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Le récitatif obligé a une nuance de chant plus forte que le récitatif ordinaire; il tient le milieu entre celui-ci et le chant de l'air.

Mettez les airs les plus beaux et les plus sublimes l'un à la suite de l'autre, et vous n'en aurez pas fait exécuter quatre de suite sans que votre oreille ne soit enivrée, excédée, et que vous n'ayez réussi à détruire tout charme, tout effet, par cette succession immédiate des uns aux autres.

Le récitatif était donc ce qu'il y avait de plus important à trouver pour l'exécution d'un opéra. Sans lui, point d'action, point de dialogue, point de scène, point de repos, point de charme, point d'effet musical.

Aussi il n'y a rien de tout cela dans un opéra français, parce que son récitatif est un chant lourd, traînant et languissant, que l'acteur débite à force de cris et de poumons, et qui dure depuis le commencement jusqu'à la fin. Ce récitatif détestable, qui a été imité d'après le plain-chant de l'église et qui n'est proprement ni chant ni déclamation, est cause qu'il n'y a ni air ni récitatif dans un opéra français, et que l'auditeur le plus intrépide en sort harassé.

La faute la plus grave de M. de Monsigny, c'est d'avoir adopté ce plain-chant avec tous ses défauts, et de n'avoir pas songé à distinguer avec précision l'air et le récitatif. C'était se mettre dans l'impossibilité de mieux faire que ses prédécesseurs, depuis le plat Luili jusqu'au dur et lourd Rameau.

Secondement, la chanson et le couplet ne sont point du ressort de la musique théâtrale: ils peuvent y être placés historiquement, c'est-à-dire qu'un berger, par exemple, peut dire à sa bergère qu'on lui a appris une telle chanson, et la chanter; mais il est contre le bon sens de placer sur le théâtre la chanson et les couplets en action, parce que le chant du couplet est toujours un chant appris par cœur, et ne peut jamais avoir l'air d'être créé par l'acteur dans la chaleur de l'action ou dans les accès et dans la fougue de la passion. Rien ne ressemble moins au couplet que l'air ou l'aria des Italiens, qui est le véritable chant du théâtre, et qui, comme nous l'avons dit, doit toujours être placé en situation. Il paraît que c'est la danse qui a fourni la première idée de l'air à celui qui l'a créé en Italie, et introduit sur le théâtre. L'application du cadre que

la danse a fourni aux paroles du poëte, cette association du modèle primitif et du technique d'un air de danse avec l'expression d'un sentiment, les actions d'une passion, est un effort de génie des plus rares. L'air est donc devenu l'expression d'un seul sentiment, d'une seule idée musicale, d'une seule passion, d'une seule situation, avec toutes les variétés des nuances que chaque sentiment, chaque passion renferme.

L'opéra français ne connaît point l'air. On n'y sait rompre la monotonie de ce plain-chant qu'ils appellent récitatif que par des chansons et des romances, genre de musique faux et absurde au théâtre. Ce qu'on appelle l'ariette, introduite en ces derniers temps dans la musique théâtrale, à l'imitation de l'aria des Italiens, est d'un genre non moins faux que les couplets, et d'un goût encore plus pitoyable. Bien loin d'exprimer un sentiment ou une passion, l'ariette ne renferme que des paroles oiseuses que le poëte place à propos de rien dans un divertissement, et que le musicien ne sait exprimer qu'en jouant sur les mots de la manière la plus puérile.

M..de Monsigny n'a rien innové à ce misérable protocole. Comme il a surtout réussi par ses romances dans ses autres pièces, il a cru qu'il n'y avait qu'à les multiplier dans celle-ci autant qu'il serait possible, et il n'a pas prévu qu'elles se feraient tort les unes aux autres, et qu'à la troisième tout le monde serait excédé. Quant à ses ariettes, qu'il a placées dans les divertissements suivant l'usage, elles ne sont en rien supérieures aux mesquines et pitoyables ariettes de Rameau et consorts. Ainsi l'air, l'aria, reste toujours à créer dans l'opéra français.

Troisièmement, les chœurs ne sont pas plus que les couplets propres à la musique de théâtre. Aussi rien n'est plus froid et plus ennuyeux que tous ces choeurs dont un opéra français est farci, et que ses partisans ont l'imbécillité de regarder comme un avantage. Lorsque le poëte introduit dans sa pièce le peuple ou la foule comme acteurs, je sens que cette foule peut pousser un cri de joie, d'admiration, de douleur, de surprise, d'effroi, etc.; mais de lui faire chanter un long couplet en parties, et par conséquent non-seulement un chant appris par cœur, mais concerté d'avance entre les exécutants, et qui cependant au théâtre doit avoir l'air d'être suggéré par l'action du moment, c'est offenser grièvement le bon sens et porter l'absurdité à

son comble, à moins que ce chœur ne consiste dans l'exécution de quelque hymne ou de quelque autre chant consacré par la religion et l'usage, et que le peuple peut être supposé de savoir par cœur. On a emprunté les choeurs du théâtre ancien; mais en cela, comme en beaucoup d'autres choses, on a montré peu de jugement. La représentation théâtrale avait tout un autre but chez les peuples anciens que chez nous : c'était un acte de religion et d'instruction publique. Cette dernière partie était particulièrement confiée au chœur. C'était pour ainsi dire un personnage moraliste et intermédiaire entre l'acteur et le spectateur, chargé d'inspirer à celui-ci de bons sentiments moraux résultant du fond du sujet. Quand il quitte le rôle de moraliste, et qu'il se mêle à l'action, la foule se tait, et il n'y a plus qu'un ou deux interlocuteurs qui parlent. Le caractère distinctif des ouvrages anciens est ce jugement sûr et profond qui accompagne toujours les opérations du vrai génie. Nous autres peuples modernes, nous ne sommes que des enfants et des singes qui avons imité à tort et à travers, et souvent contre le bon sens, ce que nous avons trouvé établi chez nos maîtres. Aussi il n'y a rien qui n'y paraisse; et pour s'en convaincre on n'a qu'à comparer la gravité des choeurs de Sophocle avec la frivolité et la pauvreté des chœurs de Quinault.

M. de Monsigny, au lieu de donner un bon exemple en retranchant les chœurs de son opéra, les a multipliés à l'excès, et a perpétué, autant qu'il a dépendu de lui, un défaut qu'on a la sottise de regarder comme une beauté, tandis que les Italiens l'ont retranché depuis longtemps, et avec beaucoup de jugement, de leur spectacle musical.

En quatrième lieu, aussi longtemps que l'on mêlera la danse avec le chant, les scènes et les ballets, il sera impossible qu'il y ait jamais un véritable intérêt dans un poëme d'opéra; et le moyen d'attacher et de procurer du plaisir par la représentation théâtrale, lorsqu'elle est dépourvue d'intérêt, ou que cet intérêt se réduit à une scène dans tout le cours de la pièce, au lieu qu'il doit commencer avec elle, et croître par gradation de scène en scène, jusqu'au dénoûment? Les Italiens ont absolument banni et séparé la danse de leur opéra, et ont montré en cela autant de discernement que de goût. En France, au contraire, on regarde la réunion de la danse et du chant

dans le même spectacle comme un chef-d'œuvre de l'art et comme une preuve de la supériorité de l'opéra français sur l'opéra italien. Belle chimère! Prétention bien fondée! Premièrement, c'est le comble de la barbarie et du mauvais goût de mêler ensemble deux arts d'imitation, et si vous étudiez les premiers éléments du goût, vous sentirez que celui qui imite par le chant ne doit jamais se trouver dans la même pièce avec celui qui imite par la danse, l'unité de l'imitation n'étant pas moins essentielle que l'unité de l'action. En second lieu, je mets en fait que ce mélange de danse et de chant détruit nécessairement l'intérêt, parce qu'à chaque fois le ballet arrête l'action, et que lorsque la danse est finie, l'âme du spectateur est loin de l'impression qu'une scène touchante aurait pu lui faire. Aussi les ballets ne sont si agréables et si désirés à l'Opéra que parce que le poëme est insipide et froid, et qu'il ennuie; mais dans une pièce véritablement intéressante, je défie le poëte le plus habile, quelque art qu'il puisse avoir, d'amener un ballet sans arrêter l'action, et par conséquent sans détruire à chaque fois l'effet de toute la représentation. Remarquez que la danse peut être historique dans une pièce, comme la chanson. Donnez-moi un génie sublime, et je vous montrerai Catherine de Médicis faisant ses préparatifs du carnage de la Saint-Barthélemy, au milieu des fêtes et des danses de la noce du roi de Navarre. Le contraste de la tranquillité apparente qui va faire éclore de si affreux forfaits, ce mélange de galanterie et de cruauté, si je sais l'art d'émouvoir, vous fera frissonner jusque dans la moelle des os; mais je ne crains pas que vous puissiez avoir jamais vu rien de semblable sur le théâtre de l'Opéra, ni qu'aucun de ceux qui s'en mêlent soit en état d'en concevoir seulement l'effet. On ne nous donne sur nos théâtres que des jeux d'enfants, parce qu'on sait bien qu'on ne joue pas devant des hommes, et que, jusque dans les amusements, on redoute une certaine dignité et une certaine énergie.

MM. Sedaine et de Monsigny ne se sont pas doutés du mauvais effet de ce mélange du chant et de la danse. Ils ont voulu en tout se conformer au protocole de la boutique de l'Opéra français, et le public leur a rendu justice en rangeant leur opéra dans la classe de ces ouvrages insipides et barbares

le

qui seront enterrés sous les ruines de cette vieille masure, jour que les Français sauront ce que c'est qu'un spectacle en musique.

M. le chevalier de Chastellux a écrit l'année dernière un Essai sur l'union de la poésie et de la musique, qui contient de très-bons principes que nos jeunes poëtes surtout auraient dû étudier avec le plus grand soin. Pas un n'en a profité jusqu'à présent, et rien ne prouve mieux l'inutilité des préceptes et des poétiques. Un seul beau tableau apprend plus sur la peinture que vingt traités qui traitent de l'art. L'écrit de M. le chevalier de Chastellux n'a pas même fait de sensation. Il est vrai qu'il est un peu froid, et qu'on a de la peine à se faire à un ton si froid sur un art si plein de chaleur et d'enthousiasme; mais enfin cet écrit contient des vues tout à fait neuves, du moins en France, et dont certainement aucun poëte lyrique ne se doute.

J'ai aussi tâché d'exposer mes idées dans l'Encyclopédie, à l'article Poëme lyrique. Si vous daignez le parcourir, je le recommande à votre indulgence; je n'ai point eu le loisir de lui donner la perfection dont il aurait été susceptible. Vous y trouverez peut-être quelques vues trop hasardées et qui pourront même paraître extravagantes; mais je vous supplie de ne les pas rejeter légèrement; et si j'en avais le temps, je ne croirais pas impossible de les porter à un haut degré de probabilité. Au reste, je n'ai pas vu cet article imprimé, et ne sais quel air il a dans ce fameux dictionnaire: car jusqu'à présent les sages précautions du gouvernement nous préservent toujours efficacement du venin de l'Encyclopédie, tandis que les provinces et les pays étrangers sont abandonnés à l'activité de son poison. On a même mis M. Le Breton, premier imprimeur ordinaire du roi, à la Bastille, pour avoir envoyé vingt ou vingt-cinq exemplaires à Versailles à différents souscripteurs. Ceux-ci ont eu un ordre du roi de rapporter leurs exemplaires à M. le comte de Saint-Florentin, ministre et secrétaire d'État. Dans le fait, le gouvernement n'a pas voulu punir, mais prévenir les criailleries des prêtres, surtout pendant l'assemblée du clergé, à laquelle on a voulu ôter le prétexte de faire des représentations à ce sujet. L'indiscret imprimeur qui a pour son compte l'intérêt de la moitié dans les frais et dans les

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