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l'autre tiers il s'agit d'une certaine Cécile, veuve d'un riche négociant qu'elle avait épousé malgré elle, et qui veut convoler en secondes noces avec un certain M. d'Olban, homme brusque, misanthrope et cynique, qu'elle n'aime pas plus que le défunt. Ce d'Olban, pour le dire en passant, serait le seul caractère tolérable, s'il n'était calqué sur celui du Misanthrope de Molière et de Freeport dans l'Écossaise. Reste un tiers de l'espace pour le galérien, et à quoi croyez-vous que ce héros de la pièce emploie le peu de temps que M. Fenouillot lui accorde? A faire l'amour. Car il faut savoir que cette Cécile n'a jamais pu aimer ses maris, parce que dans sa jeunesse elle a aimé ce vertueux André, qui s'est mis aux galères à la place de son père, et dont elle ignore le sort. Cela produit une touchante reconnaissance, comme vous pouvez penser, entre l'amant et la maîtresse. Il doit être permis à une amante d'être un peu étonnée de retrouver son cher amant aux galères. Or, je vous donne à deviner ce qu'il se reproche. C'est d'avoir baisé dans un excès de passion la main de sa maîtresse. Il ne veut jamais lui dire par quel hasard il se trouve aux galères. Il met tout son héroïsme à lui cacher qu'il tient la place de son père, quoique ce vieillard ait servi aussi de père à Cécile, et qu'il soit impossible que son secret, confié à la tendresse de cette rare personne, l'expose au moindre risque. Cette Cécile, au reste, quoique élevée dans la maison d'un protestant, est bonne catholique; mais elle pousse l'équité jusqu'à assurer sa commère que tous les protestants ne sont pas des gens de sac et de corde, et qu'elle a même remarqué des vertus parmi eux... O malheureux Fenouillot! tes poumons se flétrissent à la fleur de ton âge, et je t'en plains; mais ne crains-tu pas que moissonné avant le temps, victime de quelque divinité courroucée, tu n'expies le sacrilége d'avoir touché à un sujet pathétique, en ignorant entièrement les sources de la terreur et de la pitié? Puisque tu voulais que ton galérien connût l'amour, ne fallait-il pas du moins substituer à ta veuve insipide et maussade une jeune fille simple, ingénue, vertueuse comme son amant? Avec une lueur de génie, n'aurais-tu pas fait de cette petite fille une protestante zélée jusqu'au fanatisme? Ivre d'amour et de ce fanatisme, d'une âme douce et tendre, à qui sa faiblesse même sert de sauvegarde, elle serait venue se jeter aux pieds du commandant des galères, elle lui aurait conté toute

l'histoire de son amant, elle aurait rempli toute la ville de ses cris. Près de son amant, saisie du plus sublime enthousiasme, elle aurait vu en lui un héros au-dessus de l'humanité, un saint soutenu par l'assistance immédiate de son Dieu. C'est par cette exaltation de ses idées qu'elle aurait réussi à ennoblir à mes yeux les chaînes de l'ignominie, et à les transformer en marques d'honneur et de gloire. Quoi! tout ce que tu fais dire à la louange de ton galérien, c'est que le commandant convient que depuis dix-huit mois qu'il est aux galères il n'a reçu aucune plainte contre lui, qu'il s'est même distingué de ses camarades par sa bonne conduite? Quoi! cet homme est le martyr de sa religion, il supporte pour elle un supplice plus cruel que la mort, et il n'est pas plus attaché à sa religion que toi; il n'en parle jamais, il ne s'applaudit pas de souffrir pour sa cause, il n'en tire pas ses consolations lorsque son courage est près de l'abandonner? Son père, qui survient au cinquième acte pour se mettre aux galères à sa place, n'est pas plus attaché à son culte que son fils? Il dit qu'on n'est pas criminel pour se tromper, que si les protestants sont dans l'erreur, on ne peut les blâmer de rester attachés à la foi de leurs pères et d'espérer en la bonté de Dieu? Est-ce là le langage d'un homme qui se résout à tout souffrir pour sa religion? Et ton imbécile commandant appelle cela parler avec feu pour son parti, et en conclut que cet homme est un martyr, un apôtre de sa secte; et de la plus juste réparation, si elle est possible envers ceux qu'on a réduits à la nécessité de braver la honte, tu en fais une affaire de clémence que ton ridicule commandant espère à peu près obtenir de la bonté du roi! Crois-tu avoir élevé par ton ouvrage un trophée à la tolérance? Va, je suis juste, je n'accuse pas ton cœur, mais ton imbécillité t'a exposé au malheur de blesser les droits les plus sacrés des citoyens, en voulant les assurer contre la méchanceté des hommes. O malheureux Fenouillot, s'il est vrai qu'Appollon fut le dieu de la poésie et de la médecine, ton drame et tes poumons ne prouvent que trop que ce dieu t'a pour toujours rejeté.

Malgré les marques évidentes de réprobation éternelle que ce drame porte à mes yeux, il n'a pas laissé de faire quelque sensation dans le public. C'est que l'auteur a eu le bonheur ou l'habileté de choisir un sujet qui est du moment, et qui jouit

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de la faveur secrète ou publique, plus ou moins forte, de tout ce qui s'appelle honnêtes gens. Les plus zélés d'entre les catholiques, à moins qu'ils ne soient prêtres, car comment la pitié et la justice entreraient-elles dans l'âme d'un prêtre? — les meilleurs catholiques, dis-je, désapprouvent et détestent dans leur cœur les injustices et les cruautés qu'on exerce envers les protestants. Le vœu général, du moins dans la capitale du royaume, est pour la tolérance; la fermentation sourde qu'on remarque dans toutes les têtes annonce que ce vœu est près de s'échapper et de briser les barrières que d'antiques préjugés lui opposent

encore.

Depuis que j'ai écrit ceci, j'ai appris quelques particularités touchant M. Fabre, qui a servi de héros à M. Fenouillot. Il a été condamné en 1756, sous le commandement de M. le duc de Mirepoix. Les assemblées du désert étant devenues très-fréquentes, on jugea à propos de faire un exemple. On détacha des dragons pour enlever quelques protestants sur les grands chemins au retour de leurs exercices de piété. On prit le père de ce M. Fabre et un autre protestant. Son fils avait eu le bonheur de se sauver à temps et de se dérober à la poursuite des dragons; mais voyant son père atteint et pris, il sortit de son asile, se jeta aux pieds du sergent qui commandait le détachement et obtint de lui, à force de prières et d'argent, de laisser aller son père et de l'accepter à sa place. Ces faits furent exposés six ans après, en 1761, à M. le duc de Fitz-James, successeur de M. de Mirepoix. On intéressa la compassion de Mne la duchesse de Fitz-James, qui se mit à solliciter de toutes ses forces. Je tiens de la bouche de M. le duc de Fitz-James qu'au bout de six mois de sollicitations on vint dire à Mine de Fitz-James que M. Fabre était sorti des galères, et qu'il se trouvait à Nimes; qu'elle crut alors devoir remercier M. le comte de Saint-Florentin d'avoir accordé cette grâce; mais que ce ministre lui répondit qu'il ne savait ce qu'elle voulait dire, qu'il n'avait accordé ni compté accorder cette grâce, et qu'il ferait enlever et remettre cet homme aux galères; que cette lettre obligea Mme de Fitz-James de faire avertir le héros de la piété filiale de se tenir caché afin d'éviter un nouveau malheur, et qu'après de longues et vives sollicitations elle eut enfin la satisfaction d'obtenir la grâce de cet infortuné, et même celle de son compagnon qui

avait été arrêté en même temps que son père. Le premier ordre d'élargissement était parti des bureaux de M. le duc de Choiseul, dont la bienfaisance soit à jamais bénie! Ce M. Fabre est actuellement commerçant à Nîmes, et suit la profession de son père. On ignore si ce dernier vit encore ; mais le fils est resté civilement mort, comme ayant été condamné par la loi; et c'est là tout ce que lui a valu un acte de piété et d'héroïsme si généreux et si rare.

- On croyait le poëme de la Guerre de Genève abandonné, mais MM. de Chabanon et de La Harpe, qui sont de retour de Ferney depuis quelques jours, viennent de nous en apporter le second chant. Les Genevois, qui prétendent qu'ils ont accueilli et servi de leur mieux l'auteur de la Henriade, dans un temps qui n'était pas le plus heureux de sa vie, trouvent que l'auteur de la Guerre de Genève ne s'acquitte pas des mieux des obligations que peut avoir contractées avec eux l'auteur de la Henriade. Ils ont raison sans doute; mais est-il dans la puissance d'un poëte de réprimer sa verve, de ne pas écrire un bon vers quand il est trouvé, de le jeter au feu quand il est écrit? Genus irritabile vatum est vrai dans toute l'étendue du terme.

-L'ouvrier de Saint-Claude en Franche-Comté, qui a fait avec beaucoup de succès différents bustes et figures de M. de Voltaire en ivoire et en albâtre, a fait cet été un buste en ivoire de cet homme illustre pour M. le prince de Galitzin, ministre plénipotentiaire de Russie à la cour de France. Ce ministre a confié son buste aux artistes qui dirigent la manufacture royale de porcelaines de Sèvres, et ceux-ci l'ont fait exécuter à la manufacture en biscuit. On vend ce morceau soixante livres. Cela vient à propos pour les étrennes. La ressemblance est parfaite. Je préfère cependant le buste qui a servi de modèle au plâtre de M. Simon, il y a environ un an. Le buste qui appartient à M. le prince de Galitzin a, ce me semble, le col court. I a aussi l'air un peu paysan et grotesque, au lieu que le premier buste imite très-bien le sourire malin du vénérable patriarche, mais sans nuire à la noblesse. On a voulu tirer un plâtre d'après une figure en ivoire tout entière et en pied du même sculpteur. Celle-ci est frappante, parce que toute l'attitude et l'habitude. du corps y sont parfaitement imitées; mais l'ensemble ne me paraît pas de bon goût. Ce dernier plâtre se vend trois louis.

-

Nous venons de recevoir de la manufacture de Ferney une brochure intitulée Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de *** sur Rabelais et sur d'autres auteurs accusés d'avoir mal parlé de la religion chrétienne. Écrit de cent quarante pages in-8°. Je crois que Mer le prince de *** est un prince en l'air. Quant au patriarche, il fait dans cette brochure le bon chrétien. Il déplore amèrement les progrès du théisme, qui gagne insensiblement, ou plutôt très-sensiblement toute l'Europe; mais comme il se pique de justice, il convient en même temps que le théisme, qui perd aujourd'hui tant d'âmes, ne peut jamais nuire à la paix des États, ni à la douceur de la société; qu'il damne sûrement son homme, mais qu'en attendant il le rend paisible; que s'il est détestable pour l'autre vie, il est excellent pour celle-ci. Il convient aussi que si Jacques Clément, Ravaillac et Damiens avaient été des théistes, il y aurait eu moins de princes assassinés; mais il est très-éloigné de préférer le théisme à la sainte religion des Damiens et des Malagrida. Il croit seulement qu'il est plus agréable de vivre avec des théistes qu'avec des Ravaillacs et des Brinvilliers, qui vont à confesse... Signor patriarca mio, voi siete un gran pantalone..... Au reste, le seigneur patriarche tient toujours à son rémunérateur; mais quand le rémunérateur ne donnera plus ni grosses abbayes, ni riches évêchés, je crains que ses actions ne baissent considérablement, et qu'il ne soit à la longue luimême réformé à la suite de ses rémunérés. La lettre sur les juifs m'a paru assez curieuse; mais dans les autres on ne trouve guère que des redites, et, en général, ces lettres sont écrites. avec une hâte extrême et beaucoup de négligence. Elles forment une brochure qui vaut bien à la rigueur vingt-quatre sols, mais que nous avons eu l'avantage de payer neuf, douze, et même quinze francs.

- Une société de gens de lettres a publié cet été les Vies des hommes et des femmes illustres d'Italie depuis le rétablis-sement des sciences et des beaux-arts. Deux volumes in-12, qui seront sans doute suivis de plusieurs autres. On trouve dans le premier les vies de Pétrarque, de Laure, de Gravina, de Muratori, de Borgia, de Giannotti Monetti, de Philippe Strozzi, d'Arétinet d'Élie de Cortone; dans le second, les vies de Galilée, de Tassoni, de Gauthier, de François Huppazzoli, d'Hélène-Lucrèce

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