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Ce redoutable écrivain vient de faire la clôture de ses travaux littéraires, pour cette année, par un sixième roman, intitulé Bathilde, ou l'Héroïsme de l'amour. Cela n'a pas l'ombre de naturel ni de sens commun. Nous sommes menacés pour l'année prochaine de six autres romans semblables. Dieu fasse miséricorde à M. d'Arnaud, et accorde patience et courage à ses lecteurs !

- M. l'abbé Roger Schabol vient de publier la Théorie et la pratique du jardinage et de l'agriculture, par principes et démontrées d'après la physique des végétaux. Le tout précédé d'un dictionnaire servant d'introduction à tout l'ouvrage. Avec figures dessinées et gravées d'après nature, in-8°. Il ne paraît encore de cet ouvrage que le dictionnaire, qui forme le premier volume. Je ne sais si l'auteur est cet abbé Roger, fameux à Paris pour la taille des arbres fruitiers; je le dispenserais volontiers d'avance de toute la théorie qu'il promet, et lui conseillerais de nous parler simplement de pratique. Cette pratique ne sera d'aucune utilité aux jardiniers et connaisseurs en jardinage; mais elle pourra amuser quelques ignorants comme moi qui voudront se faire jardiniers dans leur cabinet et cultiver un potager au coin de leur feu.

-Nouveaux Éclaircissements sur l'histoire de Marie, reine d'Angleterre, fille ainée de Henri VIII, adressés à M. David Hume, auteur de l'histoire des Plantagenets, des Tudors et des Stuarts1. Brochure in-12 de deux cents pages. Ces éclaircissements, qui ont paru l'année dernière, sont tirés des dépêches de M. de Noailles, ambassadeur de France auprès de Marie, qu'on a imprimées il y a quelques années avec une introduction de l'abbé de Vertot. Ils ont pour objet l'histoire du mariage de cette princesse, aussi méprisable que malheureuse, avec Philippe, prince d'Espagne, fils de l'empereur Charles-Quint. Ces éclaircissements nous apprennent, en effet, quelques détails sur cet événement qu'on ne connaissait pas, mais qui sont aussi parfaitement indifférents aujourd'hui. Ils ne changent en rien l'idée que l'histoire donne du caractère de Marie, et l'auteur a beau les tourner et retourner en tout sens, il n'en résulte pas moins que cette reine était une femme superstitieuse, cruelle et faible,

1. Par le P. Griffet.

qui a été l'instrument de ses malheurs et la victime de ses propres fautes.

M. Coster, de Nancy, a fait imprimer l'année passée un Éloge de Charles III, dit le Grand, duc de Lorraine. Il n'y a rien de recommandable dans M. Coster que ses intentions. Il se propose de faire successivement l'éloge historique des meilleurs princes de sa patrie; mais il n'a rien de ce qu'il faudrait pour exécuter ce projet. Charles, dit le Grand, dont il s'agit ici, était le contemporain de Henri le Grand, roi de France, que nous aimons mieux nommer Henri IV, et qui n'a pas besoin d'un surnom pour être cher à toute âme sensible. La Lorraine a eu plusieurs excellents princes. C'est un bonheur assez commun aux petits États; mais, en revanche, ils sont souvent exposés à être la victime de la querelle de deux voisins puissants qui détruisent en une campagne ce que la sagesse a été un siècle à établir et à cimenter. Tel a été longtemps le sort de la Lorraine. Un éloge bien fait de ses meilleurs souverains ne pourrait manquer de lecteurs.

- M. Dagues de Clairfontaine a publié un Éloge historique du célèbre Duquesne, lieutenant général des armées navales de France. Duquesne était digne d'un meilleur historien que M. Dagues de Clairfontaine, qui a dédié sa brochure à la ville de Dieppe, qui l'en a remercié par un arrêté de ses échevins.

15 novembre 1767.

M. Marmontel rapporte quelque part, dans sa Poétique française, un trait historique arrivé de nos jours. Un vieillard, habitant du Languedoc et protestant, est condamné aux galères pour avoir fait quelques actes de sa religion: peut-être même avait-il facilité l'évasion d'un ministre qui allait être pendu pour avoir prié Dieu avec les gens de sa croyance. Le fils de ce vieillard trouve le moyen de corrompre le conducteur de la chaîne, et obtient de lui la grâce d'être substitué au lieu et à la place de son père, âgé et infirme, qu'il délivre ainsi, en se livrant à l'infamie et à l'infortune. « Combien, s'écrie M. Marmontel, en parlant de ce fait, de traits plus courageux, plus honorables, plus touchants, que ceux que consacre l'histoire

VII.

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demeurent plongés dans l'oubli ; et quel trésor pour la poésie, si elle avait soin de les recueillir! »>

Un jeune homme, appelé Fenouillot de Falbaire, a cru devoir suivre le conseil de M. Marmontel, et consacrer le fait qu'il rapporte par une pièce en cinq actes et en vers, intitulée l'Honnête criminel. Le sujet n'ayant pas permis à l'auteur de présenter sa pièce aux Comédiens pour être jouée, il vient de la faire imprimer, ornée d'une estampe à la tête de chaque acte1.

Le fait historique n'est malheureusement que trop certain. Il est arrivé plus d'une fois en France que des enfants ont voulu prendre les chaînes dont on a chargé leurs pères pour cause de religion, et qu'ils ont été refusés. Il est constant que cela a réussi une fois, et que le fils s'est laissé conduire aux galères à la place du père. On assure qu'après avoir langui sept ans dans ce séjour du crime et de la misère, il en a été enfin retiré par la protection de M. le duc de Fitz-James. Il passe pour constant aussi que ce galérien respectable est encore existant à Nîmes. On dit qu'il s'appelle Fabre ou Favre, et que depuis sa sortie des galères il a eu des grâces du gouvernement: car un innocent n'a pas sitôt été victime de quelque loi barbare et sanguinaire qu'on cherche à expier la cruauté de la loi par des bienfaits toujours trop tardifs et souvent inutiles. Cependant ces horribles lois subsistent à la honte de la nation, et servent tous les jours de prétexte à un clergé ambitieux et fanatique, pour immoler une multitude de victimes clandestines; et telle est la rage de ces furieux en soutanes que plus ils voient approcher le moment où les droits sacrés de la tolérance seront reconnus et respectés de toute l'Europe, plus ils redoublent d'efforts pour en arracher, s'il était possible, les principes salutaires du cœur de leurs concitoyens. Mais ils ne réussissent point dans ce dessein pernicieux, auquel la pente générale des esprits est diamétralement opposée; et plus leur imprudence comprimera les digues, plus ils hâteront le soulèvement des flots du fleuve qui doit les engloutir, et qui aurait coulé encore longtemps paisiblement dans son lit, s'ils avaient moins cherché à le resserrer.

L'héroïsme d'un fils qui brave l'ignominie et la misère pour

1. Par Gravelot.

en garantir un père innocent et vertueux, est-ce un trésor pour la poésie, comme le dit et pense M. Marmontel? Est-ce là un sujet à traiter sur nos théâtres? Je ne le crois point. Malheur à la nation où un fils peut faire de tels actes d'héroïsme et de piété, et qui ne sait pas mettre les vertus héroïques de ses citoyens à d'autres épreuves plus nobles et plus glorieuses pour la patrie! Ah! que m'apprendra l'exemple de ce fils généreux, qui se voit dans l'alternative, ou de se dévouer à l'opprobre, ou d'y voir succomber son père, et qui ne balance pas? Il m'apprend qu'un jésuite à jamais exécrable a pu persuader à un roi présomptueux et nourri dans la superstition qu'il avait le droit d'asservir la pensée, de devenir le tyran le plus cruel d'une partie de ses sujets, de les traiter comme il n'aurait osé traiter ses ennemis, et d'infliger à son royaume une plaie que toute la sagesse de ses successeurs tenterait en vain de guérir. A moins donc que de tels sujets traités par les poëtes, représentés sur les théâtres, ne servent à faire détester à une nation des lois horribles qui subsistent encore et sont en vigueur au milieu d'elle, et qui lui serviront de monument de honte auprès de la postérité, à moins qu'ils ne hâtent le renversement de ces lois abominables, je ne vois pas à quoi pourraient servir de tels spectacles. Ils flétriraient les âmes au lieu de les élever. Aucun cœur honnête ne pourrait se défendre ni d'un sentiment pénible de découragement, en voyant l'innocence exposée à être confondue avec le crime, ni d'un sentiment affreux de haine pour le gouvernement de son pays, à qui il verrait créer des crimes imaginaires afin d'avoir à punir des coupables. Encore si le rare exemple de la piété de ce fils eût fait une telle impression sur les peuples qu'il en fût résulté une révolution. soudaine, et qu'une province entière eût massacré ou chassé tous ses prêtres, afin d'être défaite une bonne fois des auteurs et des fauteurs de pareilles lois, je sens que le sujet commencerait à devenir digne de la poésie. Mais quand tout l'effet de l'héroïsme de ce fils se réduit à lui rendre les droits d'un citoyen obscur avec quelque récompense pécuniaire, il faut pleurer sur le sort de ce héros, et, par pitié pour les hommes, il faut travailler à leur dérober la connaissance de ce fait déplorable.

Je crois donc que M. Fenouillot a très-mal fait de choisir ce héros pour celui de sa pièce. Il avait envoyé son drame à

M. Garrick, espérant qu'il pourrait être traduit et représenté à Londres1; mais cet illustre acteur a très-sagement répondu qu'il n'y avait point de forçats en Angleterre, qu'on n'y condamnait point aux galères des citoyens honnêtes pour être attachés à une religion qu'ils regardent comme vraie et bonne, qu'aucun enfant d'Angleterre ne pourra jamais se vanter de se dévouer à l'ignominie pour un père innocent et vertueux, et que, par conséquent, le sujet de cette pièce paraîtrait en Angleterre aussi peu intéressant qu'incroyable.

Si la politesse avait permis à M. Garrick de parler à M. Fenouillot avec une entière franchise, il aurait pu ajouter qu'au tort d'avoir mal choisi son sujet, il a associé le tort d'ignorer parfaitement ses forces et quid ferre recusent, quid valeant humeri.

M. Fenouillot non-seulement n'a point de chaleur, ni de sentiment, ni de pathétique, mais il n'a pas l'ombre de talent, ni pour la poésie en général, ni pour le théâtre en particulier. Jamais auteur n'a fait preuve plus complète d'incapacité. Un style faible, incorrect, trivial et plat, ne lui a pas permis de rencontrer un seul vers passable dans tout le cours de sa composition, et il y en a un grand nombre d'incroyables. Nulle vie, nulle sève, nulle apparence de couleur. L'inanition et la platitude règnent dans toute l'étendue de cette pièce misérable. Elle ressemble, pour l'ordonnance, à une de ces froides et maussades comédies de Pierre Corneille, dont la scène est sur la place Royale, excepté que M. Fenouillot ne fera jamais le Cid ni Polyeucte après sa mauvaise pièce.

Il est vrai que, même dramatiquement parlant, l'action de ce fils vertueux ne peut fournir un sujet pour le théâtre : car où en seraient les situations et les incidents? Mais un homme de génie en aurait du moins montré dans l'arrangement de sa fable, et ne serait jamais tombé dans la pauvreté imbécile de M. Fenouillot. Chez lui, le tiers de la pièce se passe à arranger le mariage de M. le commandant des galères, qui ne tient pas plus à ce sujet qu'à aucun autre, et qui donne lieu à l'auteur de débiter mille platitudes sur le préjugé de la naissance. Pendant

1. La lettre de Fenouillot, et la chaleureuse apostille dont Diderot l'avait fait suivre, figurent t. XIX, p. 488 de l'édition Garnier frères.

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