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cutives le célèbre vicaire Savoyard, ex-confesseur de Jean-Jacques Rousseau. Aujourd'hui cet infatigable athlète entre en lice avec feu M. Fréret. On a publié l'année dernière sous le nom de ce savant un Examen critique des apologistes de la religion chrétienne. Ce livre est toujours resté fort rare à Paris, où le peu d'exemplaires qui ont percé ont été vendus un, deux et trois louis. On m'avait assuré qu'il avait été imprimé fort incorrectement; mais cela n'est pas vrai, il est au contraire imprimé avec beaucoup de soin et de correction. Cet ouvrage a fort effarouché les âmes chrétiennes. M. l'abbé Bergier vient de lui opposer la Certitude des preuves du christianisme, en deux parties in-12. Je suis de l'avis de cette femme dévote qui m'assurait l'autre jour qu'il était au-dessous de la majesté de l'Église de répondre aux raisonnements des incrédules. Outre qu'il est triste d'être réduit à toujours répondre, ces disputes ne servent qu'à faire éplucher de plus près les manières de procéder de l'Église de Dieu depuis dix-huit siècles, et en éclaircissant l'histoire de son premier période, on fait surtout d'étranges découvertes. Il faut convenir au reste que M. l'abbé Bergier est un homme trèssupérieur aux gens de son métier, c'est-à-dire à ceux qui se battent pour la cause de l'Église contre tout venant. Il a de l'érudition et même de la critique. C'est dommage que sa bonne foi lui fasse exposer les objections de ses adversaires dans toute leur force, et que les réponses qu'il leur oppose ne soient pas aussi victorieuses qu'il se l'imagine.

Un autre défenseur de la cause de Dieu1 vient de publier un Supplément à la Philosophie de l'histoire, de feu M. l'abbé Bazin, dans lequel il combat les erreurs et les impiétés de ce célèbre écrivain. Il nous assure sur le titre même que son supplément est nécessaire à tous ceux qui veulent lire cet ouvrage avec fruit. Je lui souhaite de vendre autant de suppléments que l'abbé Bazin a vendu de Philosophie de l'histoire. Ce supplémentaire est bête à faire plaisir. Dans la prochaine édition des Honnêtetés littéraires, il sera attelé avec Nonotte et La Beaumelle.

- Le prince héréditaire de Brunswick, à son retour d'Italie, ne s'est arrêté que pendant environ trois semaines en cette

1. Larcher.

capitale avant de repasser en Angleterre. Ce court séjour a été employé, autant que l'empressement du public, et les fêtes qui en sont la suite, ont voulu le permettre, à voir les hommes les plus célèbres en différents genres. La partie du génie a paru mériter en particulier son attention. Il a aussi voulu dîner avec les ponts et chaussées, chez M. de Trudaine, conseiller d'État, intendant des finances et chef du département. Il a été dans l'atelier de notre Greuze, dont les ouvrages ont paru lui faire beaucoup de plaisir. Il a dîné avec une grande partie du corps diplomatique, chez M. Baur, fameux banquier, qui se vante d'avoir eu l'honneur de donner à dîner aux rois de Suède et de Pologne. Il a fait l'honneur à M. Helvétius d'accepter un dîner chez lui, où il a vu plusieurs hommes célèbres dans les lettres. Il a surtout voulu voir M. Diderot, et le voir à son aise, sans en être connu. En conséquence, le prince m'ayant choisi pour conducteur, j'ai eu l'honneur de le mener en habit gris dans un troisième bien haut, où nous avons surpris le philosophe en robe de chambre, son bonnet de nuit à la main, et nous offrant un air serein et radieux avec sa belle tête nue. Je lui présentai le prince sous le nom d'un simple gentilhomme d'Allemagne qui voyage. Après les premières politesses faites, le philosophe n'eut rien de plus pressé que de m'apprendre la maladie d'une personne considérable à laquelle il savait que je m'intéressais. Cela lui donna occasion de parler de la négligence avec laquelle les grands étaient servis par leurs gens. « Sans moi, dit-il, le pauvre malade serait mort de soif: car quand on demandait à boire pour lui, le son passait d'antichambre en antichambre, et se perdait enfin parmi la livrée sans rien produire. Au reste, ajouta-t-il, cela est fort bien comme cela. Vous voulez vous appeler altesse, éminence, excellence, avoir un nombreux cortége et être encore bien servis, cela ne serait pas juste. Moi, quand je suis malade, je crie à ma servante: « Jeanneton, à boire », et elle m'apporte à boire. » Ce début, que le hasard seul avait occasionné, me fit beaucoup rire, et le philosophe ne put concevoir pourquoi je trouvais cela si plaisant. On causa ensuite de l'art dramatique, du principe fondamental de la morale, et d'autres matières assez sérieuses qui furent traitées d'une manière fort gaie. L'entrevue dura environ une heure et demie. Après quoi, un étranger étant survenu, le prince se leva. Le

philosophe avait été si charmé de sa conversation qu'il alla l'embrasser et le serrer dans ses bras avec la plus grande cordialité, disant qu'il était enchanté d'avoir fait connaissance avec un homme aussi instruit et aussi aimable. Il nous conduisit jusqu'à l'escalier, et là nous eûmes, mot pour mot, le dialogue suivant qui me réjouit beaucoup.

Mor. Ah çà, mon ami, vous direz ce que vous voudrez, mais vous viendrez avec moi un de ces jours chez le prince héréditaire de Brunswick.

LE PHILOSOPHE. - Vous me connaissez; comment pouvezvous me faire de ces propositions? Je n'ai pas le sens commun avec les princes, vous le savez bien.

Mor. Mais enfin, celui-ci désire vous voir.

LE PHILOSOPHE. Mais moi, je ne le désire pas.

Mor. Mais que voulez-vous donc que je lui dise?

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LE PRINCE. Il en serait sûrement au désespoir.

Mor. Mais enfin s'il venait ici...

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Alors mon philosophe ouvrit de grands yeux, croisa ses bras sur sa poitrine, demanda pardon, et reçut du prince les marques les plus flatteuses d'estime et de satisfaction. Je voulus qu'il lui présentât sa fille; mais c'était le saint temps du carême, et sa mère venait de l'envoyer à confesse. Ainsi le prince prit congé du philosophe après l'avoir comblé de bontés et de politesses. Les fautes et les malheurs de l'amour intéresseront toujours en leur faveur. Un jeune mousquetaire, nommé M. de Valdahon, et Mlle de Monnier, fille du premier président de la chambre des comptes de Dôle, conçoivent l'un pour l'autre la passion la plus vive. L'opposition que Me de Monnier éprouve de la part de ses parents, qui veulent la forcer à un autre mariage, la détermine à tout tenter en faveur de son amant. Elle l'introduit plusieurs fois de nuit dans l'appartement où elle couchait à côté du lit de sa mère. Ce qui devait arriver arriva. Une nuit, la mère entend du bruit. Elle sonne et appelle ses gens. L'amant se jette hors du lit de sa maîtresse et se sauve comme il peut. Ses vêtements laissés dans ce désordre, et les aveux de sa maîtresse, découvrent toute l'intrigue. Cependant M. de Valdahon

offre de tout réparer par le mariage. La fortune, la condition, tout est à peu près égal entre les deux amants, et surtout leurs cœurs sont d'accord; mais M. de Monnier est implacable. Qu'un père irrité poignarde dans le premier moment d'un juste courroux le jeune téméraire qu'il surprend dans le lit de sa fille, je le conçois; mais qu'après ce premier mouvement passé il persiste à préférer un éclat fâcheux à l'honneur de sa fille, qu'il aime mieux couvrir son propre sang d'opprobre que de renoncer à une vengeance inutile, il faut ètre un de Monnier pour sentir et pour agir ainsi. Ce procès dure depuis plusieurs années. M. de Monnier a poursuivi l'amant de sa malheureuse fille de tribunal en tribunal. Il vient enfin de perdre son procès au Conseil en dernière instance, et ceux qui s'intéressent aux cœurs sensibles et trop tendres peuvent penser avec satisfaction que Mile de Monnier, dès qu'elle aura atteint l'âge de majorité, unira son sort à celui de son amant. En attendant, son père, trahi dans sa haine et dans l'espérance de se venger, est allé la déshériter immédiatement après la perte de son procès. J'ai eu l'honneur de vous parler dans le temps d'un premier mémoire fait en faveur de M. de Valdahon par M. Loyseau de Mauléon. Cet avocat vient d'en faire un second pour cette dernière instance. Ils sont l'un et l'autre très-intéressants, et méritent d'être conservés. M. Loyseau de Mauléon est un homme de beaucoup de mérite. C'est aujourd'hui la meilleure plume du barreau.

M. Coqueley, avocat, passe pour l'auteur d'un précis en six pages in-4°, pour le sieur Boucher de Villers, peintre de portraits, contre le sieur Costel, apothicaire 1. Ce précis n'est cependant signé que par un procureur. C'est un tissu de mauvaises plaisanteries qui font rire malgré leur peu de finesse. L'apothicaire commande au peintre son portrait, pour lequel il s'engage de lui payer quatre louis. Quand le portrait est fait, il ne le trouve pas ressemblant, il chicane, il prétend avoir acquitté la plus grande partie du prix en drogues, etc. Enfin, le peintre est obligé de lui faire un procès pour l'obliger de retirer son portrait et d'en payer le prix convenu; et l'avocat en prend son texte pour se divertir aux dépens de l'apothicaire.

1. Réimprimé au tome Ier des Causes amusantes et connues.

Je ne suis pas bien rigide, et j'aime à rire comme un autre ; mais si je suis jamais nommé conservateur des mœurs publiques, j'avertis que je punirai sévèrement tout avocat qui osera s'égayer indiscrètement et tourner en ridicule la profession du dernier des citoyens. Dans un État bien policé, toute profession, je ne dis pas utile, mais tolérée, doit être à l'abri de la satire. Cela n'empêche pas que les ridicules de chaque profession ne puissent être exposés sur la scène, à laquelle je conserverai certainement une liberté illimitée; mais les tribunaux ne sont pas des salles de spectacle, et quand on plaide contre un homme en l'appelant par son nom et son état, il ne doit avoir d'autres ridicules que ceux qui résultent de sa conduite dans le procès dont il s'agit. La différence est sensible. Je parie que M. Costel rit comme moi des plaisanteries sur les apothicaires, en voyant le Malade imaginaire, le Légataire universel et Pourceaugnac, et je parie qu'il n'a pas ri comme moi du mémoire de M. Coqueley. Je sais bien que l'honneur d'un apothicaire et celui d'un maréchal de France ne doivent pas se ressembler; mais si jamais je suis nommé conservateur des mœurs publiques, je conserverai l'honneur de l'apothicaire avec autant de soin que celui du maréchal de France, en vertu de la certitude que j'ai que chaque profession doit avoir son honneur dans un État bien ordonné, que les hommes ne sont si mauvais que parce qu'on les abaisse, et qu'on ne sait se servir avec eux du ressort de l'honneur, le plus général, le plus sûr et le plus puissant de tous.

L'Homme sauvage, histoire traduite par M. Mercier, volume in-12 de trois cents et quelques pages. Cette prétendue histoire est celle d'un jeune homme dont le père, chef d'un peuple d'Amérique, après avoir été longtemps en proie à la perfidie et à la cruauté des Espagnols, se sauva avec son fils et sa fille encore enfants, et un fidèle esclave, dans un désert où il éleva ses deux enfants dans la simple loi naturelle. Ainsi le frère, parvenu à l'âge de puberté, devient l'époux de sa sœur. Un Européen survient et trouble le repos de cette heureuse famille, et lui fait quitter son asile après la mort du père. Ce roman a fait un peu de sensation, parce que le déisme y est fortement prêché. Il a été imprimé avec approbation, et quelques jours après sa publication il a été défendu. Je ne sais si l'on s'en

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