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bon patriarche fit une très-méchante action en abandonnant la servante Agar au milieu du désert de Bersabée. C'est de quoi je crois le patriarche de l'évidence et de l'ordre essentiel incapable.

Si vous envoyez l'auteur de l'Ordre essentiel des sociétés politiques passer le fleuve de l'oubli, vous ne manquerez pas de mettre à sa suite l'Ami de ceux qui n'en ont point, qui vient de publier un Système économique, politique et moral, pour le régime des pauvres et des mendiants dans tout le royaume. Volume in-12 de deux cent soixante-dix pages. Cet ami est M. l'abbé Méry, qui a déjà écrit d'autres pauvretés.

M. de Massac, membre de la Société d'agriculture de Limoges, est aussi très-digne de passer le fleuve. Il a écrit un Mémoire sur la manière de gouverner les abeilles dans les nouvelles ruches de bois. Passe pour cela. Ce mémoire peut amuser ou ennuyer quelque honnête campagnard; il n'y a pas grand mal. Mais je ne passe pas à M. de Massac son autre Mémoire sur la qualité et sur l'emploi des engrais. Jamais les fermiers et les laboureurs ne prendront leur fumier dans le Mémoire de Massac. Au delà du fleuve, sans miséricorde !

L'auteur de la Réduction économique, ou de l'Amélioration des terres par économie, qui ne se nomme pas1, le passera immédiatement avec les abeilles et les engrais de M. de Massac, malgré les gros bénéfices économisés dont il est l'inventeur.

M. l'abbé Baudeau, prémontré pour la forme et économiste rural dans l'âme, a voulu annoncer ou prévenir l'Ordre essentiel de M. de La Rivière par une Exposition de la loi naturelle, qui n'a que soixante-dix pages et qui ne coûte que douze sols. Cet écrit peut avoir en effet le double objet, et de servir d'introduction à la lecture du livre de M. de La Rivière, et de vous convaincre que ce dernier n'a aucune idée qui n'appartienne au mardi rural en toute propriété ; en sorte qu'une portion du produit net de ce livre doit rester à l'auteur pour la dépense de son temps, papier, encre et autres frais de barbouillage et d'impression, mais la plus grande partie de ce produit net doit revenir à MM. Quesnay, Mirabeau et Ci, comme propriétaires fonciers des idées, ayant physiquement et incommutable

1. Maupin.

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ment droit au partage. J'ai déjà remarqué que le profit du produit net pour le lecteur est égal à zéro, celui de la gloire pour les auteurs est pareillement égal à zéro : ainsi ce partage ne leur prendra pas beaucoup de temps, et ne sera pas sujet à discussion.

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Je hais les bavards, et malheureusement M. l'abbé Baudeau a prouvé, en ses soixante-dix pages, sa vocation incontestable au métier de bavard et de diseur de mots. Il veut réduire tout le droit naturel et tout le droit des gens à cette lo unique que chacun se fasse le meilleur sort possible, sans attenter aux propriétés d'autrui. Il appelle cela une règle primitive du droit naturel. Il prétend qu'avant toute agrégation et toute convention... cela veut dire avant toute réunion en société; mais il faut parler le style de ces messieurs, avant toute agrégation donc, la loi naturelle était attributive du droit de jouir de ses propriétés, prohibitive de l'usurpation des propriétés d'autrui. Et pour prouver cette assertion, il appelle monstres tous ceux qui refuseront de l'admettre. J'avoue que je suis un de ces monstreslà, quoique dans le fond je me tienne pour aussi honnête homme au moins que le prémontré exposant la loi naturelle. Celle qu'il donne pour telle, qu'il regarde comme fondamentale, qu'il prétend avoir existé avant la société, l'est si peu, que les hommes ne se sont réunis en société que par la nécessité de la faire observer, cette loi. Voulez-vous savoir ce que c'est qu'une loi naturelle? En voici une: Tu ne mettras pas ton doigt dans la mèche d'une chandelle allumée. Et savez-vous pourquoi c'est là une loi naturelle? C'est que s'il vous prend fantaisie d'y manquer, vous vous brûlerez le doigt, et que cela vous fera mal, et que vous n'aimez pas le mal. Aussi je ne crois pas qu'aucun enfant ait fait plus d'une expérience pour chercher à enfreindre cette loi. Toute loi qui n'a pas sa sanction avec elle ne mérite pas ce nom, surtout dans le code de droit naturel.

Il n'y a rien de juste ni d'injuste sous le ciel, quoique M. de La Rivière dise sans cesse: Ceci est d'une justice absolue, et cela d'une injustice absolue. Le terme juste est par son essence relatif, et suppose nécessairement un rapport. La justice ne peut exister qu'entre êtres de la même espèce. Et quel est son fondement? L'égalité du sort, l'incertitude de sa chance: voilà le véritable fondement de toute morale et de toute justice. Le mal

heur que j'éprouve peut t'accabler demain. Si tu te permets tou envers les autres, ils se permettront tout envers toi. Monarque absolu d'un grand empire, tu peux sans doute te livrer aux fureurs les plus insensées; mais tu ne peux pas non plus te garantir du risque d'être précipité de ton trône, et ton supplice peut devenir le signal de l'allégresse publique. Nous naissons tous avec les mêmes besoins, nous mourons tous au bout d'un certain temps, nul ne peut lutter seul contre tous voilà la source de toutes nos vertus; voilà la véritable sanction, non de la loi naturelle qui n'a rien statué à cet égard, si ce n'est que cent livres pèseront éternellement le double de cinquante, mais des lois sociales et politiques conformes au génie de l'homme. Je crois l'avoir déjà dit: Affranchissez un seul de nous de la loi générale; créez un homme immortel, ou bien accordez-lui une vie de deux mille ans seulement, ou bien garantissez-lui ses quatre-vingts années de vie exemptes de tout revers, de tout malheur, qu'il en ait la certitude; et vous en aurez fait le plus execrable, le plus méchant de tous les hommes. C'est que vous aurez détruit la mesure commune qu'il y a entre nous et lui. Il sera méchant et ne sera point injuste. Il comptera votre vie pour rien, il vous en privera pour le plus petit de ses intérêts. Et pourquoi la compterait-il pour quelque chose, lui qui est sûr de son sort et qui ne peut courir aucun risque? Cette égalité du sort est si essentielle à la morale que celle-ci n'existe plus dès que l'autre a cessé. Nous n'observons aucune loi avec les animaux, si ce n'est notre convenance. Notre cruauté s'accroît même à proportion que leur petitesse nous dérobe le spectacle de leurs souffrances, c'est-à-dire une impression pénible que nous craignons. Vous écrasez un insecte sans pitié, sans remords, sans la plus légère attention. C'est que vous ne trouvez aucun rapport entre vous et lui; la mort lui est cependant à coup sûr aussi amère, la douleur aussi horrible qu'à vous. Vous avez fait de la chasse le plus noble de vos exercices. Ceux qui en font leur amusement journalier sont-ils cruels, barbares, atroces? Sont-ce des monstres? Non, vous en avez connu qui sont sensibles, généreux, compatissants, bienfaisants; qui ont mille vertus, qui sont chéris, estimés, respectés. Pourquoi est-il donc plus barbare de forcer un homme que de forcer un cerf? Pourquoi le spectacle d'une mère avec son enfant dans

ses bras, courant et se dérobant à une meute de chiens que vous auriez lâchés après elle, déchirée enfin par vos dogues, elle et son enfant, après mille efforts inutiles pour échapper au danger, pourquoi ce spectacle ne vous paraîtrait-il pas aussi intéressant que les angoisses d'un animal doux, noble, fier, pacifique, qui ne vous a jamais offensé, qui ne vous a jamais fait aucun tort, et dont vous vous plaisez à prolonger le supplice par les raffinements les plus barbares? Quand M. l'abbé Baudeau aura trouvé la solution de ces questions, je l'écouterai sur la loi naturelle. Alors il retranchera aussi de son Exposition sa triste incartade contre la traite des nègres. Le président de Montesquieu a tout dit sur ce sujet dans son charmant et délicieux chapitre de l'Esprit des lois. Si vous voulez le comparer au paragraphe de l'abbé Baudeau, vous verrez précisément la distance d'un homme de génie à un polisson emphatique.

Le droit des gens n'est pas plus heureusement traité dans cette Exposition que la loi naturelle. L'auteur, qui en sa qualité d'économiste va à l'économie, ne lui donne pas un autre fondement que sa règle primitive établie pour base au droit naturel. Les peuples, dit-il, ne sont pas autre chose que des hommes, donc leurs droits et leurs devoirs doivent être jugés suivant la jurisprudence ordinaire.

Le prémontré ne sait ce qu'il dit. Le rapport des nations entre elles ne peut et ne doit être jugé suivant les lois de particulier à particulier. L'état des nations est un état de forces qui se contrebalancent : c'est le rapport d'un homme à un autre homme si vous voulez; mais dans l'état de nature, la société a donné naissance à mille vertus touchantes qui en font le charme, et qui ne peuvent avoir lieu entre nations. Le chapitre des sacrifices seul est immense. Une des plus grandes doucuers de la société, c'est de faire un sacrifice à son ami; nous passons notre vie dans ces sacrifices mutuels, même à l'égard des indifférents. A tout moment nous nous départons de notre intérêt, et nous nous en trouvons fort bien. Rien de tout cela ne peut exister entre nations. Un roi qui se sacrifierait réellement pour l'intérêt d'une puissance voisine ne serait pas un prince généreux et magnanime, mais un sot et même un homme injuste. C'est qu'il n'est pas juste de prodiguer le sang et les trésors d'une nation autrement que pour son propre intérêt. La probité même entre.

nations n'est pas la même qu'entre particuliers. Celle-ci n'est pas variable. Votre parole est inviolable, vous en êtes esclave lors même qu'elle devient par le changement des circonstances directement contraire à votre intérêt. C'est que votre intérêt à vous particulier, proprement dit, n'est pas ce qu'il y a de plus intéressant pour vous. Il n'en est pas de même d'une nation. Sa parole donnée finit avec son intérêt, et est enfreinte infailliblement le moment après et sans injustice, quoi qu'en disent les 'docteurs. Dans l'espace de vingt années la cour de Vienne a signé trois traités éternels par lesquels elle cède au roi de Prusse la Silésie à perpétuité. Si le prince de Prusse, après la mort de son oncle que Dieu conserve! veut s'en rapporter à ces trois traités éternels, et en conséquence licencier ses troupes, changer de système, négliger ses alliés, se mettre en un mot hors de défense, il verra ce que c'est que l'éternité de ces traités, et le prémontré prouvera sans doute, le mardi après la prise de Breslau, d'une manière victorieuse que si la maison d'Autriche s'était gouvernée suivant les principes de l'évidence, elle aurait religieusement gardé sa parole.

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Je suis las de ces inepties. Il serait bien à désirer que quelque homme de génie ou quelque excellent esprit voulût en dépouiller une bonne fois la science du droit public et la mettre au niveau du ton et de la philosophie de son siècle. A défaut d'un créateur ou d'un restaurateur de cette science, je tenterais infailliblement cette entreprise au-dessus de mes forces s'il m'était permis de m'affranchir de mes occupations pendant quelques années.

-Le 4 de ce mois, jour de saint François, la fête du grand patriarche a été célébrée à Ferney par sa nièce, Mme Denis, et les poëtes commensaux, en présence du régiment de Conti et de tous les notables du pays de Gex. La relation que j'ai vue de cette fête ne parle à la vérité ni de grand'messe ni de Te Deum chantés le matin dans la chapelle du château; mais en revanche on a joué et chanté le soir sur le théâtre du château. La fête a été terminée par un feu d'artifice, un grand souper, et un bal qui a duré fort avant dans la nuit, comme disent les gazetiers, et où le patriarche a dansé, suivant sa coutume, jusqu'à deux heures du matin. Les deux pièces qu'on a représentées sont la Femme qui a raison et Charlot, ou la Comtesse de Givry. C'est la nou

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