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prendra au censeur royal comme on a fait dans le procès de Bélisaire. Le censeur de l'Homme sauvage est M. Le Bret, qu'il ne faut pas confondre avec M. Bret qui a approuvé Bélisaire; M. Le Bret pourrait bien avoir le sort de M. Bret. Je ne sais si l'auteur de l'Homme sauvage est ce M. Mercier qui concourt depuis quelque temps pour les prix de l'Académie française. Je ne sais si ce M. Mercier est le même qui a écrit en dernier lieu l'histoire d'un prétendu poëte arabe, et quelques autres insipidités1. Je ne sais si ce M. Mercier est jeune ou vieux. On aperçoit dans son Homme sauvage du style et même de la chaleur; mais celle-ci est factice, et l'autre est lourd. D'ailleurs nulle trace de génie, nulle vérité. La lecture en est pénible et sans attrait, et l'on sent à chaque page le défaut de naturel, l'impuissance de l'auteur, et la difficulté du sujet. C'était vraiment un beau sujet que l'histoire de l'homme sauvage; mais l'homme du plus grand génie n'aurait pas été trop fort pour cela, et M. Mercier n'est pas cet homme-là. Dans huit jours il ne sera pas plus question de son homme sauvage que s'il n'avait jamais existé, à moins que la Sorbonne n'ait la charité de l'honorer d'un anathème pour le profit du libraire.

Dissertation physico-médicale sur les truffes et sur les champignons, par M. Pennier de Longchamp, docteur de la faculté de médecine d'Avignon. Brochure in-12 de soixantesix pages. L'auteur de cet écrit est d'assez bonne composition. Il fait à la vérité la guerre aux champignons, qu'il déclare un mets dangereux, quoique flatteur; mais à l'égard des truffes, il n'est pas éloigné de croire qu'elles facilitent la digestion.

Le brevet honorable accordé par le roi à la fille cadette. de Mme Calas, à l'occasion de son mariage, a réveillé la rage des ennemis de cette famille vertueuse. Les bruits calomnieux qui sont détaillés dans la déclaration imprimée de Jeanne Vignière, ancienne servante de Mme Calas, ont été non-seulement répandus à Toulouse, mais il s'est trouvé ici un homme assez pervers ou assez léger pour annoncer cette nouvelle comme certaine et confirmée par M. Mariette, avocat de Mme Calas, et pour la soutenir à la table de M. le contrôleur

1. L. S. Mercier n'aurait été, selon Quérard, que le traducteur de ce roman, dù à un écrivain allemand, J. G. B. Pfeil. Il a été plus haut question de l'Histoire d'Izerben.

général, en présence de ce ministre et de vingt autres témoins. Il a donc fallu détruire cette calomnie d'une manière authentique. On en a rendu compte à M. le contrôleur général, qui en a instruit le roi. Ce qui n'empêche pas que celui qui a osé la débiter en pleine table ne jouisse de l'impunité et même de l'avantage de ne pas être connu.

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1er mai 1767.

J'ignore le nom de ce bon israélite qui, touché des maux de l'humanité, s'est généreusement saigné, comme on dit, et a proposé un prix à gagner par trois différents orateurs qui, au jugement de trois différentes académies, auraient fait le plus beau recueil de phrases sur les malheurs de la guerre et sur les avantages de la paix. Les trois tribunaux désignés par le bon israélite étaient l'Académie française, la Société typographique de Berne, et une autre société littéraire de Hollande. La médaille d'or à remporter était de la valeur de six cents livres, si je ne me trompe; et l'Académie française, ayant affaire à une nation plus vive, s'est trouvée en état, au mois de janvier dernier, de se décider entre les différents concurrents, et d'adjuger le prix qui était à sa disposition à un discours de M. de La Harpe. La décision des deux autres académies étrangères n'est pas parvenue à ma connaissance; ainsi je ne puis vous dire quelles sont les deux autres colonnes qui, de concert avec M. de La Harpe, soutiendront l'édifice de la paix perpétuelle en Europe, dont l'idée a été naguère conçue par un bonhomme appelé l'abbé de SaintPierre, et ébauchée depuis par Jean-Jacques Rousseau, un des plus fameux maîtres maçons et metteurs en œuvre de notre temps.

M. Gaillard, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et qui aime à concourir pour les prix qui sont à la disposition de l'Académie française, n'a pas voulu manquer une si belle occasion de signaler son amour pour la paix. Il a un droit incon

testable au premier accessit de chaque promotion, et, en vertu de ce droit, son discours sur les avantages de la paix a fait regretter à l'Académie de n'avoir pas un second prix à distribuer; c'est la formule. Mais comme les regrets de l'Académie et les honneurs de l'accessit sont stériles, et que M. Gaillard, en partageant, il y a deux ans, le prix de l'éloge de Descartes avec M. Thomas, a éprouvé tout le poids du vers de la Henriade:

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier,

il a fallu songer à un tempérament qui, sans placer M. Gaillard sur la même ligne que M. de La Harpe, lui procurât cependant quelque avantage réel pour tous les avantages de la paix que son discours versait sur l'Europe en abondance. Et tout de suite il s'est trouvé un nouvel anonyme qui, informé des regrets de l'Académie, lui a fait remettre vingt-cinq louis pour une autre médaille à accorder avec l'accessit au discours de M. Gaillard. Qu'on dise après cela que les patriotes sont rares parmi nous! Il est vrai que de méchantes langues ont prétendu que cet inconnu généreux était M. Gaillard lui-même, en observant que de pareilles générosités lui procureront des couronnes académiques sans le ruiner. Il donnera d'une main ce qu'il reprendra de l'autre, et il en sera quitte pour la façon de la médaille en laquelle il faudra convertir ses espèces; et même, comme il dépend de celui qui remporte le prix ou de se faire délivrer la médaille, ou d'en prendre l'équivalent en or, il est évident que M. Gaillard, en se couronnant ainsi lui-même, ne fera aucune dépense, et n'a d'autres frais à supporter que ceux de l'incognito. Il est vrai que si les prix qu'il distribue de cette manière ne le ruinent pas, ceux qu'il gagne par la même opération ne l'enrichiront pas; mais, après tout, il ne faut pas croire ce que disent de mauvaises langues, et je suis persuadé que M. Gaillard n'est pas capable d'envoyer en cachette à l'Académie le prix d'un accessit qu'il a remporté.

Remarquez, je vous supplie, combien il est aisé et peu coûteux en ce siècle de faire de grandes choses et d'être utile au genre humain. Les trois prix gagnés en France, en Hollande et en Suisse ne monteront qu'à une somme de dix-huit cents livres. C'est tout ce qu'il en coûtera au bon israélite anonyme

pour procurer à l'Europe une paix perpétuelle au moins de cinquante ans; car il n'est pas à présumer qu'il y ait aucun souverain au monde assez hardi pour faire la guerre, tandis que les discours de MM. de La Harpe et Gaillard seront dans leur primeur, que j'évalue à un demi-siècle. Qui ne voudrait avoir payé cette somme du plus clair de son bien, et se coucher le soir avec la certitude d'avoir sauvé la vie à des milliers d'hommes que la guerre aurait moissonnés sans cette dépense? M. Gaillard, à la vérité, ne prétend pas nier que ce projet de paix perpétuelle n'ait ses difficultés, dont la plus grande, dit-il, sera toujours de vouloir fermement l'exécuter; mais, ajoutet-il, que l'on veuille seulement, et les difficultés s'aplaniront. M. Gaillard est un de ces esprits lumineux qui portent la conviction partout; son raisonnement est sans réplique.

A parler plus sérieusement, on ne peut assez s'étonner qu'on ait cherché à renouveler de nos jours cette rêverie de l'abbé de Saint-Pierre, et qu'il se soit trouvé un assez bon citoyen pour y dépenser son argent. Bon citoyen, je rétracte cette épithète, et je ne trouve guère d'argent plus mal employé que celui qui a servi à payer ces prix. Vous conviendrez aisément, je pense, que tous ces discours ensemble ne feront pas tirer un coup de fusil de moins en Europe; c'est là cependant le moindre tort du bon israélite inconnu. Un plus réel, c'est de donner à nos jeunes. gens une occasion de plus d'employer leur rhétorique à des futilités de cette espèce. Les occasions de se montrer vraiment éloquent sont déjà assez rares parmi nous sans qu'on se donne la peine de tourner les efforts de la jeunesse sur les objets propres à répandre le goût du bavardage et de la déclamation. Que M. Gaillard s'exerce sur des pauvretés de cette espèce, il n'y a pas grand mal; la platitude de son style le tient tout juste au niveau de la matière; mais quoique M. de La Harpe ait plus besoin qu'un autre de vingt-cinq louis, je suis presque fâché qu'il ait gagné ce prix. Ce jeune homme a du style et du talent, et le discours que l'Académie française vient de couronner vous en donnera une nouvelle preuve. Il s'agit seulement de lui faire trouver le genre auquel il est propre, et ce n'est pas en faisant des phrases sur les malheurs de la guerre et sur les avantages de la paix qu'il en fera la découverte.

Qu'il me soit permis de faire au bon israélite qui a jugé à

propos de dépenser son argent pour le bien de la paix deux ou trois observations qui ne lui coûteront rien. Il n'y a personne qui ne soit pénétré des biens inestimables de la paix et des maux de toute espèce que la guerre entraîne après elle. Rassemblez tout ce que l'Europe contient d'hommes éloquents, et ils ne vous diront rien sur ce sujet que vous n'ayez pensé vousmême, que vous n'ayez mieux senti. Mais à quoi serviront tous leurs discours si la guerre est un mal inévitable? Or, réfléchissez sur la nature de l'homme, et voyez si, pour prévenir efficacement les guerres, vous n'êtes pas réduit à l'altérer dans son essence, c'est-à-dire à désirer une chose impossible; voyez si, en ôtant à l'homme ce qui lui fait entreprendre une guerre offensive et défensive, vous ne le privez pas aussi de ses plus belles vertus, de ses plus grandes qualités. Quand vous l'aurez réduit à l'état d'automate, le règne de la paix perpétuelle còmmencera infaillible.

Vous êtes bien hardi si vous osez décider, en votre qualité de bon diable, que cette paix perpétuelle n'est pas contraire à l'ordre physique de la nature, et si vous ne mettez pas au moins en doute que dans cet ordre le genre humain puisse subsister sans se faire la guerre de temps en temps.

Vous êtes tout aussi hardi d'affirmer que votre paix perpétuelle n'est pas contraire à l'ordre des sociétés politiques, et de croire que leur police puisse subsister avec vos vues pacifiques. N'y a-t-il pas dans toute société policée une classe d'hommes dont le tempérament actif et ardent ne s'accommode pas du cours ordinaire, c'est-à-dire lent et uniforme des choses, et qu'aucune loi, aucun frein n'est assez fort pour assujettir à l'ordre civil? Otez à cette classe d'hommes la ressource de la guerre, le métier des hasards, et vous en ferez autant de perturbateurs du repos intérieur de la société. Il faut donc à toute société politique un écouloir pour la séparation des humeurs, et pour que le plus grand nombre de citoyens puisse vivre paisible; il faut que le petit nombre de caractères indomptables qui se trouvent parmi eux, puisse avoir la ressource de courir les dangers et d'y périr, ou bien de réussir, à force de travaux, de fatigues et de malheurs, à dompter cette effervescence de tête et d'âme incompatible avec la police de la société. Voulez-vous vous rendre cette vérité sensible par une noble comparaison? Demandez à votre

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