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faire pitié avec ses phrases. Il est bien maladroit de nous ramener à ces époques quand on n'y est pas obligé, et quand on sait aussi bien qu'un autre que cette partie de l'Allemagne dont il s'agit ne se trouve pas trop mal, depuis deux cents ans, d'avoir été frappée par Luther, et que même les pays qui n'en ont pas été frappés jouissent des avantages du contre-coup. On a trouvé la seconde partie de cette oraison funèbre touchante. J'en suis bien aise pour ceux qui s'attendrissent à si bon marché. Je suis du moins persuadé qu'il était aisé de faire le tableau des infortunes de Me la Dauphine assez pathétique. pour arracher des larmes à tous les yeux. Tout ce qu'on peut dire en cette occasion à la louange de M. l'évêque de Lavaur, c'est que sa diction est facile et noble; mais ce mérite même est médiocre aujourd'hui, et devient tous les jours plus mince, parce que la langue, à force d'être maniée, acquiert ces caractères sans peine sous les plumes les moins exercées.

Il existe un petit livre intitulé Théologie portative, ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne, par M. l'abbé Bernier, licencié en théologie. Londres, 1768. Volume petit in-12 de deux cent trente pages1. Voilà de quoi encore exercer la vigilance de la police. On prétend que les seules mesures nécessaires pour empêcher le débit des mauvais livres, pour tâcher d'en découvrir les auteurs, les fauteurs, les imprimeurs, les colporteurs, y compris les frais de logement et la pension alimentaire de ceux qu'on attrape, font tous les ans un objet de deux ou trois millions de dépense pour l'État. Mais peut-on acheter trop cher le maintien de la religion catholique, apostolique et romaine? Il paraît d'abord que, comme il est dit dans ses lettres patentes que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais, la police pourrait s'en tenir à cette promesse infaillible, et dépenser l'argent des peuples d'une manière plus avantageuse pour le bien public; mais quoique dans l'ordre de la providence, Dieu soit le grand médecin du genre humain, et que ce soit lui qui tue ou qui guérisse de la fièvre, il n'empêche pas que le malade ne prenne du quinquina ou de l'émétique. L'idée d'un Dictionnaire théologique portatif était heureuse et susceptible d'une exécution

1. C'est la première édition du livre de d'Holbach, fréquemment réimprimé jusqu'en 1825.

supérieure; mais elle est bien mal exécutée dans le livre dont il s'agit. L'auteur est un homme bilieux qui veut faire le plaisant; mais il est presque toujours mauvais plaisant, il joue sans cesse sur le mot; il n'a point de goût, il a un mauvais ton, et il est souvent plat. Il gâte aussi presque toujours ce qu'il a dit de bien parce qu'il y ajoute. C'est un singe du patriarche de Ferney, qui veut imiter sa gaieté, ses plaisanteries, qui les pille même quelquefois, mais qui ne fait jamais que des singeries. D'ailleurs il a la plus belle aversion pour les prêtres, et cette haine perce à travers toutes ses plaisanteries et en attriste la lecture. Ce livre est excessivement rare, et le sera longtemps. Il n'aura point de succès; sans faire aucun bien, il nuira parce qu'il fera redoubler l'inquisition et la persécution. Si l'auteur est en France, je le trouve fou à lier de jouer son repos et son bonheur pour le plaisir de jeter des pierres contre une vieille masure gardée par des dogues qui déchirent tous ceux qui ne passent pas sans lever les yeux. Je vais transcrire quelques-uns des articles de ce dictionnaire, choisis dans la lettre A pendant le peu d'instants que je l'ai tenu. Ce ne sont pas les plus mauvais, et l'on aurait tort de se former une idée de ce livre d'après les échantillons que vous allez voir.

Abbayes. Asiles sacrés contre la corruption du siècle, qui dans des temps de foi vive furent fondés et dotés par de saints brigands, et destinés à recevoir un certain nombre de citoyens ou de citoyennes très-utiles, qui se consacrent à chanter, à manger, à dormir, le tout pour que leurs concitoyens travaillent avec succès.

Abnégation. Vertu chrétienne qui est l'effet d'une grâce surnaturelle. Elle consiste à se haïr soi-même, à détester le plaisir, à craindre comme la peste tout ce qui nous est agréable: ce qui devient très-facile au moyen d'une dose suffisante de grâce efficace pour entrer en démence.

Abraham. C'est le père des croyants. Il mentit, il fut cocu, il se rogna le prépuce, il montra tant de foi que si un ange n'y eût mis la main il coupait la jugulaire à son fils, que le bon Dieu, pour badiner, lui avait dit d'immoler. En conséquence, Dieu fit une alliance éternelle avec lui et sa postérité; mais le fils de Dieu a depuis anéanti ce traité pour de bonnes raisons que son papa n'avait point pressenties.

Abstinences. Pratiques très-saintes ordonnées par l'Église. Elles consistent à se priver des bienfaits de la Providence, qui n'a créé les bonnes choses que pour que ses chères créatures n'en fissent aucun usage. L'on voit qu'en ordonnant des abstinences, la religion remédie sagement à la trop grande bonté de Dieu.

Antipodes. C'est une hérésie que d'y croire. Dieu, qui a fait le monde, a dû savoir ce qui en était or il n'y a point cru lui-même, comme on le voit par ses livres.

Avent. Temps de jeûnes, de mortifications et de tristesse pendant lequel les bons chrétiens se désolent de la venue prochaine de leur libérateur.

Logique. La meilleure logique théologique et la mieux éprouvée en Sorbonne se vend à l'enseigne du grand Holopherne, chez Coignard, coutelier ordinaire du clergé et du Parlement.

N. B. Je suis en conscience obligé de dire que ce dernier article ne se trouve pas dans la Théologie portative, et qu'il est simplement fait ad modum d'icelle.

- M. l'abbé Chappe d'Auteroche, de l'Académie royale des sciences, envoyé en 1761 en Sibérie par ordre du roi pour l'observation du passage de Vénus sur le soleil, annonce au public par souscription une relation de ce voyage, magnifiquement exécutée et enrichie d'estampes d'après les dessins de M. Le Prince. Cet artiste a accompagné l'académicien dans son voyage. On joindra à cette relation l'histoire de Kamtschatka faite en russe par M. Kracheninnikow, et que M. Eidous a traduite en français il y a quelques mois, d'après une traduction anglaise très-informe et tronquée. La traduction que M. l'abbé Chappe se propose de joindre à son ouvrage a été faite en Russie d'après l'original, avec beaucoup de soin. Le tout formera trois volumes grand in-4o, avec 94 planches qui paraîtront dans le courant de l'été prochain. On souscrit cent livres.

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Le docteur Barbeu-Dubourg vient de publier un Botaniste français, comprenant toutes les plantes communes et usuelles, suivant la nouvelle méthode et décrites en langue vulgaire. Deux volumes in-12 assez forts, dont le premier contient la nouvelle méthode proposée par l'auteur, et le second, un manuel d'herborisation, c'est-à-dire un catalogue raisonné de toutes les plantes qui se trouvent aux environs de Paris. La botanique est

de toutes les sciences peut-être la plus difficile, et sûrement la moins avancée. Le plus grand botaniste que nous ayons en France est M. Bernard de Jussieu. Tout le monde souscrira avec empressement l'éloge que M. Dubourg a fait de ce digne et respectable savant à la fin de la préface. M. Dubourg a dédié ce livre à sa femme. Hélas! il n'en est peut-être pas moins cocu. Ce n'est pas que je connaisse M. et Mine Dubourg ni de près ni de loin, et que je ne croie volontiers à la vertu et au bonheur des époux; mais je ne puis souffrir les benêts de maris qui dédient leurs livres à leur femme. M. Saurin a dédié une de ses pièces, qui n'a pas été heureuse en théâtre, à Mme Saurin, par une épître qui commençait par :

Ma femme qui n'es pas ma femme,

Ou plutôt ma femme qui l'es.

Je n'ai jamais pu digérer ces deux vers; j'en suis encore suffoqué!

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- M. Vallet, lieutenant général de police de quelque province, nous gratifie d'une Méthode pour faire promptement des progrès dans les sciences et dans les arts. Brochure, d'environ cent cinquante pages. Le secret de M. Vallet consiste en deux parties, l'analyse et la combinaison. Analysez sa méthode rigoureusement, on ne peut la combiner qu'avec la sottise. Vous y trouverez un parallèle entre Alexandre et Bucéphale. Je suis le valet de M. Vallet et de sa méthode. De la part d'un lieutenant de police, on ne s'attendait qu'à une méthode pour découvrir promptement la vérité. M. Vallet dédie ses livres à sa femme et à ses enfants. Je ne sais si M. Vallet est l'auteur des ouvrages que Mme Vallet lui dédie. Il le prétend; mais ce ne serait pas la première fois qu'un lieutenant de police, en sachant les secrets de tout le monde, ignorerait ceux de sa femme.

-Les Bagatelles anonymes contenaient quelques pièces fugitives de M. Dorat. On vient de leur donner une suite qui contient des pièces fugitives de son bémol, M. de Pezay. C'est peu de chose, pour ne pas dire rien.

Discours lus à l'Académie royale des sciences par M. Coulon, écrivain juré de l'Académie royale d'écriture (car, Dieu merci, c'en est aussi une) sur un moyen mécanique de

perfectionner l'art d'écrire, d'en faciliter l'acquisition plus promplement que par l'imitation des lettres, et de rendre les écritures plus lisibles. Cahier in-4°. J'observe à M. Coulon que s'il peut rendre toutes les écritures lisibles, il aura trouvé un secret fort utile, et que si Molière avait eu à placer un écrivain juré dans une de ses pièces, il lui aurait emprunté son nom.

OCTOBRE.

1er octobre 1767.

Ceux qui observeront avec attention l'esprit public de cette nation le trouveront toujours porté à l'excès sur quelque objet de prédilection dont le charme absorbera pour le moment toutes ses facultés. La durée de la passion dominante est ordinairement en raison inverse de sa vivacité, et comme le Français est susceptible d'une sorte de pétulance inconnue aux autres nations, il ne faut point s'étonner de le voir se passionner et éprouver successivement le même degré de chaleur pour les objets les plus opposés. Je regarde, pour le dire ici en passant, cette extrême vivacité, jointe à un caractère naturellement gai, comme la source de la supériorité,que cette nation a toujours eue en Europe. Je sais qu'elle n'a jamais pu se laver du reproche d'inconstance et de légèreté, je sais que sa vivacité, dont j'entreprends ici de faire l'éloge, l'a souvent exposée à de terribles revers, et mise quelquefois à deux doigts de sa perte; mais elle l'a aussi toujours tiré de l'abîme où elle l'avait précipitée; et pour jouer un rôle constamment brillant, il n'y a sans doute rien de mieux que de se remuer sans cesse et en tout sens, de revenir toujours et de tous côtés à la charge; rebuté ici, de se remontrer incontinent ailleurs avec la même confiance, et de savoir se tirer du plus grand abattement par un effort du plus grand enthousiasme. Tel a été toujours le caractère du Français, et à force de se présenter au jeu, il a dû avoir la chance sur les mesures et les opérations plus sages, plus réfléchies, mieux raisonnées, et mieux combinées des autres nations.

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