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moyens imaginables; pourvoyez à la sûreté publique et dans vos villes et sur vos grands chemins; que le citoyen puisse voyager sans craindre les brigands, et vous verrez que le commerce s'établira parmi vos sujets, sans que vous ayez besoin de leur apprendre ce qu'il faut qu'ils fassent pour le faire prospérer et fleurir. L'homme le plus borné sait toujours mieux ce qu'il faut faire pour son intérêt que le conseiller le plus avisé; et je suis persuadé que si l'on voulait voir un recueil complet et parfaitement assorti de sottises de toute espèce, on n'aurait qu'à publier le code de tous les règlements qui existent en France, relatifs au commerce, aux arts et aux métiers.

Au reste, lorsqu'après de longs siècles de barbarie et au milieu du désordre féodal, une police plus sensée a cherché à s'établir en Europe, lorsque les villes et les communautés se sont formées, a-t-on eu tort d'ériger les différents métiers en maîtrises, et de les munir de statuts particuliers? Je ne le crois pas. A-t-on raison aujourd'hui de casser tous ces statuts et de laisser gagner à chaque citoyen son pain comme il le jugera à propos, sans s'inquiéter s'il est agrégé à quelque communauté, sans s'informer s'il a bien appris le métier qu'il compte exercer, etc.? Peut-être. Ce que jesais, c'est qu'autre chose est de civiliser, de former un peuple; autre chose de gouverner un peuple tout formé, tout civilisé; et pour me servir d'une expression de M. l'abbé de Galiani, quand vous voulez mettre un peuple en culottes, il peut être expédient, indispensable même, de commencer par lui lier bras et jambes pour assujettir tous ses mouvements; c'est le moment de n'en regarder aucun comme indifférent. C'est le moment des règlements, des lois, des cérémonies, des formalités d'autant plus inviolables qu'elles sont au fond très-indifférentes; mais lorsqu'un peuple porte culottes depuis cinq ou six cents ans, lorsqu'il y est si bien habitué qu'il les regarde comme essentielles à son bien-être, et qu'il s'est identifié avec elles, il est bien absurde de ne pas lui délier les bras, de ne pas lui rendre la liberté de ses mouvements, qu'il ne peut plus employer désormais qu'à la conservation et à l'embellissement de ses culottes, puisqu'il ne lui reste aucune trace,'aucun souvenir de ses ancêtres sans culottes, aucune envie de leur ressembler.

Quand on veut élever un édifice, il faut commencer par

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former un échafaud; mais quand cet édifice est tout élevé, quand il est achevé depuis des siècles, il est ridicule de laisser subsister l'échafaud, et d'en prendre plus de soin que de l'édifice même. Rois, ministres, si vous n'avez ni assez de génie, ni assez de courage pour abattre votre échafaud, ne soyez du moins pas assez absurdes pour en vouloir aux philosophes dont ç'a été de tout temps le métier de démasquer et de débarrasser votre édifice, en portant en bons et intelligents charpentiers la cognée dans le vieil échafaud qui l'entoure. Ne craignez pas que ces charpentiers opèrent trop vite ni qu'ils commencent trop tôt; leur communauté ne peut se former que quand l'échafaud commence à pourrir. Maître Arouet de Voltaire, il y a deux cents ans, aurait été réformateur comme Luther et Calvin; il y a cent ans qu'il aurait peut-être été janséniste faisant la guerre aux jésuites, et c'eût été toujours un homme unique, puisqu'il aurait été janséniste gai. Aujourd'hui, c'est le panégyriste du rémunérateur et vengeur tout court; dans cent ans d'ici, s'il revenait au monde, il s'en passerait peut-être et ne s'en estimerait pas moins. Nous tenons aux opinions et à la pente générale des esprits de notre siècle bien plus invinciblement que nous ne pensons; mais ces opinions sont comme les modes. Quand la maladresse s'en mêle, elles peuvent ébranler un empire jusque dans ses fondements, quoiqu'elles soient dans le fait absolument indifférentes à la prospérité publique. Qu'estce qu'un homme d'un grand génie? C'est un homme qui est venu au monde deux ou trois cents ans avant son temps. Il est seul. Son siècle ne l'entend pas, et s'il ne sait se tenir tranquille, il est livré aux bêtes. A la fin, la justice des siècles arrive, et place sur le piédestal l'homme qui a été un objet d'opprobre et de haine pour ses contemporains. Voilà l'histoire du genre humain depuis l'orient jusqu'à l'occident, depuis le midi jusqu'au septentrion.

Heureux l'homme de génie que le sort aura placé sur le trône dans un siècle comme le nôtre ! Les sots et les fripons, qui ne vivent que d'échafaudages, ne manqueront pas de lui dire que tout est perdu si l'on ne respecte pas leur échafaud pourri; mais il ne sera pas assez sot pour le croire. Il sentira que, malgré les déclamations de nos orateurs bilieux, nous valons mieux que nos pères n'ont jamais valu, et que nos neveux

vaudront mieux que nous. Il verra que l'Europe s'achemine sensiblement vers un état d'amélioration dont il serait impossible de pressentir ni les effets ni le terme, à moins que quelque catastrophe physique et subite ne nous remette dans notre état primitif et sauvage; et en voyant ce que son siècle attend de lui, il mettra sa gloire à hâter les progrès de cette heureuse révolution par son exemple et par son influence.

Pour nous débarrasser pendant quelque temps de cette foule importune de laboureurs en chambre, ajoutons à la pacotille de leurs productions un Nouveau Mémoire qui paraît sur les distinctions qu'on peut accorder aux riches laboureurs, avec des moyens d'augmenter l'aisance et la population dans les campagnes. Item des Eléments de la philosophie rurale. Volume in-12, de plus de quatre cents pages, avec un beau tableau économique gravé dont les calculs promettent de la part des économistes beaucoup de profit aux propriétaires. Item le Bon Fermier, ou l'Ami des laboureurs, par l'auteur de la Bonne Fermière. Volume in-12 qui renferme des dialogues entre l'amateur et le fermier. Que le diable emporte tous ces bavards! Je fais plus de cas d'un vigoureux valet de fermier qui sait enfoncer le soc dans la charrue, et la conduire jusqu'au bout du champ, que de tous ces ennuyeux et ridicules laboureurs sur un tapis vert. Du moins, le valet du fermier sait tirer droit ses sillons, et il n'y a pas un seul sillon droit dans la tête d'aucun de ces tristes prédicateurs d'abondance, depuis le sublime Quesnay dit le Maître, ou l'Homme qui a paru, jusqu'au petit Baudeau dit le Prémontré. J'honore infiniment cet entrepreneur de vivres, ou meunier, ou boulanger de Corbeil, qui vient de trouver le secret de tirer d'une charge de blé quelconque un sixième de fine fleur de farine de plus qu'on n'avait coutume d'en tirer. Voilà l'homme utile, voilà le citoyen à récompenser. Il n'a cependant jamais assisté à aucun mardi de M. de Mirabeau, et il n'entend pas un seul mot au Tableau économique de François Quesnay. Cet homme s'appelle, je crois, Malicet. Je ne suis pas peu honteux de ne pas mieux savoir son nom et sa profession.

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Un des principaux soins des économistes ruraux, c'est d'asseoir l'impôt immédiatement sur le produit net, et de faire partager le souverain dans ce produit net en sa qualité de

copropriétaire. On leur demande si l'impôt ne pourrait pas être assis sur les consommations, et même sur les personnes par capitation? Non, disent-ils, nous avons appelé cet impôt indirect, et nous avons décidé que tout impôt indirect est meurtrier et destructeur de la richesse et de la reproduction. Et pourquoi cela? C'est qu'il tombe en dernière analyse et d'une manière toujours onéreuse sur les propriétaires des terres, et qu'il vaut mieux qu'ils le paient directement tout de suite, que d'une manière indirecte et plus chère. J'entends bien que ces messieurs affirment comme un principe incontestable que tout impôt n'est supporté que par les propriétaires, et que toutes les autres classes de citoyens ne payent jamais rien, quelque chargées qu'elles soient en apparence; mais jamais l'évidence de ce principe n'a pu entrer dans ma tête de façon à ne me laisser aucun doute; et je vois que je ne suis pas le seul esprit rétif qu'il y ait en France. La Société d'agriculture de Limoges, adoptant les principes des économistes ruraux, a proposé un prix à celui qui les développerait le mieux; et il s'est trouvé un homme qui, en les développant, les a combattus. La Société n'a pas couronné son ouvrage; mais elle l'a jugé utile, quoique l'auteur ait travaillé contre son vœu et ses principes. Cet ouvrage est intitulé Essai analytique sur la richesse et sur l'impôt, où l'on réfute la nouvelle doctrine économique qui a fourni à la Société royale d'agriculture de Limoges les principes d'un programme qu'elle a publié sur l'effet des impôts indirects. Volume grand in-8° de plus de quatre cents pages. On relève dans cet ouvrage plusieurs paralogismes de la Théorie de l'impôt, par M. le marquis de Mirabeau.

Nous avions trois écrivains remarquables à force d'être ridicules; mais ce nombre mystérieux n'existe plus. L'archidiacre Trublet se repose à l'ombre de ses lauriers dans le sein de sa patrie, à Saint-Malo. Il mérite d'être nommé comme la première personne de cette trinité, parce qu'il est très-supérieur aux deux autres dont je vais parler; mais son affectation d'être fin et important dans les minuties l'a rendu très-ridicule. Cet écrivain subtil et bêtement spirituel n'a jamais placé une virgule sans y attacher quelque finesse. Le portrait que le Pauvre Diable a fait de lui est une chose immortelle qui ne périra qu'avec toute la littérature française ensemble. Tout ce que

l'abbé Trublet trouvait à redire à ce portrait, c'est qu'il y était qualifié de diacre, tandis qu'il était archidiacre, et qu'en le qualifiant ainsi, le vers y était également. A quoi M. de Voltaire répondit: J'ai tort. Je lui demande pardon; je l'avais cru dans les moindres. On appelle les ordres moindres ceux qui sont au-dessous de la prêtrise. La seconde personne de la trinité, c'est M. d'Açarq, grammairien plein d'emphase. Ses écrits à force d'être ridicules sont très-amusants. Il prétend avoir fait une grammaire sous le titre de Balance philosophique. Il dit en commençant : Je vais vous montrer Minerve toute nue; peu de gens l'ont vue en cet état. Je crois, en effet, que depuis l'aventure du mont Ida, elle ne s'est déshabillée que pour M. d'Açarq. Tous ses ouvrages sont écrits dans ce goût-là. La troisième personne, enfin, était feu M. de La Garde qui vient de mourir âgé de près de soixante ans. On l'appelait La Garde Bicêtre, pour le distinguer du petit La Garde musicien. C'est un sobriquet que ses amis lui avaient donné, vraisemblablement parce qu'ils le jugeaient digne d'avoir un logement dans ce château royal. Je ne sais s'il était mauvais sujet, mais il était bête à manger du foin. Son premier métier avait été celui de suivant de Mile Le Maure, qui a si longtemps enchanté les oreilles françaises par son beau et lourd organe, et qui était aussi célèbre par sa bêtise que par sa voix. La Garde prétendait lui montrer ses rôles; et comme elle était fort capricieuse, quand on voulait l'avoir à souper pour la faire chanter il fallait avoir La Garde, qui savait les moyens de l'y déterminer. La Garde s'attacha ensuite à Mme de Pompadour, et fut consulté dans le temps qu'elle jouait l'opéra dans les petits appartements pour l'amusement du roi. Cette femme célèbre le fit peu après son bibliothécaire, et lui procura une pension de mille écus sur le Mercure de France. Il fut chargé en même temps de la partie des spectacles pour ce journal. C'est là où il a exercé sa plume de la manière la plus ridicule et la plus fastidieuse pendant plusieurs années de suite jusqu'à sa mort. Il a été créateur d'un style emphatique et d'un galimatias merveilleux pour l'association des mots qu'il savait réunir ensemble. Cela était détestable à lire seul, mais excellent à lire en société pour se divertir. Les gens sensés riaient aussi parfois, mais n'en trouvaient pas moins indécent qu'un journal qui se compose sous

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