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le trou de la cheminée aux pieds de sa tendre amie, plein de sang et de suie. Je ne vous parle ici que des moindres merveilles de ce roman, dont le style répond parfaitement à la dignité et au pathétique du fond.

Après cela, je ne vous conseille pas de lire ni Mahulem, histoire orientale, ni la Reine de Benni, nouvelle historique, ni Almanzaide, histoire africaine. Tout cela, c'est de l'eau. tiède auprès de notre Religieuse.

J'en dis autant des Lettres galantes et historiques d'un chevalier de Malte. L'auteur de cette rapsodie a un secret sûr pour se défaire des gens dont il n'a plus besoin. Il les envoie à la guerre en détachement. Ils sont blessés et crèvent. Le pauvre chevalier de Malte périt ainsi lui-même sur les galères de la religion, le tout pour désoler une pauvre maîtresse qui de désespoir prend le voile.

Célianne, ou les Amants séduits par leurs vertus, est un nouveau roman publié par l'auteur d'Élisabeth, autrement dit Mme Benoist, volume in-12 de plus de deux cents pages. J'approuve fort qu'un auteur mette sur le titre de ses nouvelles productions la notice de ses péchés précédents. Quand je vois un roman fait par l'auteur de l'insipide Elisabeth, je suis dispensé de le lire. Ici les amants, séduits par leurs vertus, sont deux personnes mariées que l'attrait de leurs vertus réciproques porte à manquer aux engagements du mariage; ou, sous une plume moins délicate que celle de Mme Benoist, c'est la tendre et vertueuse Célianne prête à faire son mari cocu en faveur du vertueux Mozime. Mme Benoist se flatte que son roman sera un puissant préservatif contre l'amour pour toutes les jeunes femmes de Paris; et cet effet serait immanquable, si l'on pouvait leur persuader que l'amour est réellement aussi insipide que Me Benoist a le talent de le peindre.

En faisant passer toute cette cargaison de romans aux îles, on n'oubliera pas d'y joindre les Passions des différents âges, ou Tableau des folies du siècle, contenant quatre historiettes

1. Par Marescot, 1766, in-12.

2. Par le marquis de Luchet, 1766, in-12.

3. Cette Almanzaide n'était-elle pas une réimpresion de la nouvelle du même titre, Paris, Barbin, 1674, in-12, dont Mile de La Roche-Guilhem était l'anonyme auteur? (T.)

en un petit volume, savoir le Jeune homme, le Vieillard, la Jeune fille, et la Vieille. Je crois ce détestable chiffon d'une certaine chenille appelée Nougaret'.

Les Mémoires du marquis de Solanges, en deux volumes2, sont ce qu'il y a de plus passable dans cet énorme fatras d'insipidités et de platitudes. Je ne sais qui est l'auteur de Rose, à qui nous les devons; mais parmi les aveugles il est aisé à un borgne de faire le voyant. Je conseille à l'auteur de Rose d'épouser l'auteur d'Élisabeth, et de nous laisser en repos.

Nous avons vu l'hiver dernier, sur le théâtre de la Comédie-Française, le début d'une Mile de La Chassaigne, qui avait choisi le nom de Sainval pour son nom de théâtre3. Cette actrice, pompeusement annoncée, n'a répondu à l'attente du public sur aucun point. En conséquence, elle a été renvoyée du théâtre au bout de quelques semaines. Une autre Mile Sainval vient de débuter avec un succès bien différent'. Son début a attiré beaucoup de monde à la Comédie, et elle a réuni presque tous les suffrages. Elle a joué successivement les rôles d'Ariane, d'Alzire, et celui d'Aménaïde dans la tragédie de Tancrède. On lui a trouvé de l'intelligence, de la chaleur et du pathétique, et elle a reçu dans tous ces rôles de grands applaudissements. Cette actrice vient de Lyon, où elle a joué quelque temps. On ne doute point qu'elle ne soit reçue, et comme nous sommes aussi prompts à nous flatter qu'à nous décourager, nos connaisseurs nous assurent déjà que, par cette acquisition, Mlle Clairon sera remplacée. Je le voudrais. Je ne refuse pas à Mlle Sainval du talent et de grandes dispositions; mais elle a un grand inconvénient, c'est qu'elle est ́excessivement laide. On assure qu'elle n'a pas vingt-deux ans, et elle a l'air d'en avoir quarante au théâtre. On ne saurait dire que la douleur l'embellisse, car elle devient plus laide à mesure que la passion l'anime et se peint sur son visage.' Il est vrai que sa chaleur, et quelquefois la vérité de l'expression, entraînent en dépit de la laideur; mais je doute que chez une nation véritablement enthousiaste des beauxarts, et en particulier de l'art dramatique, aucun talent, aucun

1. Nougaret était en effet auteur de cet ouvrage; 1766, in-12.

2. Par Desboulmiers; 1766, 2 vol. in-12.

3. Voir la note de la page 492 du tome VI.

4 Voir la note précitée.

avantage pût contre-balancer l'inconvénient de la laideur : la beauté, la grâce des formes et des figures, paraissent la qualité principale et la plus essentielle du comédien, quoiqu'on puisse les posséder sans talent. Mlle Sainval n'a pu continuer son début, parce qu'elle est grosse de plus de cinq mois. On dit qu'elle a le malheur d'être passionnée pour un mauvais sujet, de mœurs aussi basses que d'extraction, et qui la maltraite indignement sans pouvoir la guérir de son malheureux penchant autre raison pour espérer peu de Me Sainval, malgré ses dispositions. Le désordre et la bassesse sont ce qu'il y a de plus contraire à la perfection de l'art dramatique. Il n'y a point de profession qui ait autant besoin d'enthousiasme et d'élévation de sentiments que celle du comédien; mais vu que nous sommes des oisifs qui n'allons au spectacle que par désœuvrement, et très-peu curieux de la perfection de l'art, tout est bon pour nous. La réception de Me Sainval ne sera décidée qu'après ses couches, ce qui fera une espèce de second début; mais je crains que, malgré ses succès, elle ne parvienne jamais à mériter une place dans l'histoire du Théâtre-Français à côté des Le Couvreur et des Clairon.

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Jean Astruc, docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, vient de mourir, âgé de plus de quatre-vingts ans1. C'était un praticien médiocre, et même très-mauvais, à ce que je crois; mais c'était un savant médecin. Son traité des Maladies vénériennes 2, écrit en latin, l'a rendu célèbre parmi les médecins de toute l'Europe, et par les connaissances qu'il renferme, et par la manière dont il est écrit. Il s'en faut bien que son dernier ouvrage Sur les Maladies des femmes mérite le même éloge. Il est plein de faussetés; non que l'auteur ne sût dire la vérité, mais parce qu'il la sacrifiait à l'intérêt le plus frivole. Ainsi, dans ce dernier traité, pour soutenir un système qu'il a cru devoir adopter, il a mieux aimé changer la forme de la matrice dans les femmes, et la représenter autrement qu'elle n'est, que de convenir que son système est faux: procédé trèscapable d'induire en erreur de jeunes médecins, mais dont le

1. Astruc, né en 1684, mourut le 5 mai 1766.

2. De Morbis venereis, libri sex. La première édition est de Paris, 1736, in-4°. Il y en a une traduction de Jault, qui a été plusieurs fois réimprimée. (T.) 3. 1761-66, 6 vol. in-12.

fait m'a été certifié par un grand et savant médecin. Astruc était un des hommes les plus décriés de Paris. Il passait pour fripon, fourbe, méchant, en un mot pour un très-malhonnête homme. Il était violent et emporté, et d'une avarice sordide. Il faisait le dévot, et s'était attaché aux jésuites dans le temps qu'ils avaient tout crédit et toute puissance. Il est mort sans sacrements, parce qu'il ne voyait plus rien à gagner par l'hypocrisie au delà du trépas. C'est un savant et méchant homme de moins. Il était beau-père de M. de Silhouette, qu'un ministère de quelques mois a rendu l'objet de la haine publique; le gendre a aussi toujours affiché la dévotion, et le public ne croit guère plus à sa probité qu'à celle de feu son détestable beau-père.

15 mai 1766.

Il me reste un mot à dire sur la musique de la Reine de Golconde. M. de Monsigny n'est pas musicien de profession, et il n'y a rien qui n'y paraisse. Sa composition est remplie de solécismes; ses partitions sont pleines de fautes de toute espèce. Il ne connaît point les effets ni la magie de l'harmonie; il ne sait pas même arranger les différentes parties de son orchestre et assigner à chacune ce qui lui appartient: ses basses sont presque toujours détestables, parce qu'il ne connaît pas la véritable basse du chant qu'il a trouvé, et qu'il met ordinairement dans la basse ce qui devrait être dans les parties intermédiaires. Aussi, toute oreille un peu exercée est bientôt excédée de cette foule de barbarismes, et, en Italie, M. de Monsigny serait renvoyé du théâtre à l'école, pour étudier les premiers éléments de son art, et expier ses fautes sous la férule; mais en France, le public n'est pas si difficile, et quelques chants agréables mis en partition comme il plaît à Dieu, des romances surtout, genre de musique national, pour lequel le parterre est singulièrement passionné, ont valu à ce compositeur les succès les plus flatteurs et les plus éclatants. On le regardait même comme l'homme le plus propre à opérer une révolution sur le théâtre de l'Opéra, et à faire la transition de ce vieux et misérable goût qui y règne à un nouveau genre, sans trop choquer les partisans de la vieille boutique et sans trop déplaire aux amateurs de la musique.

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M. de Monsigny a mal justifié ces espérances: il n'a pas fait faire un pas à l'art. Son opéra de la Reine de Golconde est un opéra français dans toute la rigueur du terme, et je défie les plus grands rigoristes de lui reprocher la moindre innovation, la plus petite hérésie. Il en est arrivé une chose bien simple, c'est que M. de Monsigny n'a contenté aucune classe de ses juges. Les amateurs de la musique l'ont abandonné aux vieilles perruques, qui ne lui ont pas rendu justice. Ce compositeur a oublié de faire une observation de la plus grande importance pour un musicien qui veut réussir : c'est qu'on vante la musique de Lulli, non parce qu'on la trouve réellement belle, mais parce qu'elle est vieille. Ainsi, tout homme qui travaille à s'approcher du vieux goût est sûr de déplaire même à ceux qui en sont les plus chauds défenseurs.

Sans être chargé des pleins pouvoirs d'aucun parti, je vais tracer ici quelques articles préliminaires, sans l'observation desquels je promets à M. de Monsigny, et à tout compositeur qui voudra essayer un opéra français, qu'ils n'obtiendront jamais de succès durable. On ira toujours à l'Opéra, parce que l'oisiveté et le désœuvrement y conduiront toujours; mais les gens de goût ne s'y plairont jamais.

Je dirai donc, en premier lieu, que la France n'aura jamais de spectacle en musique si l'on ne sépare pas distinctement l'air et le récitatif. Celui-ci ne doit point être chanté, il doit être une déclamation notée et parlée : cette déclamation doit tenir le milieu entre la déclamation ordinaire et commune et le chant. Quoique mesuré et soutenu d'une basse, le récitatif ne doit point se débiter en mesure; il suffit qu'il soit ponctué avec justesse, et que les véritables inflexions du discours y soient bien marquées; tout le reste doit être abandonné à l'intelligence de l'acteur. Je dis de l'acteur, et non du chanteur : le récitatif ne peut faire de l'effet que lorsque le poëte a fait une belle scène, et que l'acteur la joue bien.

L'air doit être réservé aux moments de situation, de chaleur, de passion, d'enthousiasme. Tout air doit être pour ainsi dire une situation, et c'est ainsi que l'illustre Metastasio l'emploie toujours, si vous en exceptez les airs qui renferment un tableau ou une comparaison; et j'avoue que je retrancherais volontiers ce dernier genre d'airs de la musique théâtrale.

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