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Grève, et que le comte de Saxe eût été trouver le roi pour lui confier que ce petit personnage entreprenant est M. le Dauphin, qu'on a cru mort mal à propos depuis vingt ans. Je suppose... Mais je vous entends crier que je suis fou à lier avec mes suppositions. Eh! comment appellerez-vous le public qui écoute de pareilles impertinences sur le théâtre de la nation, et qui les applaudit? Croyez-vous de bonne foi qu'on puisse les entendre et les souffrir impunément, et que le goût public soit en bon chemin quand il en est là?

Cosroès se rappelle apparemment les victoires de Phalessar pour lui passer en ce moment la petite tricherie; il n'exige de lui qu'une chose, c'est de ne révéler ce secret ni à Mirzanès ni à Amestris, à qui que ce soit au monde. Après quoi il ordonne qu'on lui amène Mirzanès.

Dans l'intervalle, il se parle à lui seul, et l'on croit un moment qu'il a quelque grand et merveilleux projet dans la tête, en voulant ainsi que ce secret demeure inconnu; mais on est bientôt désabusé. Mirzanès paraît en effet au milieu des gardes et accompagné du vieux chrétien Phalessar. L'entretien de Cosroès avec le coupable est d'une longueur démesurée. Mirzanès est étonné de trouver le roi si doux et si mielleux envers lui. Il se sent aussi je ne sais quoi de tendre pour ce Cosroès, qu'il avait cependant si bien juré de tuer. Phalessar, en proie à la crainte et à l'espérance, attend à tout instant une reconnaissance touchante, un dénoûment favorable; et moi, plus cruellement que lui en proie à un ennui dévorant au milieu des applaudissements d'un parterre imbécile, j'attends que tout cela finisse d'une manière quelconque : lorsque Cosroès, pour tout résultat, s'en tient à conseiller à Mirzanès avec beaucoup d'amitié et de douceur d'aller au supplice de bonne grâce et sans faire l'enfant. C'est que le roi se souvient du serment qu'il a fait, de n'épargner aucun des coupables. A cet arrêt si sévère, la patience échappe à Phalessar. Il va découvrir à Mirzanès sa naissance; mais les gardes ont déjà entraîné ce jeune criminel et prévenu ainsi la confidence. Phalessar n'a que le temps de crier à Amestris qui survient « Reine, c'est votre fils qu'on mène au supplice; » et celle-ci n'a pas besoin d'autre explication pour en être entièrement convaincue.

ACTE QUATRIÈME.

Malgré les indiscrétions de Phalessar

et les cris d'Amestris, Mirzanès était vraisemblablement exécuté sans se douter de sa qualité de dauphin, si une poignée de conjurés n'y avait mis la main. Ils l'ont délivré, et ils le ramènent victorieux au palais, où il paraît à la tête de ses partisans, le sabre à la main. L'exécution devait se faire de nuit; ainsi il est déjà un peu tard lorsqu'il en est de retour. Chemin faisant, il a été obligé de se battre contre des gens qui défendaient les approches du palais. Il a tué dans l'obscurité un homme, entre autres, dont les cris plaintifs l'ont ensuite attendri. Il se flatte que c'est Cosroès lui-même qui a péri de sa main, et il se demande d'où lui peut venir cette pitié importune dont il se sent obsédé. Mais au milieu de ces discours, Cosroès paraît, d'où Mirzanès conclut que ce n'est pas lui qu'il a massacré.

Cosroès vient seul, sans armes, sans défense. Il se met à la merci de ses assassins. Il veut absolument que Mirzanès le tue. Celui-ci dès qu'il en est le maître ne s'en soucie plus, et puis ses mouvements secrets et intérieurs recommencent de nouveau. Mais Cosroès s'en tient à son idée; il faut que Mirzanès le tue ou qu'il périsse lui-même. On ne peut le détacher de cette alternative. Cependant Mirzanès, plus occupé de l'homme qu'il a percé dans l'obscurité que de tout le reste, voit enfin approcher sa victime. C'est Phalessar, qui vient mourir en présence de son roi et de son meurtrier. Amestris survient aussi. Elle n'est pas femme à garder longtemps son secret. Elle déclare à Mirzanès sa naissance. Celui-ci, interdit, pétrifié, se reconnaît pourtant pour fils de Cosroès. Il embrasse sa chère mère; il rend hommage à son roi en tombant à ses pieds avec tous ses partisans. Tout se calme, et Phalessar, qui croit la pièce finie, prend le parti de mourir de sa blessure, assez content de la tournure qu'ont prise les étonnantes aventures qui se sont passées dans cette journée.

Mais Phalessar ne savait pas son compte et était bien heureux d'en être quitte pour quatre actes. Je crus un moment que l'auteur nous en tiendrait quittes aussi, et que nous irions souper sans cinquième acte, parce qu'enfin tout se trouvait terminé le plus convenablement du monde. Mais M. Le Fèvre, qui pense à tout, avait mis le peuple dans ses intérêts et avait trouvé dans son assistance de quoi allonger sa pièce d'un cinquième, qui paraissait manquer à la première coupe. Ce

peuple s'était assemblé pour voir une exécution, et il n'était pas d'humeur de s'en retourner sans avoir rien vu. Ainsi il se mutine, il force les portes du palais, et il demande à cor et à cri que, fils de roi ou non, le coupable Mirzanès soit exécuté. Amestris a beau crier de son côté : le peuple n'entend pas raison, et Cosroès, pour finir l'acte, est obligé d'envoyer Mirzanès de nouveau au supplice.

ACTE CINQUIÈME. -Si ce jeune chrétien sait y aller de bonne grâce, il sait aussi en revenir, comme vous savez. Cette fois-ci, il apprend au moment de son exécution qu'une nouvelle conspiration vient d'éclater contre son père. Memnon, qui s'était dérobé à la poursuite de Cosroès, s'est mis à la tête des Abyssiniens, ses prisonniers, et marche vers le palais. A cette nouvelle, Mirzanès n'en fait pas deux. Il se saisit du sabre du bourreau, et court combattre ce perfide Memnon, quitte à venir après cette expédition pour se faire enfin exécuter. Mais cette fois-ci le peuple le dispense de recommencer cette fatigante cérémonie. Mirzanès n'a pas sitôt rejoint Memnon qu'il a terminé ses crimes et sa vie, moyennant le sabre du bourreau enfoncé dans le ventre du traître, et le peuple, touché de cette action qui rend enfin le repos à l'empire et assure la tranquillité publique, ne se soucie plus de voir Mirzanès représenter davantage en place de Grève.

Au reste, tout cela se passe derrière la scène, et Cosroès en est successivement instruit par divers récits, dont le dernier et le plus long est fait par la reine en personne. Dès que son récit est fini, Mirzanès paraît au milieu du peuple pour confirmer toutes ces heureuses nouvelles.

Cependant, avant de permettre à Cosroès de se livrer enfin à quelque joie, un grand du royaume vient pour lui donner sur la sainteté du serment une leçon un peu vigoureuse. C'est Arbate. Il avait juré au second acte de n'épargner pas même son fils. Il a trouvé ce fils parmi les conjurés. Il l'amène devant le roi. Il se rappelle son serment en présence de toute la cour. Il tire son poignard, et l'on croit qu'il va l'enfoncer dans le sein de son fils coupable. Point du tout; c'est lui-même qu'il perce. Mais ce petit sermon ne fait pas la moindre impression sur Cosroès, qui n'a plus envie ni de se tuer, ni de faire tuer son fils chrétien. Ainsi vous croirez que le fruit de la mort d'Arbate

est entièrement perdu; mais il s'en faut bien. Ce satrape au contraire fait d'un poignard deux coups; il se tue, et il tue en même temps M. Le Fèvre dans mon esprit à n'en jamais revenir. C'est un homme sans ressource. S'il avait du moins su nous montrer Arbate assez juste, assez sévère, assez attaché à son pays pour immoler un fils criminel en présence de toute la cour, j'aurais pu concevoir quelque espérance de son génie, quoique cet épisode ne tienne en aucune manière à son sujet, et qu'il y soit cousu le plus ridiculement du monde. Arbate me prouve que M. Le Fèvre ne saura jamais jouer du poignard.

Ce qui m'intéresse le plus dans cette étonnante pièce, ce sont les amateurs d'exécutions qui ont passé toute une journée à attendre en vain une représentation. S'il a fait ce jour-là un peu chaud, ou un peu froid, ou un peu humide, les amateurs ont dû rentrer chez eux le soir de bien mauvaise humeur, et fort mécontents de l'administration de la justice du royaume de Cosroès. Nous sommes mieux policés en France, et nous ne faisons pas languir les spectateurs. Cela me rappelle le discours d'un homme que rapporte M. d'Alembert quand il est en train de faire des contes. Cet homme se trouve à une table d'hôte où l'on se plaignait de la lenteur de la justice. Il prit la parole et il dit : « Je ne conçois pas comment on peut accuser en France la justice de lenteur. Je me trouvais mardi dernier au Palais, j'avais oublié mon mouchoir chez moi; j'en pris un dans la poche de mon voisin; il était environ onze heures. A onze heures et demie, je fus décrété de prise de corps et pris. A midi interrogé, confronté, récolé. A midi et demi, jugé. A une heure, fouetté et marqué. Avant deux heures, j'étais rentré chez moi pour dîner. >>

Voilà comment le public aurait dû en user avec l'auteur de Cosroès. Il aurait pu être entendu, jugé, relégué du théâtre, et rendu chez lui pour souper; mais on disait que M. Le Fèvre était très-jeune, qu'il fallait encourager la jeunesse. En conséquence, son second et son troisième acte, ainsi que la moitié du quatrième, furent applaudis avec transport, et quoique l'autre moitié de cet acte, ainsi que le cinquième, ne réussissent point, la pièce aura au moins cinq et peut-être huit représentations, à moins que la suspension que vient de lui occasionner l'indis

position d'un acteur ne lui devienne fatale. Ce poëte a entre autres agréments celui d'être louche, d'être toujours à côté de sa pensée, de ne jamais dire ce qu'il voudrait dire il faut toujours en deviner et suppléer la moitié. Malgré cela j'entendais dire à tout le monde autour de moi, pendant les second et troisième actes, me sentant saisi d'un violent frisson causé par l'ennui, que ce jeune homme avait non-seulement beaucoup de talent, mais même du génie. O Athéniens, si vous prodiguez ces noms à de tels ouvrages, vous êtes bien dignes de n'en plus voir d'autres sur vos théâtres.

- Nous avons enfin reçu quelques exemplaires de l'Ingénu, roman théologique, philosophique et moral, de M. de Voltaire. M. l'Ingénu est un jeune Huron qui a la curiosité de voir l'Europe. Après avoir vu l'Angleterre, il débarque sur les côtes de la Basse-Bretagne. Il y trouve inopinément un oncle dans la personne de M. le prieur de Notre-Dame de la Montagne, et une tante dans la sœur du prieur, M" de Kerkabon, vierge âgée de quarante-cinq ans. Il y devient amoureux de Mlle de SaintYves. Vous verrez ensuite par quel enchaînement d'aventures M. l'Ingénu, après avoir repoussé les Anglais en Bretagne, arrive à Versailles pour y demander la récompense de ses services, est mis à la Bastille, y reste oublié, en est tiré enfin par le crédit de sa belle maîtresse, perd par une mort tragique cette incomparable personne, et ne se console de sa vie de cette perte. Tout cela se passe en 1689 sous le ministère de monseigneur de Louvois et du R. P. de La Chaise. M. l'Ingénu fait à cette occasion le portrait d'un ministre de la guerre qui ne ressemble pas au marquis de Louvois, puisque tout le monde. y a reconnu M. le duc de Choiseul. Ce roman n'est pas le chefd'œuvre de M. de Voltaire; mais il est plein de traits qui rappellent la manière de cet écrivain illustre. Il est amusant et agréable comme tout ce qui sort de sa plume: car remarquez que M. de Voltaire, même quand il est mauvais, n'est jamais ennuyeux. Au reste M. le Huron, dont son oncle le prieur n'a rien de plus pressé que de faire un bon chrétien moyennant le sacrement de baptême, a un bon sens bien alarmant pour sa tante dévote.

-Le roi de France Charles V fut surnommé le Sage parce qu'il répara par sa prudence les malheurs du roi Jean, son père,

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