페이지 이미지
PDF
ePub

in-12. Il en est de la théologie comme de la médecine. Depuis qu'on saigne et qu'on purge, il n'y a pas moins de malades. On écrit tous les jours contre les incrédules, et le nombre des incrédules augmente toujours. En se faisant apôtre de Sorbonne on est un peu bafoué, mais on attrape du moins un bon bénéfice; c'est ce que je souhaite à l'apôtre François. Dans l'apostolat philosophique, il n'y a jusqu'à présent que de la gloire et des coups à gagner.

On vient de publier un Magasin énigmatique, contenant un grand nombre d'énigmes choisies entre celles qui ont paru depuis un siècle. Volume de quatre cents pages, avec la table des mots à la fin. Voilà le Mercure de France impitoyablement mis à contribution pour une denrée dont il avait conservé le débit exclusif.

[ocr errors]

Mon parti serait tout pris sur le Traité des affections vaporeuses, par M. Pomme, dont il paraît la troisième édition. Ce n'est pas qu'on n'y trouve de bons principes, de bonnes vues et de la science; mais M. Pomme, à qui l'on veut absolument faire une réputation à Paris depuis six mois, est trop systématique pour ne pas donner souvent à gauche. Il n'en est pas des systèmes en médecine comme des systèmes en physique. La nature ne va ni plus ni moins, malgré le radotage des philosophes sur les lois; mais le médecin opère en conséquence de son radotage, et le malade en est la victime. Ce n'est pas l'instruction qui manque à nos médecins, c'est la fureur des systèmes qu'ils ont de trop, et l'on trouve aujourd'hui en général cent hommes instruits contre une bonne tête. Ce que M. Pomme dit de l'usage pernicieux des boissons chaudes et des relâchants dans les affections nerveuses est approuvé par les plus grands médecins de l'Europe. Dans ces maladies, il s'agit presque toujours de donner du ton et du ressort à des cordes trop relâchées, et la glace et les bains froids sont deux grands remèdes en médecine.

Le Parfait Bouvier, ou Instruction concernant la connaissance des bœufs et des vaches, leur âge, maladies et symptômes, avec les remèdes les plus expérimentés propres à les guérir. On y a joint deux petits traités sur les moutons et les porcs, ainsi que plusieurs nouveaux remèdes expérimentés sur les chevaux, par M. Boutrolle. Brochure in-12 de soixante-treize pages.

Dans ce siècle philosophique, on écrit sur tout, et bientôt un bon fermier de campagne ne pourra se dispenser d'avoir à côté de ses étables et de ses toits à porcs une bibliothèque à l'usage de ses valets, garçons vachers et filles de basse-cour. M. Boutrolle prétend aux honneurs d'auteur classique des étables.

- Le Citoyen désintéressé, ou Vues pratiques concernant les embellissements et établissements utiles à la ville de Paris, analogues aux travaux publics qui se font dans cette capitale, et qui peuvent être adaptés aux principales villes du royaume, avec les moyens d'économie et de finances. Par Dussaussoy. Première partie in-8° ornée de plans et de figures. Je souhaite à ce citoyen autant de génie, de goût et de lumières, qu'il a de zèle et de désintéressement.

15 mars 1767.

S'il est si difficile de définir au juste le caractère d'un seul homme, quelle difficulté, dira-t-on, ne doit-il pas y avoir à définir celui de tout un peuple? Au risque de soutenir un paradoxe, j'avouerai que de ces deux problèmes je ne sais pas encore quel est le plus difficile à résoudre. Dans un seul homme il y a des nuances si fines, si délicates, si personnelles, qu'il faut peut-être avoir encore plus de sagacité pour les saisir, et pour remarquer ce que tous les habitants du même climat peuvent avoir de commun et ce qui les distingue foncièrement de leurs voisins. Les mêmes traits souvent répétés sont plus faciles à noter que ceux qui sont uniques dans leur genre, et qui ne peuvent souvent être aperçus qu'une seule. fois. Le caractère de l'individu ne se peint que par des actions, qui varient à chaque instant et qui se cachent même le plus souvent sous l'ombre du mystère. Le caractère général d'une nation est nécessairement à découvert, il s'imprime dans des monuments exposés continuellement sous nos yeux; nous pouvons l'étudier dans la nature de sa langue, de son gouvernement, de ses coutumes, de ses usages, de ses manières, de ses arts, de son climat. Je sens que cette étude est plus longue, plus étendue, mais je la crois aussi plus sûre, je dirais presque moins impossible que la connaissance particulière des hommes. Il n'en a pas plus coûté à Tacite de peindre les Germains, les

Anglais, les Juifs, qu'il ne lui en a coûté de peindre Séjan, Tibère, Agricola.

Pourquoi trouvons-nous donc si peu de justesse et de vérité dans la plupart des relations de nos voyageurs? C'est que la plupart de nos voyageurs n'ont eu ni assez de philosophie, ni assez de connaissances pour embrasser les objets qu'ils voulaient nous faire connaître; c'est que la plupart ont porté dans leurs recherches un esprit de système et de parti qui ne leur a permis de voir que ce qui convenait à leur but particulier; c'est qu'ils ont cherché à être amusants, au lieu d'être vrais, et que rarement ils ont donné à leur travail le temps nécessaire pour l'exécuter avec succès. Parmi les modernes qui ont travaillé dans ce genre, on ne peut guère citer que Chardin et Muralt; encore ce dernier a-t-il vu avec plus d'esprit que d'impartialité. On sent, comme dit Rousseau, combien il hait les Français, jusque dans les éloges qu'il leur donne.

Pour bien juger le caractère d'un pays, vaut-il mieux lui être étranger, ou en être citoyen? Il semble d'abord qu'un homme élevé au milieu de ses compatriotes, en supposant toutes les autres conditions égales, peut parvenir plus facilement à les connaître que ne le pourrait un étranger; cependant n'y a-t-il pas aussi quelques rapports qui rendent le point de vue où se trouve l'étranger plus favorable? Pour bien observer, il faut éviter également les faux jours de la surprise et ceux de l'habitude. Nous passons trop légèrement sur les objets qui nous sont familiers, nous sommes trop étonnés de ceux qui nous sont absolument nouveaux. Dans le premier cas, nos observations risquent d'être plates et communes; dans le second, il est à craindre que nous ne nous laissions séduire par une fausse apparence de merveilleux.

Pour faire donc une relation aussi intéressante qu'instructive, un voyageur devrait, ce me semble, commencer par noter soigneusement toutes les singularités qui l'ont frappé au premier coup d'œil, mais ne se permettre d'en rendre compte qu'après avoir approfondi la langue, la religion, la constitution politique, les mœurs, les usages et le ton du pays qu'il veut observer.

Ce qui rend sans doute aujourd'hui la connaissance des différents peuples de l'Europe si difficile, c'est que l'on peut dire

à peu près des nations entières ce qu'on a dit si souvent des hommes qui composent une même société. Tout s'est confondu, tout se ressemble; les mœurs, la politique, la philosophie, ont fait à peu près les mêmes progrès dans tous les États de l'Europe. Il y a un système commun à tous. L'esprit dominant des grandes capitales, le goût des voyages, celui des lettres, et surtout le commerce, ont formé pour ainsi dire de tous les peuples de l'Europe un seul peuple. Hérodote trouverait aujourd'hui, dans toute cette partie du monde, moins de caractères, moins de variétés, que dans l'étendue bornée des pays qu'embrasse son Histoire.

Rien de plus vrai en général; cependant l'on se tromperait beaucoup de croire que toutes les circonstances qui ont pu rapprocher tant de nations aient absolument effacé leur caractère original elles en ont seulement altéré quelques traits, et si, sous l'apparence qui le cache, il est plus difficile à saisir, il n'en existe pas moins. Plus la société s'étend, plus l'homme, sans doute, se dénature, mais il ne saurait changer entièrement son être. Semblable à Protée, il devient susceptible de mille formes différentes. C'est au coup d'œil du génie à le fixer sous celle qui lui est propre. L'Italie même, malgré toutes les révolutions qu'elle éprouva sous l'empire des barbares, sous le joug humiliant du despotisme religieux, et durant les longues guerres de la France et de l'Empire, n'a-t-elle pas conservé longtemps cet esprit d'indépendance et d'ambition qui fit sa gloire dans les jours heureux de la république?

Le défaut de nos vues en morale, en politique, en philosophie, est d'être toujours ou trop générales, ou trop minutieuses; mais s'il m'est permis de dire ce que je pense sur un sujet sans doute fort au-dessus de ma portée, je crois remarquer une différence sensible entre la manière dont on pouvait étudier les nations anciennes, et celle dont il faut étudier les nations modernes. Pour connaître les Grecs, les Romains et les anciens habitants des Gaules et de la Germanie, c'était beaucoup d'avoir acquis la connaissance de leurs lois, de leurs coutumes et de leur religion. On nous connaîtrait fort mal aujourd'hui si l'on ne nous connaissait que par ces relations-là. Nos lois, nos coutumes, notre religion, nous sont devenues presque absolument étrangères. Nos mœurs et notre philosophie ont du moins affaibli

beaucoup l'influence qu'elles devraient avoir naturellement sur notre manière de penser et de sentir, et l'on en jugerait bien mieux par l'esprit de notre théâtre, par le goût de nos romans, par le ton de nos sociétés, par nos petits contes et par nos bons mots, que par nos lois, notre culte et les principes de notre

gouvernement.

J'imagine qu'on ferait un ouvrage fort curieux en rassemblant sous certains titres les expressions proverbiales, les bons mots les plus caractéristiques de chaque nation. Est-il possible de ne pas reconnaître l'orgueil espagnol dans l'Almenos du Page, dont son maître avait la bonté de dire qu'il était aussi noble que le roi ? Qui ne voit l'indifférence et la morgue philosophique d'un Anglais, dans la repartie du fameux Wilkes à un poëte français qui, voulant réciter un poëme contre la fierté de ces insulaires, ne put jamais se rappeler que ce premier vers:

O barbares Anglais, dont les sanglants couteaux...

<«< Eh monsieur, rien n'est plus aisé à finir:

Coupent la tête aux rois et la queue aux chevaux! »

Le mot de Me de Tallard, qui ne voulait pas qu'on portât des jupons bordés de tresses d'or ou d'argent, parce que cela ne servait, disait-elle, qu'à écorcher le menton; ce mot si fou ne peint-il pas toute la pétulance française? Je ne cite que les premiers traits qui s'offrent à ma mémoire; il en est mille autres qui ont plus de saillie, plus d'originalité, et surtout plus de vérité locale.

Nous avons cherché dans notre littérature à imiter tantôt les Espagnols, tantôt les Italiens, tantôt les Anglais; ils nous ont imités à leur tour: cependant ne les reconnaît-on pas tous, jusque dans leurs imitations, à des nuances très-marquées? L'Espagnol n'a-t-il pas essentiellement l'esprit ingénieux que doivent produire la chaleur du climat et l'austère contrainte des mœurs publiques? l'Italien, celui qui tient à des sens délicats et à une imagination brillante et voluptueuse? l'Anglais, celui de la mélancolie et d'une méditation profonde? Et ce qui distingue particulièrement nos écrivains français, n'est-ce pas cet esprit facile et léger que donnent l'usage et le goût de la société?

« 이전계속 »