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La catastrophe que les jésuites viennent d'éprouver en Espagne a réveillé l'attention du public sur cette célèbre Société. Lorsque les premières nouvelles arrivèrent, je me trouvais avec des gens peu touchés de ces calamités, car M. le baron de Gleichen, envoyé extraordinaire de Danemark, dit avec son air doux et sournois : Il faut convenir que l'art de chasser les jésuites se perfectionne de plus en plus. M. le comte de Greutz, ministre plénipotentiaire de Suède, prétendit que du train dont les choses allaient, le pape serait très-heureux dans quelque temps d'ici d'être le grand aumônier du roi de Sardaigne; et l'abbé de Galiani, secrétaire d'ambassade de Naples, s'écria:

Gens inimica mihi Tyrrhenum navigat æquor!

Mais cela ne prouve rien contre la Société. On sait que l'abbé de Galiani n'aime pas les jésuites, parce qu'ils ont empêché son oncle d'être cardinal; et les royaumes de Suède et de Danemark ont le malheur depuis deux siècles de n'être plus unis au rocher de Saint-Pierre établi au Vatican pour le derrière de notre très-saint père Clément Rezzonico. Nous autres gallicans, nous avons lu avec d'autant plus d'édification la savante homélie de M. l'abbé de Chauvelin, conseiller de grand'chambre au Parlement de Paris, imprimée sous le titre de Discours d'un de Messieurs, qu'elle nous a paru un des meilleurs amphigouris et des plus inintelligibles qu'on ait vus depuis longtemps. Cet amphigouri a fait une telle impression sur l'esprit de maître Omer Joly de Fleury, avocat général audit Parlement, qu'il n'a pu se dispenser de faire un réquisitoire contre les cidevant soi-disant jésuites, dont l'effet a été de les juger une seconde fois et de les faire chasser du royaume. Ce réquisitoire n'est pas écrit d'un style aussi prophétique que le Discours d'un de Messieurs, mais il est remarquable par son extrême platitude, qu'on croyait même perdue depuis que l'illustre Chaumeix s'était retiré en Russie. Grâces au ciel, nous avons plus d'un Chaumeix en France, et celui que M. l'avocat général a choisi pour lui rédiger ses réquisitoires vaut bien l'autre. Vous ne devineriez par exemple jamais ce qui a le plus frappé ce magistrat dans l'aventure des jésuites en Espagne :

ce sont, dit-il, les motifs qu'une réticence religieuse et respectable a fait renfermer dans le cœur royal du monarque. C'est-àdire que ce qui le frappe le plus est ce qu'il sait le moins. Il faut convenir que ni le Cicéron de Rome, ni celui de Rennes, ne savaient faire des morceaux de cette éloquence.

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M. d'Alembert a profité de la circonstance pour faire imprimer à Genève une Lettre de M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à son ouvrage sur la Destruction des jésuites. Brochure in-12 de cent trente-quatre pages qu'on ne trouvera pas à Paris et qui ne plaira pas à Versailles. Ce supplément ne regarde pas l'expulsion des jésuites d'Espagne, car il est daté du 1er décembre 1765, avec un post-scriptum du 30 mars 1766. M. d'Alembert répond à différentes critiques que les jansénistes surtout ont faites de son livre, et dans lesquelles il est appelé Rabsacès, Philistin, Amorrhéen, enfant de Satan, etc. J'aime mieux ce supplément que l'ouvrage même, qui m'a paru dans le temps mesquin et faible, avec beaucoup de prétention à l'épigramme. Dans le supplément je trouve quelques endroits mieux traités et mieux écrits. Avec tout cela il ne faut pas se souvenir du chapitre du jansénisme dans le Siècle de Louis XIV, quand on veut trouver l'ouvrage et le supplément de M. d'Alembert supportables. Les formules parasites qui reviennent à tout moment, telles que pour en revenir aux jésuites, quoi qu'il en soit, ne croyez pas au reste, avouons cependant, etc., prouvent un style décousu, faible et sans consistance.

M. de La Condamine a cherché comment on pourrait un peu consoler les jésuites, parce qu'enfin ils ont besoin de consolation dans les circonstances présentes. Il a trouvé un moyen, mais malheureusement ce moyen ne sera bon que dans quatre cents ans: c'est que personne ne croit aujourd'hui les horreurs et les abominations qu'on imputait aux templiers; ainsi, dans quatre cents ans, dit-il, personne ne croira les crimes que l'on impute aujourd'hui aux jésuites, et ils auront la satisfaction de passer simplement pour une société ambitieuse et puissante qui, s'étant fait des ennemis de tous côtés, a enfin succombé parce qu'en fait d'ambition il faut ou conquérir le monde ou en être écrasé. Je ne doute pas que la perspective d'être blancs comme neige dans quatre cents ans ne console infiniment les jésuites, et ne fasse supporter au R. P. Ricci, général, toutes les épreuves

auxquelles il a plu à la Providence divine d'appeler la compagnie de Jésus sous son règne.

15 juin 1767.

Que le dispensateur de toute sagesse et de toute gloire soit avec la sacrée Faculté de théologie de l'Université de Paris, dite de Sorbonne. Amen! Ce n'est point sans raison que cette célèbre et lumineuse congrégation a été appelée la fille aînée de nos rois, comme nos rois sont à leur tour les fils aînés de l'Église. Car, dans cette suite de beaux siècles si glorieux pour la raison, si consolants pour l'humanité, siècles vulgairement dits du moyen âge, où un tondu coiffé d'un triple bonnet et assis dans la chaire de Simon Bar-Jona, dit Saint-Pierre, lançait des foudres qui atteignaient les caboches des souverains d'une extrémité de l'Europe à l'autre, où ledit tondu lait et déliait les peuples de leur serment, installait et déposait les princes à son gré; dans ces siècles à jamais regrettables, chacun sait que tout roi très-chrétien, à son avénement au trône, était obligé, en vertu d'un décret papal, de coucher et cohabiter au nom de la nation avec la sottise. De cette accointance est née la Sorbonne, qui s'est toujours conservé le titre et les prérogatives de fille aînée, en dépit de la loi salique si défavorable aux filles. Or est-il bien vrai que, par laps de temps et écoulement d'années, cette fille aînée et plus que majeure est tombée dans un état de langueur et de délabrement très-fâcheux, au point que ses ennemis n'ont pas manqué de divulguer qu'elle était devenue absolument imbécile, et que son état de caducité et de radotage était pire que la mort. Mais à dire les choses comme elles sont, la vieillesse de cette fille respectable ressemble proprement à un doux sommeil, et c'est sans doute par une grâce spéciale du Ciel qu'elle a toujours retrouvé toute sa vigueur et toutes ses forces dans les occasions importantes et décisives. Ainsi nous l'avons vue, il y a quinze ans, dans la crise violente et fameuse de la thèse de l'abbé de Prades, lorsque le loup s'était glissé dans le bercail, lorsque le fort de Dieu. était attaqué dans son intérieur, que ses murs retentissaient du cri de l'ennemi, et que les titans encyclopédistes n'attendaient que le signal du syllogisme du bachelier pour livrer assaut et

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renverser la cité sainte; nous l'avons vue, dis-je, se réveiller en sursaut, frapper à droite et à gauche, armer le bras spirituel et le bras temporel, lancer censures et décrets de prise de corps, et réussir par ce saint zèle à purger sa maison de tous gens suspects, à en chasser les pervers et à faire lever le siége à l'armée ennemie. En vain, pendant cette fameuse campagne, des gens malintentionnés ont-ils publié le Tombeau de la Sorbonne1, comme si elle était décédée par mort violente ou naturelle dans le cours de ses travaux; nul extrait mortuaire en bonne forme n'a constaté ce décès, et ce qui vient de se passer à l'égard de Bélisaire prouve bien que si la Sorbonne a sommeillé quinze ans de suite, ce n'est que parce que le danger était loin d'elle. A l'approche d'un corps d'hérésie sous les ordres des généraux Bélisaire et Marmontel, elle s'est réveillée de nouveau, cette fille redoutable, et déjà ce corps est dispersé, et a été obligé de se replier dans les retranchements de la simple raison, sous le funeste canon de la tolérance. Trente-sept des plus hardies de ces hérésies ont été faites prisonnières de guerre en différentes escarmouches; et la Sorbonne a nommé une commission composée de ses plus graves et plus doux docteurs pour être à ces hérésies leur procès fait et parfait, nonobstant clameur de haro, charte normande et lettres à ce contraires de la part de tous les gens à sens commun et à équité, vulgairement dits gens de bien.

L'Indiculus que la Sorbonne fait imprimer pour servir de guide aux commissaires et où les trente-sept hérésies sont exposées au grand jour s'est à la vérité répandu dans le public contre ses intentions et malgré elle; mais le déplaisir que la publication de cet Indiculus a causé à la sacrée Faculté prouve avec quel soin elle cherche à nous préserver de tout venin quand elle n'en peut présenter le contre-poison en même temps. Qu'elle se rassure, cette mère trop aisément inquiète sur le compte de ses enfants. Il n'est personne qui n'ait frémi en lisant l'Indiculus, et en y voyant les trente-sept hérésies avec leurs boucliers couverts d'horribles devises. L'une de ces devises dit: La vérité luit de sa propre lumière; et on n'éclaire pas

1. Voir sur ce pamphlet, écrit ou tout au moins revu par Voltaire, le n° 208 de la Bibliographie voltairienne de Quérard.

les esprits avec la flamme des bûchers. Une autre Les esprits ne sont jamais plus unis que lorsque chacun est libre de penser comme bon lui semble. Une troisième : Je pense que Dieu ne punit qu'autant qu'il ne peut pardonner; que le mal ne vient point de lui, et qu'il a fait au monde tout le bien qu'il a pu. Une quatrième: Si l'on m'objecte que je sauve bien du monde, je demanderai: Est-il besoin qu'il y ait tant de réprouvés? Toutes les trente-sept portent des devises conçues dans cet esprit abominable, et tout le monde a senti avec autant d'indignation que de frayeur que si jamais ces maximes affreuses venaient à se glisser et s'accréditer parmi les peuples, il en pourrait résulter une douceur de mœurs générale, très-préjudiciable aux droits et prérogatives de l'Église et de ses ministres. Aussi tous ceux qui pensent bien, c'est-à-dire comme la sacrée Faculté, attendent avec la dernière impatience sa censure qui doit réduire ces trente-sept hérésies en poudre, et les proscrire comme tendantes à rendre les princes plus éclairés et moins sots, et les peuples plus sages et soumis à l'autorité légitime sans l'intervention du prêtre; à diminuer le poids du sacerdoce, et par conséquent le respect dû au bonnet carré de la Sorbonne; à en rendre la recherche moins appétissante; à arrêter dans sa source et anéantir une circulation de trente à quarante mille lettres de cachet distribuées gratuitement, et ce chaque année, par la munificence du gouvernement, pour cause de protestantisme, jansénisme, molinisme, suivant que le vent souffle: stagnation pernicieuse dans un État entièrement fondé sur les principes de circulation; et à favoriser enfin l'importation de ces maximes impies de tolérance qui se répandent aujourd'hui en Europe si généralement, au grand scandale et au plus grand préjudice de l'Église notre mère, et dont les auteurs osent pousser l'audace jusqu'à persuader qu'on peut être honnête homme, bon citoyen, fidèle sujet, sans aller à la messe.

La gloire immortelle que la Sorbonne acquerra par cette censure modérée et par la proscription nécessaire d'aussi affreux principes rejaillira principalement sur son syndic actuel, le docteur Riballier, dont le nom dérive de ribaud, suivant l'opinion des meilleurs grammairiens du siècle. Ce vigilant docteur a suivi l'hérétique et erroné Marmontel à la piste, a déchaîné toute la meute théologique après lui, et ne lâchera prise que

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