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mais on a retranché aussi pour la même raison quelques-unes des lettres du président1. Tout cela est relatif à Mme Geoffrin, et il faut donner ici quelques éclaircissements nécessaires à l'intelligence de ces lettres.

On remarque en général que les hommes de génie ou d'un grand esprit sont on ne saurait moins délicats et moins difficiles dans le choix de leurs amis: tout leur est bon. Apparemment que, se suffisant à eux-mêmes et ne donnant à la société que les moments où ils en ont un besoin urgent pour leur délassement, il leur est à peu près égal de les passer en bonne ou en mauvaise compagnie. Il me semble aussi que, dans le choix des amis, ils préfèrent volontiers ceux qui savent le mieux encenser supérieurs par tant de côtés au reste des hommes, il faut bien qu'ils s'en rapprochent par leurs faiblesses. Ainsi il n'est pas rare de voir à leur suite une foule d'espèces qui n'ont rien de mieux à faire que de s'attacher et de se colleter à eux. Ceux dont le suffrage est de quelque prix se respectent trop pour donner de l'encensoir à travers le nez d'un grand homme; ils craindraient de blesser sa délicatesse, et ils ont tort. Fontenelle, dont l'esprit était si fin et si délicat, convenait de bonne foi que jamais il ne s'était entendu trop louer à son gré. Il supportait avec un courage héroïque les plus fortes louanges, et l'on pouvait en toute sûreté lui en donner à tour de bras. Je me souviens que, me trouvant dans ce temps-là souvent dans les mêmes sociétés avec le vieux berger Fontenelle, il remarqua ma réserve à son égard. Il avait quatre-vingt-seize ans, il était sourd, et je ne pouvais me persuader d'avoir d'assez jolies choses à lui dire pour les crier, en présence de vingt personnes, assez haut pour être entendu de lui. Ma juste modestie, qui n'était que relative à moi, le blessa; il se plaignit de n'avoir jamais reçu d'éloge de ma part. Il en chercha des motifs à perte de vue, et il confia un jour à Mme Geoffrin qu'il craignait de m'avoir indisposé, parce qu'il ne m'avait pas rendu une visite que je lui avais faite. A l'âge de quatre-vingt-seize ans! Et tout mon tort était de ne l'avoir jamais loué en face,

1. Selon la Bibliographie de Montesquieu de M. Louis Vian, il s'agit ici non de la deuxième édition réelle (s. 1. 1767) conforme à la première, mais de la troisième parue sous la rubrique de Florence et Paris, 1766, in-12.

et de n'avoir jamais crié à perte d'haleine quelque sot compliment que j'aurais pu lui tourner.

C'est donc peut-être moins des amis que des flatteurs et des complaisants qu'il faut aux grands hommes et aux beaux esprits. Marivaux avait une gouvernante qui allait dans le monde, et qui lui disait toute la journée qu'il était le premier homme de la nation. Le berger Fontenelle avait toujours son abbé Trublet pendu à son oreille, qui lui criait les louanges les plus puantes et les plus fastidieuses. Voltaire a eu pendant trente ans le pauvre diable de Thieriot à sa suite; et le président de Montesquieu paraît avoir eu le même besoin de pauvres diables. Il eut beaucoup de faible pour La Beaumelle, qui, s'il n'est pas un vil scélérat, n'est du moins qu'un polisson et un mauvais sujet. Il eut toujours à ses trousses cet abbé de Guasco, qui, pour être un homme de condition, n'en était pas moins un plat et ennuyeux personnage. A l'ennui qu'il promenait partout, il joignait l'indiscrétion qui forçait les portes; c'était un crime de lèse-société que toute maîtresse de maison était en droit et dans l'obligation de réprimer. Le président l'avait introduit chez Mme Geoffrin, et l'abbé de Guasco s'y était établi de façon qu'il fallait ou le chasser, ou risquer de voir la maison désertée par la bonne compagnie. Mme Geoffrin, pleine d'égards pour le protecteur de l'abbé de Guasco, y procéda avec beaucoup de ménagement. Elle enjoignit à son portier, sur cinq fo's que l'abbé se présenterait, de le laisser entrer une seule fois. C'était le recevoir encore assez souvent, puisqu'il se présentait presque tous les jours; mais le Piémontais n'était pas homme à se laisser conduire ou brider de cette manière. Quand le portier l'assurait que sa maîtresse n'y était point, l'abbé de Guasco l'assurait du contraire et passait outre. Mme Geoffrin, impatientée, signifia enfin à son portier que s'il ne savait pas empêcher l'abbé de Guasco d'entrer, il serait lui-même mis à la porte, qu'il savait si mal garder. Le domestique, peu curieux de perdre son poste pour les vilains yeux bordés de rouge de M. l'abbé de Guasco, se mit à travers le passage la première fois que celui-ci voulut le forcer, et poussa l'indiscret dans la rue. Voilà comment les choses se passèrent sur la fin de l'année 1754, au su de tout le monde, et entre autres au mien, peu de mois avant la mort de M. de Montesquieu.

Aujourd'hui, le principal but de l'abbé de Guasco en publiant les Lettres familières du président, sans se nommer comme éditeur, c'est de se donner à lui-même beaucoup d'éloges, de se rengorger de l'amitié d'un homme illustre qui lui parlait de ses prés et de ses vignes, et surtout de se venger de ce prétendu affront qu'il a reçu de Mine Geoffrin il y a plus de douze ans. En conséquence, il a farci ce recueil de notes très-injurieuses pour cette femme célèbre. Il rapporte même deux lettres du président à lui adressées et relatives à cette tracasserie, où le président parle en termes peu mesurés de Mme Geoffrin, et se promet de rompre toute liaison avec elle. Ce sont ces lettres et ces notes qui ont été supprimées dans l'édition de Paris, et le public y perd bien peu. L'abbé de Guasco, en sa qualité d'éditeur anonyme, expose les prétendues raisons qui l'ont fait chasser de la maison de Mme Geoffrin; mais il oublie la principale et la seule véritable, c'est l'ennui dont il s'exhalait de lui une atmosphère à une lieue à la ronde : c'était un des plus grands seccatori de l'Europe savante et galante.

Il faut au reste être bien bas, bien infâme, pour imprimer ces vilénies après plus de douze ans; c'est s'être donné le temps de la réflexion. Je dis que l'auteur de ces notes a fait une infamie, parce qu'il voudrait donner à Mme Geoffrin l'air d'une complaisante qui se prête quelquefois aux intrigues galantes des grands seigneurs et des grandes dames, afin de les attirer chez elles. Il n'y a point d'ennemi de Mme Geoffrin qui ne convienne de la fausseté de cette imputation. Je m'étais toujours bien douté que cet abbé comte de Guasco, avec ses yeux bordés de rouge à la façon des dindons, était dans plus d'un sens un vilain homme. Rien n'empêche de le soupçonner d'avoir falsifié les lettres du président au sujet de cette aventure. Un homme qui peut s'avilir jusqu'à mettre d'indignes faussetés sur le compte d'une personne dont il croit avoir à se plaindre peut bien avoir altéré quelques passages dans les lettres du président. Ce que je sais, c'est que j'ai vu le président chez Mme Geoffrin peu de jours avant la maladie qui le mit au tombeau. Il y a apparence que s'il a voulu se brouiller avec elle parce qu'elle avait fermé sa porte au chanoine de Tournai, elle lui en a donné de si bonnes raisons que le président n'a pu se dispenser d'être de son avis.

Voilà donc tout ce qui nous est revenu de la succession de ce grand homme! Quelques lettres de compliments à des Italiens, et puis ce recueil de lettres indifférentes à un chanoine de Tournai, qui s'était fait Don Quichotte de la vertu des dames de Paris, et qui travaillait pour les prix de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Il est rapporté dans les notes qu'un jour l'abbé de Guasco faisant, suivant sa coutume, l'apologie des dames à l'occasion d'une aventure galante qui occupait le public, le président, s'adressant à un de ses amis qui entrait dans ce moment, lui dit : « Marquis, que dites-vous de cet abbé, qui croit qu'à Paris on ne f... point? » Cela me rappelle le mot de M. le comte de Paar, seigneur autrichien, grand maître des postes des pays héréditaires, fort connu ici pour le peu d'agréments de sa figure et de son esprit. Il aime la France et son séjour à la passion, et il a bien l'air de n'aimer qu'une ingrate qui ne le paye d'aucun retour. Il avait passé à Paris tout le temps de l'ambassade de M. le prince de Kaunitz, et il nous dit la veille de son départ : « On doit bien peu se fier aux idées même les plus généralement établies. Dans toute l'Europe, on croit les femmes de Paris en fait de galanterie d'une facilité singulière. Quand je suis venu ici, on a voulu me persuader qu'il n'y avait qu'à se baisser et en prendre. Eh bien, messieurs, rien de plus faux. Je vous jure sur mon Dieu et sur mon honneur que je sors de Paris comme j'y suis entré, et que je n'ai jamais tenté fortune sans m'attirer quelque méchante querelle. Et puis fiez-vous aux idées reçues! » 11 paraît que l'abbé de Guasco peut faire le second témoin de la vertu des dames de Paris. Or, deux témoins irréprochables fournissent une preuve juridique.

Pour revenir au président, qui peut-être n'aurait pas pu témoigner comme eux, il est bien difficile d'imaginer qu'il ne se soit rien trouvé du tout de précieux dans ses papiers. Comment supposer qu'il ne soit resté aucune trace de cette Histoire de Louis XI, si malheureusement brûlée par un malentendu entre l'auteur et son secrétaire? Le plus petit fragment en eût été précieux pour le public. J'ai ouï dire plus d'une fois à des gens qui pouvaient le savoir que le président avait dans son portefeuille dix-sept nouvelles Lettres persanes dont il comptait enrichir une nouvelle édition de cet ouvrage unique en son

genre. Que sont-elles devenues? Il est question dans ses Lettres familières d'un petit roman intitulé Arsace, qui n'a jamais vu le jour. Il avait écrit des mémoires concernant ses voyages; et de quel prix ne seraient pas ces mémoires! Il est vrai qu'après sa mort on répandit dans le public que le P. Routh, jésuite irlandais, appelé dans ses derniers instants, avait exigé et obtenu le sacrifice de tous ses papiers, mais ce fait se trouve démenti par une lettre de Mme la duchesse d'Aiguillon, insérée dans le recueil. Ce n'est pas que le maroufle de jésuite ne tentât la chose; mais Mme d'Aiguillon survint heureusement à temps. Le mourant se plaignit à elle de la proposition du jésuite, qui répondit aux reproches de Mme d'Aiguillon : <«< Madame, il faut que j'obéisse à mes supérieurs. » Mais enfin le vilain compagnon de Jésus fut renvoyé sans rien obtenir.

Il est donc plus que vraisemblable que ces précieux fragments existent entre les mains de M. de Secondat, fils de notre illustre président, retiré à Bordeaux, sa patrie. Ce fils, que j'ai toujours vu d'un décontenancé et d'une timidité extraordinaires, passe pour être dévot; mais si j'en crois des personnes qui se prétendent au fait de l'état de choses, ce n'est pas par scrupule de conscience qu'il nous prive de ces restes précieux d'un grand homme. On assure que ce fils a le malheur d'être jaloux de la réputation de son père, et qu'il ne contribuera jamais à l'augmenter par la publication de ses ouvrages posthumes. La dévotion, comme il arrive souvent, ne servirait donc ici que de voile pour couvrir un sentiment bien méprisable; mais, quel qu'en soit le motif, nous n'en sommes pas moins privés d'un bien inestimable.

On assure que le recteur du collége des jésuites à Breslau ayant écrit au roi de Prusse, son souverain, pour être rassuré sur le sort de la Société dans les circonstances présentes, Sa Majesté lui a fait la réponse suivante :

« Je n'ai pas l'honneur d'être Roi Très-Chrétien, je ne suis pas Roi Catholique, encore moins Roi Très-Fidèle. Tranquillisez-vous; si je vous chasse jamais, je vous dirai pourquoi. »

On vient d'imprimer pour la première fois les Sermons sur différents sujets, prêchés devant le roi en 1686 et 1688 par le P. Soanen, de l'Oratoire. Deux volumes in-12 assez forts. Ce P. Soanen balançait alors la réputation du jésuite Bourdaloue,

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