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avait cent portes; que de chacune de ces portes i sortait dix mille combattants, sans compter deux cents chariots armés en guerre par porte ce qui fait un million de soldats, et encore quarante mille goujats en n'en comptant que deux par chariot. M. Bazin a raison de présenter ce petit total à la considération des bonnes âmes qui savent calculer. En général il y a contes et comptes dans les anciens historiens. Il ne faut pas rejeter les premiers pour cause de singularité, parce que même ce qu'ils ont de faux a eu un fondement réel; il ne faut pas passer les derniers, parce que les hommes sont naturellement exagérateurs, et que depuis que le monde est monde, les calculs politiques ont toujours été outrés et hasardés. Je supplie seulement feu M. Bazin de s'en souvenir quand il est question de Chinois, qui sont, après les Turcs, ce qu'il aime le plus tendrement.

Il aime aussi bien les disciples de Zoroastre, et vous trouverez à cette occasion dans la Défense de mon oncle trois vigoureuses sorties contre l'évêque de Glocester, Warburton, qui a déjà été, ainsi que madame son épouse, en butte aux traits du célèbre John Catilina Wilkes. Il faut que l'évêque Warburton ait molesté feu l'abbé Bazin dans quelque pamphlet, car, indépendamment des trois sorties dont je viens de parler on m'assure que le neveu de M. Bazin a encore fait une autre brochure tout exprès contre M. Warburton, où ce dernier est très-maltraité. Ne connaissant point les pièces du procès, je ne puis juger du fond de la querelle; mais je condamne celui des deux qui le premier a mis de la dureté dans cette dispute, et je donne double tort à celui qui a rendu injure pour injure, parce que, pouvant prêcher d'exemple et donner à son frère une leçon de politesse, qui doit toujours être en raison inverse de la diversité. des sentiments, il en a volontairement perdu l'occasion.

Dans le dix-huitième chapitre, le sentiment de M. de Buffon, qui prétend, d'après Telliamed, que notre continent a été successivement couvert par les eaux de la mer, est combattu avec autant de liberté que de politesse; c'est précisément comme je veux qu'on dispute. Je voudrais seulement que ce chapitre fût aussi profond qu'il est plein d'égards pour l'auteur de l'Histoire naturelle; mais malheureusement il est très-superficiel. M. Bazin n'est pas aussi grand naturaliste que ban philosophe. Il faut que, dans ses grands voyages d'Europe, d'Asie et d'Afri

que, il soit toujours resté en plaine; certainement il n'a pas assez grimpé les montagnes dans ses voyages. S'il avait tant soit peu examiné les couches immenses de coquillages, de poissons et de productions marines pétrifiées, dont la plus grande partie de notre continent et particulièrement les plus hautes montagnes sont couvertes, il ne serait pas tombé dans l'énorme puérilité de dire que parce qu'un voyageur aura laissé tomber par mégarde une huître en Berry ou en Touraine, et que cette huître s'est pétrifiée dans le sein de la terre, il ne s'ensuit pas qu'elle ait été apportée là par les flots de la mer. Je me serais rangé du côté de M. Bazin s'il n'avait voulu qu'attaquer l'opinion que l'Océan change de lit insensiblement, et qu'à mesure qu'il découvre un nouveau continent en se retirant, il inonde l'ancien. Je ne crois pas que cette révolution se fasse par progrès insensibles, et M. Bazin dit d'assez bonnes raisons pour en démontrer l'impossibilité; mais on ne saurait examiner notre continent avec tant soit peu d'attention, on ne saurait fouiller dans son sein sans rester entièrement convaincu qu'il a longtemps servi de lit aux eaux de la mer. Sans qu'il existe aucun instrument historique qui l'atteste, je crois qu'il n'y a point de vérité qui puisse être poussée à un plus haut degré de certitude. Voulezvous savoir maintenant comment notre globe a pu prendre sa forme actuelle? Réfléchissez sur l'action du feu, de l'air et de l'eau, sur les formes diverses de ces trois éléments et sur leurs combinaisons, sur les explosions et les révolutions qu'ils peuvent occasionner. Si un tremblement de terre peut faire sortir une île du sein de la mer, une force plus grande peut élever un vaste continent au-dessus des eaux de l'Océan. Toutes les hautes montagnes sont remplies de bouches de volcans qui ont indubitablement vomi du feu, comme les épaisses couches de lave répandues autour le certifient, quoique aucun monument historique n'en fasse mention. Ces volcans ont donc cessé de jeter du feu avant les temps historiques. On n'a jamais entendu. parler de volcan en France; cependant l'Auvergne en est remplie, tout voyageur peut s'en convaincre ; ces volcans ont donc fini de jeter du feu avant notre ère de la création du monde ou du moins du déluge. Il est évident d'ailleurs pour tout bon esprit que les hautes montagnes n'ont pu se former que par un effort des plus violents de la nature, dont l'œil du naturaliste découvre partout

les traces, et dont le résultat a été la forme actuelle de notre globe. J'ajoute que si la théorie des comètes nous était mieux connue, si nous pouvions calculer avec précision le moment de leur entrée dans notre système planétaire, et fixer d'avance les points principaux de leur révolution, nous saurions indiquer le choc et la rencontre de ces corps avec notre globe, et rendre compte d'autres événements de cette espèce avec autant de facilité que nous prévoyons aujourd'hui une éclipse terrestre ou lunaire. Sur tout cela il y aurait de grandes choses à dire et de profondes réflexions à faire, dont la plus simple est que le monde est bien vieux et que nous sommes une espèce d'insectes bien présomptueux de nous flatter, avec nos misérables yeux et notre existence d'un instant, d'en pénétrer l'essence.

par

Une autre marotte de M. Bazin tout aussi peu philosophique que son huître de Touraine, c'est qu'il ne veut pas que rien s'engendre par la putréfaction. Une épaule de mouton se pourrit par les grandes chaleurs; «s'il en sort des vers, dit-il, c'est qu'une mouche y a déposé ses œufs. Mais enveloppez bien cette épaule, empêchez les mouches d'en approcher, et il n'en sortira plus de vers ». Ah! grand Bazin, vous dormiez donc aussi quelquefois de votre vivant? Quel raisonnement! Quel défaut choquant d'expérience! Je vous assure qu'il en sortira également des vers, un peu plus tard seulement, parce que vous aurez gêné l'action de l'air, et par conséquent retardé le moment de la décomposition. Vous me répondez à cela qu'une mouche y a pénétré à notre insu, et pour vous guérir de votre mouche une autre expérience je n'oserai alléguer les observations microscopiques et les anguilles de votre ami Needham, jésuite irlandais, car, Dieu merci, votre intime ami M. Covelle a rendu ces anguilles si ridicules que de cinquante ans on ne pourra en parler sans exciter la risée de tous ceux qui, pour aimer à philosopher, n'en aiment pas moins à se divertir. Laissons donc. le jésuite aux anguilles, et ouvrons un excellent journal latin qui se publie à Leipsick sous le titre de Commentarii de rebus in medicina gestis. Vous y trouverez une expérience aisée à répéter. Prenez un morceau de viande, et faites-en de bon bouillon; versez ce bouillon tout bouillant dans une bouteille bien rincée. Fermez cette bouteille hermétiquement. Oubliez-la pendant cinq à six semaines. Quand, au bout de ce temps-là, vous la reprendrez

pour examiner votre bouillon, vous trouverez dans votre bouteille une république d'êtres vivants. Vous ne direz pas ici qu'un insecte qui s'est glissé dans la bouteille malgré les précautions prises a causé toute cette peuplade, car cet insecte aurait été brûlé et noyé dans le bouillon bouillant. Mais faut-il tant de raisonnements? L'étude de la nature, secondée par la réflexion, apprendra à tout homme qui a des yeux et du sens qu'il n'y a point de matière morte, et qu'avec de la matière et du mouvement tout se crée et se détruit, depuis le grand philosophe jusqu'au petit insecte dont il doit être la pâture. Il nous sied bien d'affirmer que la nature ne peut produire que par les lois de génération que nous connaissons!

Je sais bien que cette opinion que la putréfaction ne peut rien produire tient immédiatement au système religieux de l'auteur. M. Bazin est zélé déiste, et il craint qu'en admettant la proposition contraire, on n'en tire des arguments contre une cause première, intelligente, créatrice et conservatrice de l'univers; mais le premier devoir d'un philosophe, c'est de ne jamais déguiser ni affaiblir la vérité en faveur d'un système. Vous lirez dans la Défense de mon oncle un dialogue sur cette cause première entre Platon et un jeune épicurien d'Athènes. Ce dernier a exactement le ton, la facilité de mœurs, l'ignorance et la suffisance d'un petit-maître de Paris des plus élégants et des plus à la mode. Si les arguments de Platon-Bazin ne sont pas aussi concluants pour un philosophe que pour un petit-maitre ignorant et superficiel, tous conviendront du moins que la description anatomique que Platon donne de la structure du corps humain est un chef-d'œuvre de style.

Dans la diatribe suivante, M. Bazin s'étend de nouveau sur l'Égypte; mais je le conjure de nouveau, pour l'intérêt de son salut, qui m'est cher, de ne jamais parler qu'avec un saint respect de toutes les absurdités égyptiennes. S'il est vrai, comme le prétend notre abbé de Galiani, appuyé sur l'opinion des plus graves docteurs, que l'homme est né en Éthiopie, du mariage d'un singe avec une chatte sauvage; s'il est vrai que ses vertueux parents, voyant son mauvais naturel, n'ont pas voulu le reconnaître, l'ont chassé du pays et contraint de s'enfuir en Égypte, où, se trouvant dans une terre ingrate, il a été obligé de travailler malgré lui et de se réunir par conséquent en société,

M. Bazin ne peut se cacher que l'Égypte est nécessairement le berceau de toute religion, de toute loi, de toute police, et qu'un bon critique ne doit jamais en approcher sans le plus profond respect.

Les travaux immenses dont les monuments s'y conservent et étonnent, lors même que l'utilité publique moins qu'une vanité - excessive paraît en avoir été le principe, ces travaux, dont les ruines sont encore si merveilleuses, font naître une idée bien grande et bien naturelle. C'est que si le travail de l'espèce humaine entière était sans cesse et sans distraction dirigé vers un but commun et utile au genre humain, de sorte que le travail d'aucun homme ne fût jamais ni contraire à ce but ni perdu pour ce but, on ne pourrait plus calculer ce que l'homme ne serait pas capable d'entreprendre avec succès, ni fixer les bornes de l'impossibilité à ses efforts. Il réussirait à la longue à se rendre maître des éléments, à changer les climats, à démolir les montagnes, à creuser des canaux, à établir des communications entre tous les fleuves; que sais-je? à rendre le chemin d'ici à la Chine par terre aussi facile que la route de Paris à Lyon. Si vous doutez de la possibilité de ces prodiges, étendez votre vue sur toute la terre, voyez ces bras, ces mains innombrables, tous occupés au travail; considérez combien, en un seul jour de travail perdu pour l'utilité commune, ou même contraire à son but, depuis les arts les plus frivoles comme celui de faire du galon et de la dentelle, dont les monuments s'anéantissent d'une année à l'autre sans aucun avantage pour les hommes, jusqu'à l'art le plus funeste, celui qui détruit en peu d'instants les efforts de plusieurs siècles; et ce coup d'œil pourra vous faire sentir ce que pourrait la masse des forces du genre humain dirigées par une intelligence toujours subsistante. Le genre humain ainsi ordonné, et dirigé par sa nature de génération en génération, fournirait aussi une preuve sans réplique de l'existence de Dieu.

La Défense de mon oncle est terminée par l'Apologie d'un général d'armée attaqué par des cuistres. C'est l'apologie de Bélisaire contre les cuistres de Sorbonne. Le cuistre Cogé n'y est pas oublié, mais ce cuistre mériterait des étrivières mieux appliquées. Il vient de faire une nouvelle édition de son Examen de Bélisaire, et cette édition, fort augmentée, est d'une violence extrême. Si ce cuistre était le maître, il brûlerait les philoso

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