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depuis soixante ans : croira-t-on que les Anglais, sous le règne de Guillaume III, sous celui de la reine Anne, sous celui de George Ier, sous le ministère de Walpole, sous celui de M. Pitt, se ressemblent? et un raisonneur politique aurait-il beau jeu de confondre toutes ces époques, et d'argumenter de l'esprit public de l'une à l'esprit public de l'autre? Oui, sans doute, rien ne serait plus sûr pour déraisonner magnifiquement. Eh bien, c'est ce qui arrive tous les jours à nos faiseurs de livres. Ils disent les Romains, et j'ai toujours envie de leur demander de quel temps? Ils font bien pis; ils disent les anciens, et confondent sous ce nom vague différents peuples et différents pays qui n'ont absolument rien de commun. Notre faible vue, à mesure que les objets s'éloignent, les confond et les rapproche les uns des autres, et nous en raisonnons en conséquence de cette erreur de notre faible vue, et nous avons encore la puérile présomption de croire la vérité faite pour

nous.

Au reste, le peu de personnes qui ont jeté les yeux sur la traduction de M. Marmontel ont relevé plusieurs passages où le traducteur paraît n'avoir pas entendu le latin.

- Un compilateur qui ne s'est pas nommé a fait imprimer un Dictionnaire d'anecdotes, de traits singuliers et caractéristiques, historiettes, bons mots, naïvetés, saillies, réparties ingénieuses, etc., etc. Deux volumes in-8°. Insigne rapsodie qu'on peut cependant parcourir, quoiqu'assurément le rédacteur n'ait pas le pinceau de Plutarque. Cette compilation va être suivie d'une autre sous le titre de Dictionnaire des portraits et anecdotes des hommes illustres.

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Histoire critique de l'éclectisme ou des nouveaux platoniciens, en deux volumes in-12. C'est un grave docteur de Sorbonne, dont le nom me revient aussi peu que son ouvrage revient au public, qui est l'auteur de cette histoire destinée à relever toutes les erreurs dont l'article Eclectique de l'Encyclopédie est farci. Le docteur a raison, ces encyclopédistes sont des gens sans foi ni loi. Ils s'abandonnent à leur imagination, et font dire aux anciens philosophes des choses auxquelles ils

1. Selon Barbier, qui ne cite pas l'édition annoncée par Grimm, La Combe de Prézel, auteur de cette compilation, aurait été aidé par Malfilâtre. 2. L'abbé Guillaume Maleville.

n'ont jamais pensé. Si l'auteur de cet article, M. Diderot, est obligé de répondre de tout ce qu'il a mis proditoirement dans la bouche des autres, je ne me soucie pas d'être à côté de lui le jour de la grande trompette.

ΜΑΙ.

1er mai 1766.

Le conte de la Reine de Golconde est le chef-d'œuvre de M. le chevalier de Boufflers. Il le composa, il y a cinq ans, au séminaire de Saint-Sulpice, où il s'était enfermé pour se faire apprenti évêque, et d'où il sortit au bout de quelques mois, n'ayant d'autre preuve de vocation pour l'épiscopat que l'histoire de cette aimable Aline. Aussi l'auteur prit-il son parti en galant homme, et au lieu d'ambitionner le rochet et l'étole, il alla ceindre son épée et faire la guerre aux ennemis du roi en Hesse. Sérieusement parlant, son conte de la Reine de Golconde est un peu libre, mais à cela près, le plus joli ouvrage qui ait paru en ce genre depuis longtemps. M. de Voltaire pourrait l'avouer sans honte; et quoiqu'il ne soit pas infiniment moral, je donnerais volontiers pour lui tous les contes moraux de M. Marmontel. Ce sujet était charmant à placer sur le théâtre, et on nous annonçait depuis deux ans un opéra fait par M. Sedaine et M. de Monsigny, qui devait faire époque sur l'ennuyeux théâtre de l'Académie royale de musique. Cet opéra vient d'être joué1 avec un succès qu'il faut attribuer à la dépense que les directeurs de ce spectacle ont faite en habits et en décorations, car d'ailleurs le public n'a point reconnu dans le poëme le génie et la touche de M. Sedaine, et les connaisseurs ont trop bien retrouvé dans la musique les maigres talents de M. de Monsigny. Mais comme il y a à Paris mille personnes en état d'apprécier le mérite d'un poëme, contre une qui se connaisse en

1. Aline, reine de Golconde, fut représentée pour la première fois le 15 avril 1766. (T.)

musique, toutes les critiques se sont portées sur le poëte, et les défauts du musicien, bien autrement nombreux et barbares, ont à peine choqué. Il faut cependant convenir qu'on n'a pres que point fait de reproche au poëte qui ne soit fondé. La platitude et la barbarie du style ne sont point compensées ici par ces traits vrais, naïfs et heureux qui caractérisent les pièces de M. Sedaine. Il a assez bien et assez naturellement disposé le sujet; mais, à cela près, il n'en a pas tiré le moindre parti.

Monsieur Sedaine, consolez-vous cependant car pour avoir fait un mauvais opéra, je ne vous estime pas un brin moins qu'auparavant, et vous auriez peut-être perdu dans mon esprit, si vous y aviez réussi. Souvenez-vous que M. de Voltaire, qui a excellé dans tous les genres, n'a jamais pu réussir dans celui-ci. Ses chutes sur ce théâtre lui ont toujours donné un titre de plus à mon admiration; son esprit juste et vrai n'a jamais su se plier au faux goût de ce genre, qu'une antique superstition lui a fait regarder comme admirable. Ce genre sera toujours fastidieux et insupportable aux gens de goût; et si Dieu fait jamais la grâce aux Français de leur ouvrir les oreilles, et de leur faire comprendre ce que c'est que la musique, on ne croira jamais qu'une nation si polie et si cultivée d'ailleurs ait pu supporter cent ans de suite ce qu'elle appelle un opéra. Le vrai reproche que M. Sedaine a à se faire, c'est de n'avoir pas tenté de hâter cette révolution.

M. de Bury a fait, l'année dernière, une Histoire de Henri IV en plusieurs volumes. Personne, Dieu merci, n'a lu cette histoire; et il ne faut pas être maladroit pour écrire, au milieu de la capitale, la vie du roi le plus cher à la nation sans que la nation le sache. Ce M. de Bury est un polisson qui peut se placer hardiment à côté de M. le marquis de Luchet, si justement décrié pour ses talents historiques. Il a plu à M. de Bury d'attaquer, dans sa préface, l'histoire de l'illustre président de Thou, de la façon du monde la plus téméraire; et M. de Voltaire a cru devoir justifier la mémoire de cet homme célèbre, dans une feuille de trente-huit pages qui vient de paraître'. M. de Voltaire a tort. Il démontre qu'un homme qui

1. Le Président de Thou justifié contre les accusations de M. de Bury, auteur d'une vie de Henri IV (1766), in-8°.

écrit le français comme M. de Bury, c'est-à-dire comme un décrotteur, n'a pas le droit d'attaquer un homme du mérite de M. de Thou. M. de Voltaire a tort. Eh! que diable cela fait-il que M. de Bury attaque ou n'attaque pas, qu'il loue ou qu'il blâme? Quoi qu'il fasse et qu'il dise, il ne mérite certainement pas l'honneur d'être relevé par M. de Voltaire; mais puisque celui-ci se déterminait à le châtier, il fallait du moins en faire justice sévère, et le traiter avec le mépris et l'indignation convenables, et non comme si M. de Bury était quelque chose. Voilà ce que je prends la liberté de remontrer à M. de Voltaire. Je sais bien qu'il n'est pas fâché de rapporter à cette occasion quelques lettres originales, déjà insérées dans le Mercure, et quelques propos connus de Henri IV, qui ne sont pas à la plus grande gloire de la religion catholique, apostolique et romaine; mais il ne fallait pas mêler le sacré avec le profane, les mots du grand Henri avec les bévues et le jargon de ce Bury. M. de Voltaire lui reproche de parler de lui-même, et de nous dire qu'il a déjà donné au public une vie de Philippe de Macédoine1. Illustre patriarche, vous avez de l'humeur. Comment l'auriezvous donc su s'il ne vous l'eût pas dit, et qui voulez-vous donc qui parle de M. de Bury, si ce n'est pas lui-même?

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On a imprimé à Londres, en français et en anglais, une lettre de M. de Voltaire, adressée à Jean-Jacques Pansophe, autrement dit Rousseau. Dans cette lettre, qui est défigurée par un nombre infini de fautes d'impression, M. de Voltaire se défend de l'imputation d'avoir nui à M. Rousseau à Genève, imputation certainement aussi fausse et aussi injuste qu'odieuse. Chemin faisant, M. de Voltaire dit à Jean-Jacques Pansophe beaucoup de vérités dures qu'il aurait tout aussi bien fait de lui épargner. Ce pauvre Jean-Jacques est assez malheureux par son propre fait pour qu'on ait de l'indulgence pour lui, et qu'on ne prenne pas garde à ses écarts; mais M. de

1. Histoire de Philippe et d'Alexandre le Grand, rois de Macédoine, par de Bury, 1760, in-4°.

2. Le docteur Pansophe, ou Lettres de M. de Voltaire (et de Borde), Londres, 1766, in-12. La lettre du docteur Pansophe est de Borde. Voltaire avait d'abord attribué cette pièce satirique à l'abbé Coyer, qui l'a désavouée par une lettre insérée dans les OEuvres diverses de J-.J. Rousseau, édition de Neufchâtel (Paris), tome VII. (T.)

Voltaire n'entend pas cette morale, et il a été trop sensible à cette accusation pour l'oublier si vite.

Il faut passer en revue une foule de romans qui ont paru depuis peu.

Lucy Wellers est un roman anglais en deux volumes, traduit par un certain M. le marquis de La Salle 1. Cela est au-dessous du médiocre. Nous avons traduit tout ce que les Anglais ont de précieux en ce genre; mais pourquoi traduire le mauvais? Quant à nos traducteurs, quelque précipitation que feu l'abbé Prévost ait mise à faire ses traductions, il s'en faut bien qu'il ait été remplacé. On dit que ce roman est d'une dame de Londres; et puisque Paris a sa Mme Bontemps, sa Mme Benoist, sa Mine Guibert, etc., etc., pourquoi Londres n'aurait-il pas les siennes?

On attribue à l'auteur de Lucy Wellers un autre roman intitulé les Frères, ou Histoire de miss Osmond. Celui-ci vient aussi d'être traduit par M. de Puisieux, en quatre parties. Je ne sais si cette M. signifie monsieur ou madame de Puisieux2; car Mme de Puisieux était autrefois un auteur célèbre; mais depuis que M. Diderot ne la voit plus, elle paraît avoir quitté la littérature. Quoi qu'il en soit, ce roman de Miss Osmond est encore plus pitoyable que le précédent.

Ne lisez pas les plats et tristes Mémoires du Chevalier de Gonthieu, publiés par M. de La Croix, en deux volumes. Ce M. de La Croix a bien les meilleures intentions du monde. C'est dommage que les gens à bonnes intentions soient de si pauvres poëtes et de si ennuyeux auteurs.

Les Mémoires d'une Religieuse, écrits par elle-même, et recueillis par M. de L..., en deux parties, sont d'une platitude bien plus amusante3. Du moins on y trouve une amante qui, quand on la chagrine, a un débordement de bile tout prêt qu'elle vomit sur ses persécuteurs. Son amant s'était sauvé sur un toit, et là, s'appuyant sur une cheminée, il entend les gémissements de sa triste maîtresse. Tout aussitôt ses forces l'abandonnent, les pieds lui manquent, et il tombe évanoui par

1. La Haye et Paris, 1766, 2 vol. in-12.

2. 1766, 4 part. in-12. L'm qui est sur le titre signifie monsieur.

3. Les Mémoires d'une Religieuse (1766, 2 part. in-12) sont de l'abbé de Longchamps, mort à Paris, en 1812, dans une grande misère. (B.)

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