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reprend le chemin de la vertu et de la maison paternelle. Ses parents lui pardonnent. Un chevalier baronnet très-vertueux en devient amoureux. Clary ne consent à l'épouser qu'après les simagrées les plus touchantes du monde, et après lui avoir conté toutes ses petites fredaines; et M. d'Arnaud, qui est un garçon délicat sur le point d'honneur d'une fille, ne fait le mariage qu'après avoir tué le premier séducteur de Clary d'un coup de fusil à l'armée d'Allemagne : ainsi dans le fait, le chevalier baronnet épouse une jeune veuve, un peu illégitime à la vérité, mais d'ailleurs charmante et d'une vertu à toute épreuve.

Si vous voulez avoir un modèle de faux pathétique et de fausse chaleur, vous lirez ces deux romans. Je suis sûr qu'en certains quartiers de Paris et en certains endroits de province, tout cela paraît fort beau. Ce pauvre d'Arnaud n'a pas l'ombre du sentiment, il est froid comme la mort; mais il s'échauffe tant à force de grands mots que je suis persuadé que, de la meilleure foi du monde, il se trouve brûlant. C'est l'auteur de France qui entend le mieux l'éloquence des points et des tirets; en cinquante pages, l'imprimerie la mieux fournie doit se trouver épuisée. Mon cœur est déchiré... La mort y entre de toutes parts... Mon amour s'allume dans mes larmes... Tout est plein de ces expressions naturelles, et chacune est suivie d'un tiret ou de trois points. Remarquez en passant que les autres éteignent leur amour dans les larmes; mais M. d'Arnaud l'y allume, parce que tout est brûlant chez lui. Il n'y a rien de mieux pour corrompre le goût et le style que ces sortes de productions. Heureusement tout cela meurt en venant au monde.

Pour vous faire oublier les sœurs généreuses, je vais vous faire un conte de la duchesse généreuse, et ce conte n'en sera pas un. Me la duchesse de Choiseul vient de passer deux mois dans sa terre de Chanteloup en Touraine. C'est, sous les plus aimables traits, la Bienfaisance qui quitte les rives de la Seine pour un temps, et va habiter les rives de la Loire. Elle y passe peu de jours sans les signaler par quelques bienfaits. Un soir, elle se promène à cheval dans la forêt d'Amboise, suivie du docteur Gatti, son médecin, et de l'abbé Barthélemy, antiquaire célèbre. Elle rencontre une femme qui lui paraît plongée dans la douleur. Elle s'arrête et interroge. La femme est

longtemps sans vouloir dire le sujet de son chagrin. Enfin elle prend confiance dans l'honnêteté des trois personnages, et leur fait part de sa situation. Elle avait épousé un fort honnête homme, excellent mari, bon père de famille, et elle vivait heureuse avec lui. A mesure que cet homme prenait de l'attachement pour sa femme et de la tendresse pour ses enfants, il devint inquiet et rêveur. Un jour, sollicité par sa femme, il lui confie qu'il est déserteur des troupes du roi. Dès ce moment le bonheur et la sérénité disparaissent de cette heureuse chaumière, la frayeur et l'inquiétude s'emparent de toute la famille. Au moindre bruit elle croit voir arriver la maréchaussée, qui lui enlève son chef pour lui faire subir un arrêt de mort. Voilà, dit cette femme, la vie que nous menons depuis six mois que ce funeste secret m'est connu. Ah! s'écrie-t-elle, si je pouvais trouver quelque protection auprès de la duchesse de Choiseul pendant qu'elle est en ce pays! On parle tant de sa bonté; elle me rendrait service sans doute. Un mot échappé à la duchesse la fait reconnaître. Alors cette femme se recueille et se met à lui parler avec tant de force et de chaleur, avec une éloquence si touchante et si sublime qu'un tremblement universel saisit la duchesse de Choiseul, et que ses deux conducteurs fondent en larmes à côté d'elle. La fin de cette histoire c'est que Mine la duchesse est trois jours malade de cette scène. Le quatrième, M. le duc de Choiseul arrive dans sa terre; le cinquième, la grâce est accordée au déserteur; le sixième, il est établi avec sa famille au château de Chanteloup, où Me la duchesse de Choiseul donne au mari et à la femme de l'emploi et assure leur

sort.

Monsieur d'Arnaud, si cette anecdote historique parvient à votre connaissance, vous serez tenté d'en faire un roman, et d'en commander l'estampe à M. Eisen. Vous ferez le discours de cette femme, et vous y mettrez tout ce que votre imprimeur possède en points et en tirets; et je parie d'avance tout ce que vous voudrez que vous ne rencontrerez pas un seul mot de tout le discours de cette femme. Je le donnerais à de plus habiles que vous; et si vous aviez pu être témoin de cette scène, au prix de tout ce que vous avez fait et de tout ce que vous ferez jamais, je vous aurais conseillé de ne pas hésiter un seul instant : vous auriez vu du moins comment on est pathétique.

- M. Mercier, à l'enseigne de l'Homme sauvage, vient de nous faire présent d'une petite histoire morale en cent pages in-12, intitulée la Sympathie. Si M. Mercier continue son commerce de merceries en vers et en prose avec l'activité qu'il y a mise depuis six mois, je plains ceux qui sont obligés de s'assortir dans sa boutique.

Après M. d'Arnaud, ce que nous avons de plus triste en France c'est un certain M. Feutry, poëte et étudiant en artillerie. Celui-là ne rêve que lamentations, ruines, tombeaux; une demi-douzaine de gaillards de cette espèce donnerait le spleen à tout un royaume si on les écoutait. M. Feutry vient de publier les Ruines, poëme d'un triste achevé. Il nous dit dans sa préface qu'il va en Russie, pour dire, en passant à Pétersbourg, que M. le comte de Schouvaloff est un Russe aimable et pour faire des recherches sur l'histoire générale des machines de guerre anciennes et modernes, qu'il se propose de donner dans quelque temps avec des planches. Il prétend aussi avoir trouvé une espèce de canon qui tire cinq coups contre deux, sans trop s'échauffer et sans risquer de crever. Au moyen de sa découverte, un vaiseau monté de vingt-cinq pièces, mettra en pièces un vaiseau de soixante et au delà. M. Feutry est trop bon Français pour ne nous pas garder son secret jusqu'à la première guerre maritime. Je vois les Anglais perdus de cette aventure; et si M. Feutry peut les engager à lire ses productions poétiques, tout ce qui échappera à son artillerie périra de mélancolie; et voilà l'empire de ce peuple orgueilleux détruit par le génie puissant d'un seul homme.

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On assure que M. Rousseau se trouve dans un château appartenant à M. le prince de Conti, en Vexin, sur la frontière de Normandie '.Il a changé de nom et a promis de se tenir tranquille le reste de ses jours. A cette condition le Parlement a, dit-on, consenti de laisser dormir le décret de prise de corps. S'il ne doit plus rien imprimer, ce marché est également mauvais et pour lui et pour le public.

1. A Trye-Château. Voir dans la Correspondance générale de Rousseau la lettre du 3 mars 1768 à du Peyron sur les prétendues persécutions qu'il y subissait. C'est à Trye qu'il écrivit la première partie des Confessions.

AOUT.

1er août 1767.

Après les plaies d'Égypte, je ne connais guère de plus grande calamité que celle qui s'est répandue sur la France et qui a opéré une disette universelle de nourriture spirituelle. Il n'y a jusqu'à présent qu'un seul exemplaire de la Défense de mon oncle à Paris, entre les mains de M. d'Argental. On parle d'un roman théologique intitulé l'Ingénu, et également ouvragé à Ferney; mais personne ne le connaît encore à Paris. Autrefois cette grande ville, semblable à un magasin général, tenait assortiment de tout, et chaque fidèle pouvait se pourvoir suivant ses besoins et ses moyens; aujourd'hui, il faut avoir des facteurs et des commissionnaires aux environs du chef-lieu de la manufacture; il faut tromper toute la cohorte de commis, d'inspecteurs, d'exempts et de sbires, quand on veut avoir ces denrées précieuses: c'est ce que je souhaite à tout fidèle qui ne craint pas de dépenser de l'argent pour son salut.

Je ne passerai pas la Défense de mon oncle en revue chapitre par chapitre; je ne m'arrêterai qu'à ceux où j'aurai quelques petites observations à lui faire. Il est parlé de tout dans cette Défense, et feu M. l'abbé Bazin est un personnage trop important pour qu'on ne cherche pas à le rappeler à l'exacte vérité quand il lui arrive de s'en écarter. Je suis de l'avis de M. le neveu quand il réfute l'opinion absurde que la religion musulmane est une religion sensuelle et voluptueuse. Du temps que nous étions dindons, et c'était, s'il m'en souvient, la semaine passée, les prêtres étaient bien aises de nous faire accroire qu'il n'y avait que notre religion de sainte et que toutes les autres étaient des écoles de vices et de dérèglements; mais on est un peu revenu de cette sottise. On sait aujourd'hui que toute institution religieuse, quelque singulière qu'elle ait été dans ses moyens, a toujours eu pour objet d'apaiser la colère des dieux, et a toujours mêlé des préceptes de justice et de vertu à un recueil de dogmes merveilleux et absurdes. On ne peut nier que le caractère de la religion musulmane ne soit en géné

ral très-sévère ; mais je voudrais que M. le neveu s'arrêtât là, et qu'il n'outrât pas l'éloge des Turcs. Malgré tous les éloges qu'il leur prodigue, on ne peut se dissimuler que ce ne soit un peuple barbare, et je doute que feu M. l'abbé Bazin, qui était un homme de très-bonne compagnie et qui aimait les Turcs tendrement, eût préféré le séjour de Constantinople à celui de Paris. Il faut être juste et convenir que, dans son origine, la religion chrétienne a puissamment influé sur la police des États, et par conséquent sur le bonheur public des nations. Non-seulement l'abolissement de l'esclavage, déclaré incompatible avec ses principes, a été un grand acheminement à une meilleure police; mais les extraits baptistaires et les extraits mortuaires, suites des cérémonies chrétiennes, et plusieurs autres de ses usages inventés pour constater l'histoire de chaque individu dans presque tous les instants intéressants de son existence, ont été les véritables causes par lesquelles des troupeaux d'hommes assemblés en nations ont enfin été changés en sociétés de citoyens. Le tort de la religion, c'est d'être devenu entre les mains des prêtres un instrument d'ambition et de cruauté, et d'avoir pesé sur les peuples d'une manière si insupportable qu'ils ont dû se résoudre ou de succomber sous son joug, ou de le secouer.

Je laisse au neveu de M. Bazin le soin d'éclaircir avec M. l'abbé Larcher la grande question de philosophie spéculative, comment Sara à l'âge de soixante-quinze ans a pu être d'une beauté aussi ravissante et si dangereuse pour le repos du roi d'Égypte et d'un autre roitelet de Gerar; je crois que M. l'abbé Larcher a donné ici un beau jeu au neveu de M. Bazin. Il lui a cité, à propos de Sara, l'exemple de Ninon Lenclos, et vous imaginez aisément quel parti le neveu sait tirer de cette rare bêtise. M. Larcher le répétiteur est une de ces bêtes scientifiques créées exprès pour le déjeuner des Bazins et autres plaisants de sa trempe.

Quand le neveu de M. Bazin se moque de ce que les anciens. historiens ont rapporté de la ville de Thèbes en Égypte, il me paraît avoir grande raison. Bossuet a très-mal fait de répéter ces exagérations dans son Discours sur l'histoire universelle, et Rollin a fort mal fait de copier Bossuet. Ils n'étaient philosophes ni l'un ni l'autre ; aussi leur réputation ne pourra être durable. Ils content, d'après les anciens, que la ville de Thèbes

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