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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

PHILOSOPHIQUE ET CRITIQUE

(1753-1793)

CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

PHILOSOPHIQUE ET CRITIQUE

AVRIL.

1er avril 1766.

Le triste événement qui a privé la France de l'héritier présomptif de sa couronne nous a attiré une foule d'écrits lugubres. Paris n'est occupé depuis trois mois que d'oraisons funèbres, dont aucune n'occupera la postérité 1. Il serait aussi impossible que superflu de passer en revue tout ce qui a été écrit et imprimé à ce sujet; il suffit de dire un mot des morceaux qui ont fixé l'attention du public. Le premier est un Portrait de feu monseigneur le Dauphin, dédié au Dauphin son fils, et orné en effet du portrait de ces deux princes. C'est un écrit de quarante pages attribué à M. le marquis de SaintMégrin, fils du duc de La Vauguyon, gouverneur des enfants de France. Quelques-uns ont prétendu que c'est un ci-devant soi-disant jésuite, appelé Cérutti, qui a tenu la plume pour en laisser l'honneur à M. de Saint-Mégrin. Si cet éloge est l'ouvrage d'un homme de lettres, il n'y a rien à en dire, parce qu'il n'y a point d'idées; mais si c'est un jeune homme de la cour qui l'ait écrit à l'âge de vingt ans, il mérite beaucoup d'attention par la sagesse et la noblesse de l'élocution, par l'élégance et la grâce du style, par je ne sais quoi de distingué dans

1. La France littéraire de 1769 donne le titre de vingt-deux Oraisons funèbres du Dauphin. (T.)

le ton, qui est celui d'un homme du monde plutôt que d'un auteur. Cet éloge est, à tout prendre, ce qui a paru de mieux à l'occasion de la mort de M. le Dauphin, parce qu'il est simple et noble, et éloigné de toute déclamation.

L'Oraison funèbre prononcée dans l'église de Paris, le 1er mars dernier, par messire Charles de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, et imprimée depuis ', n'a point eu de succès. C'est l'ouvrage d'un homme d'esprit, mais faible, sans éloquence et sans talent. Une femme qui aurait débité au coin du feu ce que dit le prélat sur la difficulté du rôle d'un dauphin passerait avec raison pour avoir la causerie fort agréable; mais un orateur doit savoir manier d'autres textes, ou agrandir les petites choses, quand il se permet d'y toucher. M. l'archevêque de Toulouse est jeune: il passe pour avoir beaucoup d'esprit. Il est regardé comme devant être un jour à la tête du clergé ; mais l'esprit de conversation et de conduite, et le talent, sont deux choses fort diverses. M. l'archevêque de Toulouse me paraît faible et frêle de génie comme de constitution. Il ne se publie pas de mandement, d'instruction pastorale, d'oraison funèbre, ou d'écrit épiscopal quelconque, sans qu'il y soit fait mention honorable de la philosophie de nos jours, qui, suivant l'expression favorite de ces messieurs, sape les fondements de l'autel et du trône; et ils ont leurs bonnes raisons pour plaquer leur boutique immédiatement contre le palais du gouvernement, et pour persuader aux imbéciles que ses fondements s'en ressentiraient si l'on venait à abattre cet absurde et impertinent édifice qui menace ruine de toutes parts. On a appelé cette sortie contre les philosophes le point d'orgue des évêques. Les musiciens français appellent point d'orgue ce que les chanteurs italiens nomment cadenza, par laquelle ils terminent les airs, et où ils montrent leur savoir-faire. Ainsi quand la sortie contre les philosophes est forte et véhémente, on dit que l'évêque a fait un fort beau point d'orgue. Ces points d'orgue ne réussissent pas toujours. Celui que l'évêque du Puy en Vélay, frère de l'illustre Pompignan, fit, il y a quelques années, dans sa fameuse Pastorale, lui attira la semonce d'un quaker, qui se conservera parmi les écrits de cet abominable

1. 1766, in-4°.

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