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plus absurde de vouloir l'améliorer qu'aucun médecin sage ne se vantera de savoir ce qu'il faut faire pour cela. M. Gatti prouve ensuite que la méthode ordinaire de l'insertion est très-mauvaise. Quant au traitement de la petite vérole, tant artificielle que naturelle, il ne connaît que deux points essentiels, savoir, de tenir le malade gai, et de l'exposer le plus qu'il est possible au froid; et il prétend qu'en observant ces deux points on se convaincra que la petite vérole est par sa nature une maladie bénigne, et qu'elle n'est devenue meurtrière que par le traitement des médecins. M. Gatti ne se soucie pas, comme vous voyez, de flatter ses confrères; mais moi, qui me soucie d'être toujours vrai, je suis obligé en ma conscience d'attester que je l'ai vu, cet hiver, traiter Me Hélvétius de la petite vérole naturelle, conformément à ses principes et avec le plus heureux succès. Mine Helvétius, ayant plus de quarante ans, se trouve dans un âge ou la petite vérole est regardée comme mortelle à Paris. La première ordonnance de M. Gatti, lorsqu'il se fut assuré de la maladie, ce fut de faire éteindre le feu et ouvrir les fenêtres d'heure en heure; c'était au mois de janvier. Il obligea ensuite la malade de se tenir hors de son lit et de se promener dans sa chambre fraîche pendant l'éruption. Cette éruption finie et pendant tout le reste de la maladie, M. Gatti employa le temps. de ses visites à faire des cabrioles dans la chambre de la malade, à danser avec ses filles, à faire enfin mille polissonneries qui nous faisaient mourir de rire. Je ne me doutais guère alors que ce fût en vertu d'un principe de médecine qu'il se livrait à toutes. ces folies; mais l'événement a bien justifié sa méthode. Mme Helvétius s'est tirée de sa petite vérole le plus heureusement du monde, et sans que son apothicaire ait eu occasion de lui fournir un denier de drogues. Je sens cependant que la méthode de M. Gatti est trop simple, trop raisonnable pour avoir jamais une grande vogue. Les hommes veulent être trompés. Plus un procédé est insignifiant, plus il leur en impose; le mensonge soutenu par la pédanterie est sûr de son effet sur le vulgaire, et ce vulgaire compose les dix-neuf vingtièmes du genre humain. Je ne sais si nous guérirons jamais de la maladie des théologiens; pour celle des médecins elle me paraît absolument incurable. Au reste, un certain M. Sutton pratique depuis quelque temps en Angleterre l'inoculation conformément aux idées de M. Gatti,

avec un prodigieux succès. Je suis convaincu que cette méthode finira par être généralement adoptée dans toute l'Europe; mais il faut bien du temps aux hommes pour se rendre à la raison. En France, nous aurons la gloire de lui résister sur ce point plus longtemps que les autres nations: grâces à la sagesse de nos corps, ç'a été de tout temps notre rôle.

-Essai sur l'histoire du cœur humain. On y a joint les caprices poétiques d'un philosophe. Volume petit in-12, de plus de deux cents pages. N'essayez point de ces essais, et garantissez-vous des caprices poétiques de ce philosophe anonyme. Il prie le lecteur en le lisant de

Se souvenir que chaque auteur,
Sans y penser, dans son ouvrage
Peint d'ordinaire à chaque page
Son caractère et son humeur.

Cela peut être vrai; mais qui est-ce qui a pu dire à cet auteur que son caractère et son humeur vaillent la peine d'être peints? Quand on a le visage plat, la figure insipide et maussade, il ne faut pas exposer son portrait à la censure publique.

M. Deserres de La Tour vient de faire imprimer un Traité du bonheur de près de deux cents pages in-12, auquel on a joint un traité de l'Éducation des anciens, qui est à peu près de la même étendue. C'est le plus impertinent et le plus insipide bavardage qu'on puisse lire. Qu'on déraisonne tristement sur le bonheur, c'est le sort de presque tous ceux qui en ont écrit ; mais qu'on ose imprimer un traité sur l'éducation des anciens, sans idées, sans connaissances, sans vues, sans style, sans presque rien dire de relatif à cet objet si intéressant et si neuf, cela mériterait punition dans un pays bien policé.

Un autre bavard a fait imprimer un traité de l'Éducation philosophique de la jeunesse, ou l'Art de l'élever dans les sciences humaines, avec des réflexions sur les études et la discipline des colleges, en deux petits volumes in-12. Je ne sais si tout ce bavardage est d'un certain défunt maître Joseph de La Motte, en son vivant maître de pension, qui se trouve cité à la suite de l'avis préliminaire1. Il y a cette différence entre ce

1. Ce traité est, en effet, de l'abbé de La Motte.

VII.

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bavard-ci et celui de l'article précédent, que celui-ci a une tête absolument vide de toute espèce d'idées et que celui-là a une tête triviale, remplie de toutes sortes de lieux communs du plus plat calibre.

Si vous voulez vous remplir la tête d'idées tristes, bilieuses et sombres, vous lirez les Pensées et Réflexions de M. de Rancé, abbé de la Trappe, qu'on vient d'extraire des Lettres spirituelles de ce célèbre atrabilaire. Tout le monde connaît l'histoire de sa conversion et de la fondation de cette fameuse abbaye où le fanatisme mélancolique et la dégradation de la raison humaine sont portés au plus haut degré de perfection. On a ajouté à ce recueil une paraphrase des sept psaumes de la pénitence; et le tout forme un volume petit in-12 de plus de cent cinquante pages.

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Il paraît tous les ans un certain nombre de pièces dramatiques qui n'ont pu être jouées, soit que les Comédiens les aient rejetées à la lecture, soit que les auteurs aient pressenti leur sort et n'aient pas voulu s'y exposer. Ils ont raison de préférer la manière de tomber la plus douce; c'est celle dont personne ne s'aperçoit. Personne par exemple ne sait qu'on a imprimé cette année une tragédie de cinq actes sous le titre de Virginie, et la pièce n'est pas mieux connue que l'auteur. Ce sujet si beau et si théâtral n'est pas encore sur le ThéâtreFrançais, et nous disons que les sujets manquent; ce sont les poëtes, les hommes de génie qui manquent, et non les sujets. Une beauté du pays de Vaud a fait imprimer aussi un essai de tragédie domestique intitulée Repsima1. Sujet tiré des Mille et un jours. Cette pièce est dédiée à M. Beccaria. Il faut connaître l'espèce de bel esprit qui règne en Suisse, surtout parmi le beau sexe, et l'effet que produit dans ces têtes femelles la lecture de nos bons et mauvais écrivains, et le salmigondis qui en résulte, pour entendre quelque chose à une pièce dans le goût de celle-ci.

M. d'Arnaud vient de faire une troisième édition, ornée d'estampes et de vignettes suivant la mode, de Fanny, ou la Nouvelle Pamela, histoire anglaise. Le sujet de ce roman ressemble un peu à celui d'Eugénie, que M. de Beaumarchais a

1. (Par Mlle Bouillé, fille d'un réfugié d'Amsterdam.) Lausanne, 1767, in-8°.

mis l'hiver dernier sur la scène. Fanny est aussi une fille abusée dont le séducteur répare à la fin ses torts par un mariage réel. Il faut bien que ces productions insipides trouvent des lecteurs pour qu'on les réimprime. La jeunesse, naturellement inflammable, est peu difficile sur les sujets et les tableaux de tendresse et d'amour. En lisant M. d'Arnaud, elle lui prête son feu; et ce pauvre homme en a besoin, car c'est l'auteur le plus glacial que nous ayons; c'est aussi un auteur perfide, car il cache sa glace sous une fausse apparence de chaleur, et sa platitude sous un style plein d'emphase et de grands mots. Je dirai cependant aux jeunes gens: Lisez cela s'il faut absolument que vous perdiez votre temps; mais le mal est que ces productions sont infiniment propres à corrompre le goût et le style. Une infortunée créature en proie à un orage de sentiments opposés, des yeux chargés d'un nuage de pleurs, des pieds qu'on arrose de deux ruisseaux de larmes : tout est écrit dans ce bon genre-là. Bonsoir, monsieur d'Arnaud, vous m'ennuyez. Je ne peux faire grâce qu'à une seule ligne de votre roman; c'est celle où vous dites que le goût de la dissipation, ordinaire à la première jeunesse, est une ivresse aussi dangereuse peutêtre pour la véritable volupté que pour la raison.

- Si vous n'avez pas assez de cette darnauderie anglaise, en voici une autre française qui vous donnera votre reste. Elle est intitulée Julie, ou l'Heureux Repentir. Ma foi, j'en avais assez de Fanny, qui m'a entre autres prouvé la parfaite ressemblance de M. d'Arnaud avec M. de Beaumarchais, en ce qu'ils ont tous les deux la manie de placer leur scène en Angleterre sans avoir la connaissance la plus légère des mœurs anglaises. Quant à Julie la Française, c'est une petite égrillarde que je soupçonne de s'être permis bien des fredaines; mais enfin elle s'en repent, en demande pardon à Dieu, à son père, à la justice, se fait religieuse et meurt sur la cendre. C'est à peu près l'histoire de la fameuse courtisane Deschamps, morte en odeur de sainteté il y a trois ou quatre ans, après voir vécu en odeur d'impureté. Comme M. d'Arnaud sait ennoblir ses sujets! Je lui ferai expédier un brevet d'historiographe des filles de l'Opéra. Ces demoiselles ont ordinairement besoin d'une plume embellissante. Le beau triomphe pour la vertu que l'heureux repentir de Julie Deschamps !

- M. Mercier, qui le dispute à M. d'Arnaud en fécondité, vient de nous faire présent des Amours de Chérale, poëme en six chants. Lisez: prose en six chapitres. Suivi du Bon Génie, qui heureusement n'a pas plus de vingt pages. M. Mercier tient boutique d'insipidités des mieux assorties.

- M. Dorat, en sa qualité de faiseur d'héroïdes, avait ébauché un petit roman qu'il vient d'achever. Valcour, Français, devient amoureux en Amérique de la belle Zéila, fille sauvage. Il la détermine à le suivre en Europe, et il s'embarque avec elle et ses trésors. Naturellement léger et volage, il l'abandonne pendant le trajet, dans une île déserte, au moment où elle porte un gage de sa tendresse dans son sein. Zéila est enlevée de cette île par un corsaire qui la vend au Grand Seigneur. Voilà le sujet de la première héroïde; c'est Zéila qui écrit à son amant. Valcour, à la réception de cette lettre, se repent et répond; c'est la seconde héroïde, mais à quoi sert un repentir stérile? Valcour s'embarque, court au sérail, y arrive au moment où le Grand Seigneur jette le mouchoir à Zéila. Zéila se prosterne aux pieds de Sa Hautesse et lui avoue son amour. Sa Hautesse le musulman prend le parti de la générosité, et unit Valcour à Zéila, qui lui fait présent d'un enfant déjà grandelet qu'il lui avait laissé dans l'île déserte. C'est la troisième héroïde qui vient de paraître, et dans laquelle Valcour rend compte à son vieux papa de tous ces événements agréables 1. Vous jugerez par cette esquisse que ce petit roman est un chef-d'œuvre de vraisemblance, et si vous avez le courage de lire les trois héroïdes, vous verrez que l'exécution répond parfaitement à l'invention heureuse de cette petite fable. Monsieur Dorat, je suis bien aise de vous dire que moi, à la place de Sa Hautesse, j'aurais fait empaler votre Valcour pour ses petites fredaines, et je vous aurais obligé d'assister à l'exécution, pendant laquelle j'aurais fait lire votre apologie des héroïdes, qui est à la tête de cette dernière, pour désennuyer et distraire la tendre Zéila, veuve de l'empalé.

1. Lettre de Valcour à son père. Figure, vignette et cul-de-lampe d'Eisen, gravés par Simonet.

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