un jour auprès d'une de ses malades un vieil abbé qui jouait tranquillement au piquet, il l'envisage, et lui dit : « Que faites-vous là, monsieur l'abbé? Allez-vous-en chez vous, faites-vous saigner; vous n'avez pas un instant à perdre. » L'abbé, effrayé au dernier point, reste immobile. On le transporte chez lui; M. Renard le saigne trois ou quatre fois de suite, lui fait prendre de l'émétique, et le trouve toujours aussi mal qu'auparavant. Le troisième jour, on appelle le frère du malade, qui était à la campagne. Il arrive en hâte: on lui dit que son frère se meurt; il veut savoir de quelle maladie; M. Renard lui dit que son frère, sans s'en apercevoir, avait eu une forte attaque d'apoplexie, mais qu'il l'avait heureusement découvert en lui voyant la bouche tout de travers, et qu'il l'avait secouru en conséquence. «Eh, monsieur, lui dit cet homme, il y a plus de soixante ans que mon frère a la bouche de travers. Eh! que ne le disiezvous!» répondit le docteur en s'en allant, sans attendre l'effet de l'émétique qu'il venait d'administrer.

-M. de Mondonville s'est avisé de remettre en musique l'opéra de Thésée, psalmodié, il y a cent ans, par l'ennuyeux Lulli. Il a voulu faire avec le poëme de Quinault ce que les maîtres de

1. Voir cette chanson, et des détails relatifs à la destitution de Tercier, t. IV, p. 30.

chapelle d'Italie font avec les poëmes de Metastasio. Son essai a été très-infortuné. Ce nouveau Thésée avait déjà été joué sans succès à la cour, pendant le voyage de Fontainebleau de 1765. L'auteur ne se l'est pas tenu pour dit: il a voulu être joué à Paris, et il est tombé, comme on dit, tout à plat. Il a été obligé de retirer sa pièce avant la quatrième représentation, ce qui est sans exemple à l'Opéra; et pour comble de mortification, on y a donné aujourd'hui l'ancien Thésée à la place. Ce peuple est singulier dans ses jugements en musique, et cette ancienne religion de Lulli, si décriée aujourd'hui, subsiste cependant encore dans les cœurs. L'opéra de Mondonville est précisément aussi plat et aussi pauvre que celui de Lulli. C'est une psalmodie tout aussi assoupissante. Qu'on donne le procès entre ces deux ouvrages à juger à tous les connaisseurs en musique, et je parie qu'ils ne trouveront pas le plus faible motif de préférence de l'un sur l'autre. Cependant, l'un est sifflé avec fureur, et l'autre applaudi avec enthousiasme. Ce pauvre Mondonville est bien à plaindre. Ses airs ne feraient pas fortune dans une guinguette d'Allemagne, et, dans sa patrie, il est la victime de l'ancienne religion. Il devait se souvenir que c'est un mauvais métier que de vouloir abattre les anciens autels; il faut les laisser tomber. Il a raisonné comme mon ami le chevalier de Lorenzi, dans une autre occasion. Une femme avait à lui parler, et lui avait donné rendez-vous un dimanche à onze heures du matin. La conversation finie, elle lui propose de le mener à la messe. Le chevalier, étonné, lui demande : « Est-ce qu'on la dit toujours?» Comme il y avait quinze ans qu'il n'y avait été, il croyait que ce n'était plus l'usage, et que même on n'en disait plus; d'autant que, ne sortant jamais avant deux heures, il ne se souvenait pas d'avoir vu une église ouverte.

-On avait préparé pour le jour de l'an, à la ComédieItalienne, une petite pièce intitulée l'Esprit du jour1. Cette pièce, remplie de bêtises, a été fort applaudie, et cependant n'a pas osé reparaître, parce que l'on n'avait applaudi que pour se moquer des auteurs, qui sont aussi mauvais l'un que l'autre. Le poëte s'appelle Harny, et le musicien Alexandre; mais ce n'est pas le grand.

1. Cette pièce fut jouée, pour la première et dernière fois, le 22 janvier 1767.

[ocr errors]

J'ai eu occasion, ces jours passés, d'assister à une lecture de la tragédie des Scythes. Cette pièce m'a paru faiblement et souvent mal écrite ; mais surtout elle ne m'a pas paru intéressante, et je doute que, dans l'état où elle est, elle puisse obtenir au théâtre même un succès passager. C'est déjà un assez grand malheur poétique qu'il y ait une loi en Scythie qui oblige les femmes de massacrer le meurtrier de leur époux de leurs propres mains; cette loi ne paraît pas naturelle, et je ne crois pas qu'il y ait jamais eu une nation sous le soleil qui ait commis au sexe le plus faible le soin de la vengeance sur le sexe le plus fort. Qu'Iphigénie, devenue prêtresse de Diane en Tauride, se trouve dans le cas de sacrifier son propre frère dans un pays où tous les étrangers qui abordaient cette plage fatale étaient dévoués à la déesse, rien n'est plus naturel et plus intéressant l'histoire nous prouve que tel a été de tout temps l'esprit de toute religion. Le code scythe, promulgué par Hermodan, ne me paraît pas aussi bien fondé dans la nature. Mais enfin, puisque M. de Voltaire avait besoin d'une loi qui ordonnât que la mort de l'époux serait vengée sur le meurtrier par la main de l'épouse, afin de pouvoir mettre Obéide dans la nécessité de lever le glaive sur le seul homme qu'elle eût jamais aimé, il fallait du moins arranger cette machine, en elle-même puérile, de manière qu'elle produisît quelque effet; et elle n'en fait aucun. Il fallait qu'il fût d'usage en Scythie que, pendant la cérémonie du mariage, la femme s'engageât par serment à l'observation de cette loi et de quelques autres. Au moyen de cette formalité, nous aurions eu connaissance de cette loi dès le second acte; et lorsque la querelle se serait engagée entre Athamare et Indatire, nous aurions pu concevoir quelque inquiétude. Au lieu que ni Obéide, ni le spectateur, ne connaissant cette loi qu'au moment où le poëte en a besoin pour sa catastrophe, c'est-à-dire au cinquième acte, elle ne produit pas le plus léger frémissement pour le sort d'Obéide. En général, ni la fable, ni l'exécution, ni les détails, rien ne me paraît heureux dans cette nouvelle tragédie, et je fais des vœux pour que son illustre auteur consacre le reste de ses années à des occupations plus satisfaisantes pour le public, et plus glorieuses pour lui

même.

M. Servan, avocat général au parlement de Grenoble, a

prononcé, à la rentrée de son corps, au mois de novembre dernier, un Discours sur l'administration de la justice criminelle. Ce Discours vient d'être imprimé, et forme une brochure in-12 de cent cinquante pages. M. Servan est un prosélyte de la philosophie. C'est un magistrat fort jeune, et dont la santé est très-faible. Son discours se ressent de la bonté de son cœur, de sa jeunesse, et de la faiblesse de sa constitution. Il est fondé tout entier sur les principes du livre des Délits et des Peines. Nos philosophes se réjouissent que ce Discours ait été prononcé par un avocat général au milieu d'un parlement. S'il l'avait été par maître Omer Joly de Fleury, devant le parlement de Paris, je pourrais m'en réjouir avec eux; mais un jeune magistrat qui se meurt de la poitrine, élevant sa voix du fond d'une province, n'a pas assez d'autorité sur les esprits pour faire la moindre impression; et, s'il n'y prend garde, et que sa passion pour la philosophie transpire, il se fera des affaires avec son corps: car, Dieu merci, la magistrature n'est pas moins opposée au progrès de la raison en France que le clergé; ce qui nous donne une perspective très-consolante. Une autre considération qui m'empêche de partager la joie de nos philosophes, c'est que j'ai peine à me persuader que les enfants, même les mieux intentionnés, fassent jamais grand bien. Il nous faudrait à la place des vieux magistrats jansenistes et des jeunes magistrats philosophes, des hommes d'État éclairés et intègres; mais lorsque la sagesse et la fermeté de ces derniers se consument à repousser les traits de la calomnie, les bons citoyens se désolent et pleurent sur la patrie.

-On a publié cette année l'Almanach des muses, ou le Recueil des pièces fugitives de nos différents poëtes qui ont concouru en 1766. C'est pour la troisième fois que cet Almanach paraît, et l'idée en serait fort bonne si on pouvait l'exécuter avec un peu plus de liberté, et si celui qui s'en mêle voulait y mettre plus de goût et de soin. Ce n'est pas la peine de mettre à contribution le Mercure de France, pour nous donner un fatras de pièces qu'on ne saurait lire. M. Mathon de La Cour, éditeur de cet Almanach, a soin de l'enrichir de notes critiques qui sont communément d'une bêtise rare. Il insère, par exemple, dans son recueil, une pièce de vers que M. de Saint-Lambert fit, il y a plus de douze ans, pour Mme de Clermont d'Amboise,

« 이전계속 »