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doute sa méridienne. Zélie revient nous faire part de ce fâcheux contre-temps. Elle est réduite à s'opposer de son chef au départ de Melcour, ou à le voir partir avant qu'elle ait pu prévenir son père. Au milieu du combat que sa passion livre à sa fierté, Melcour s'offre à sa vue; mais ce n'est plus ce petit-maître étourdi et impertinent, c'est l'amant le plus passionné et le plus respectueux, qui va s'éloigner dans le moment et pour jamais, puisqu'il n'a pu toucher son cœur. Zélie n'a pas le temps de balancer, car le valet de chambre de Melcour paraît en courrier, fait claquer son fouet, et dit que le postillon s'impatiente. Oh! ma foi, Zélie ne soutient pas ce coup de fouet; c'est pour elle un coup de foudre. Sa fierté s'éteint; elle avoue à Melcour sa passion. On fait ôter les chevaux. M. le baron se montre au comble de la joie du succès de ce beau stratagème. Lucile et Fernand surviennent. Rien ne s'oppose plus à leur bonheur, puisque Zélie va être mariée. M. le baron, en bon père, arrange le double mariage des deux sœurs avec les deux amis de province, au milieu des huées du parterre qui reconduisent M. le baron et sa triste famille jusque dans l'arrière-cabinet du château situé sur la route de la province à Paris, pour, s'il le juge à propos, aller faire noce et festin sur le boulevard, chez M. Nicolet.

Le vice radical des Deux Sœurs, c'est une platitude des plus exquises. Or, il n'y a point d'assemblée en Europe, je crois, qui ait sur ce point le tact le plus juste, plus fin, plus prompt que notre parterre; et comme les platitudes se succédaient, se poussaient, se heurtaient avec une extrême rapidité, les huées et les éclats de rire se succédaient et redoublaient de même. A un peu d'ennui près, cette chute a été des plus amusantes.

L'auteur ne s'est point fait connaître, et après l'accueil qu'il a reçu, il ne tentera pas de déchirer le voile de l'incognito. On a soupçonné un moment M. de Carmontelle. On a dit que la comédie des Deux Sœurs était le proverbe : Il ne faut pas bouder contre son ventre, ou bien le proverbe : Faites-vous agneau, le loup vous mange, mis au théâtre. Or, l'ami Carmontelle est grand faiseur et joueur de proverbes ; et une femme qui a beaucoup de finesse dans l'esprit m'avait prouvé clair comme le jour, sur quelques détails que je lui rapportais de la pièce les Deux Sœurs, qu'elle ressemblait parfaitement aux pièces de M. de Carmontelle. Elle n'est pourtant pas de lui, et cela

prouve que les raisonnements les plus lumineux ne conduisent pas toujours à la vérité. Il est vrai que l'ami Carmontelle fournit des pièces comme un pâtissier les petits pâtés. Il faut qu'il en ait plus de cinquante dans son portefeuille. Il les fait jouer à droite et à gauche dans les sociétés, il est lui-même acteur, mais il est trop sage pour les risquer au théâtre, et il a raison. La mode de jouer des proverbes s'est fort répandue dans certaines sociétés. On choisit un proverbe. On arrange, sur le sens moral de ce proverbe, une petite action théâtrale qu'on représente sur-le-champ et impromptu. C'est au spectateur à deviner le proverbe après la pièce. Il faut se servir de cet amusement avec sobriété. Le défaut commun des acteurs de proverbes, c'est de laisser languir la scène, de ne pas battre assez chaud, comme on dit, et de ne savoir pas finir. Je ne me rappelle qu'un de ces proverbes qui m'ait amusé. On voit une dévote qui revient de l'office avec son livre d'heures à la main. Elle n'a pas fini ses prières, ainsi elle se met dans un fauteuil à continuer avec beaucoup de ferveur. Son mari, qui n'est pas dévot, rentre un moment après. Il a quelque envie de remplir le devoir conjugal. Sa femme fait la sourde et continue ses prières. Il devient entreprenant; elle le conjure de lui laisser le temps d'achever son office. Le mari y consent avec beaucoup d'humeur, et firit par s'endormir à côté de sa femme. Quand il ronfle bien, elle se trouve à la fin de ses prières qu'elle disait tout bas, et elle se met à dire un peu plus haut: per omnia secula seculorum, amen. Comme elle ne réveille pas le dormeur, elle le répète plusieurs fois, et toujours plus haut, mais sans succès. Enfin, elle prend le parti de lui crier de toutes ses forces ces mots à l'oreille. Alors le mari revient de sa léthargie, se frotte les yeux, regarde sa femme et lui dit en bâillant : Ah! c'est vous, madame? Bonsoir, et passe dans son cabinet pour se coucher. La moralité de cette scène est le proverbe : Qui refuse, muse. J'ai vu jouer ce proverbe très-plaisamment, et quand il est bien joué, j'en fais plus de cas que des Deux Sœurs.

Ces Deux sœurs sont restées en dernière instance à M. Bret, qui a été obligé de s'entendre dire par les journalistes qu'il en est père; ce qui a déchargé M. de Carmontelle de l'office de père putatif. Je plains ce pauvre M. Bret. C'est bien assez d'avoir été rayé cette année de la liste des censeurs royaux

pour avoir approuvé Bélisaire; il est bien dur de tomber aussi lourdement au milieu d'une assemblée nationale.

Je ne conçois pas les Comédiens. Ils se plaignent tout le long de l'année de la solitude de leur théâtre, et font tout ce qu'ils peuvent pour en éloigner et dégoûter le public. Ils jouent les Deux Sœurs, et s'y font siffler outrageusement, et ils ont depuis près de deux ans une petite pièce charmante de M. Sedaine, intitulée la Gageure, qu'ils n'ont pu encore trouver le moment de mettre sur la scène. Ils retardent ainsi le seul homme qui ait montré du génie et du talent pour la carrière dramatique en ces derniers temps, lorsque dans leur propre intérêt ils ne devraient rien négliger pour l'encourager et l'exciter au travail. Que le diable les emporte, eux et leurs supérieurs! Puisqu'ils ont fait de leur tripot un antre d'intrigues et de tracasseries, ils réussiront à ruiner le véritable théâtre de la nation de fond en comble.

Mile Dugazon a débuté sur ce théâtre dans les rôles de soubrette. Cette actrice peut dire Nigra sum, sed non formosa, je suis noire sans être jolie. Elle a cependant de la grâce dans sa taille et dans toute sa figure, les yeux noirs et vifs, mais le nez un peu long et plat, et la bouche honnêtement grande. Cette débutante a réussi. Elle a de la vivacité, de l'esprit et beaucoup d'aisance dans son jeu; et elle est plus formée que ne le sont ordinairement les actrices qui débutent. Je l'aimerais cent fois mieux que cette lourde, grosse et impudique Bellecour, qui a tramé avec son faquin de mari de me bannir de la Comédie-Française à perpétuité. Cependant je voudrais qu'au talent d'acteur et d'actrice on joignît les agréments de la figure, et qu'il fût défendu aux personnes laides de monter sur le théâtre. Quant à l'emploi de soubrette, il y faut plus d'esprit que de naturel. Nos soubrettes de théâtre sont des personnages factices qui n'ont point de modèle dans nos mœurs. Elles font très-bien de se montrer en habit de cour, sur des paniers immenses, avec un petit tablier de gaze artistement découpé; elles en sont plus fausses et plus ridicules. On dit que Mile Dugazon vient de Stuttgard, qu'elle n'a débuté ici que pour augmenter sa réputation par ses succès sur le théâtre de Paris, et qu'après avoir recueilli nos applaudissements elle compte s'en retourner en Allemagne.

VII.

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Nous avons eu sur ce théâtre encore deux autres débutantes. L'une aussi dans les rôles de soubrette. Celle-là est une élève de la troupe particulière de Mme la duchesse de Villeroy, talent de la plus belle médiocrité, bon pour la province. Une autre actrice a débuté dans ce qu'on appelle rôles de caractère. Cette dernière est détestable, et aurait dû faire ses essais sur le théâtre de Nicolet.

En revanche, le Théâtre-Français a fait une perte par la retraite de Me Durancy, qui est retournée à l'Opéra. Ma foi, c'est bien fait. Il est permis de s'essayer dans un genre; il est courageux de dire: Je me suis trompé, et de retourner à son premier métier. Cette pauvre M. Durancy chantait à l'Opéra tant bien que mal; elle y passait pour assez bonne actrice, parce que dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Tout d'un coup M. d'Argental et M. le marquis de Thibouville lui mettent dans la tête qu'elle est la plus grande actrice tragique, et qu'il ne tient qu'à elle de nous faire oublier Mlle Clairon. Sans compter un organe dur, ingrat, inflexible, elle n'avait pas figure humaine sur ce théâtre, quoique sur l'autre on se fût fait à son air de marmotte savoyarde. Enfin elle a été plus sage que ses protecteurs; elle s'est rendu justice, et a demandé de rentrer à l'Opéra. Mais le public ne se pique pas de justice comme moi. N'ayant pas réussi à la Comédie-Française, elle a été très-mal reçue à son retour à l'Opéra, où on l'avait applaudie auparavant. Cependant elle ne chante pas plus mal qu'autrefois au contraire. C'est qu'il suffit dans ce beau monde de souffrir un échec, de découvrir un côté faible, pour qu'on soit tenté de vous tout refuser et de vous faire essuyer mille dégoûts. L'opinion fait tout et sera tout, jusqu'à ce que l'évidence des laboureurs économistes ruraux aura pris le dessus dans ce monde.

Quelques jours avant les Deux Sœurs de la ComédieFrançaise, on a donné sur le théâtre de la Comédie-Italienne les Femmes et le Secret, opéra-comique nouveau dont les paroles sont de M. Quétant, et la musique de M. Vachon, premier violon de M. le prince de Conti. Prenez M. Quétant et M. Vachon, pilez-les ensemble dans un mortier, et vous n'en tirerez pas un grain de génie. Le premier a pourtant fait l'opéra-comique du Maréchal, qui n'est pas sans mérites, et le

second... ne sait pas faire un air. Il ne lui vient rien et il tourne court. Un compositeur de cette force qui aurait l'insolence de se montrer sur un théâtre d'Italie ou d'Allemagne serait chassé à coups de sifflets avant la reprise de son premier air. M. Quétant a tiré le sujet de sa pièce de la fable de La Fontaine qui porte le même titre. Son mari, dont il a fait un braconnier, ne confie pas à sa femme, comme dans la fable, qu'il a pondu un œuf, mais une chose bien plus grave : dans un accès de colère, il a eu le malheur de tuer Colin, braconnier comme lui, et son meilleur ami. Au reste, comme la querelle s'est passée sans témoins, sa femme sent parfaitement que la vie de son mari dépend d'un secret inviolable. Aussi ne le confie-t-elle sous le secret qu'à sa voisine, commère par excellence. Celle-ci ne le confie qu'à la maîtresse de Colin, qui devait l'épouser le lendemain. Celle-ci ne le confie dans sa douleur qu'à M. le bailli, qui ne le confie qu'à tout le village. Il en veut depuis longtemps aux deux braconniers, et il arrive à la fin de la pièce avec ses satellites pour faire pendre le meurtrier de Colin. Cependant Colin s'est tenu caché dans la maison de son meurtrier, pour jouir de l'indiscrétion de toutes ces femelles, et voir quelle impression la nouvelle de sa mort ferait sur le cœur de sa prétendue. Lorsqu'il entend celle-ci se lamenter de bonne foi, il s'avise de la consoler en faisant l'écho par le trou d'une lucarne. Il se montre enfin tout de bon, pour la désabuser, de sorte qu'à l'arrivée du bailli et de ses sbires, le prétendu mort est parfaitement ressuscité, et qu'au lieu du procèsverbal d'un meurtre, il ne s'agit plus que de la noce d'un tué. On ne peut rien voir de plus plat et de plus bête que M. Quétant et ses femmes avec leur secret. Nous sommes bien lotis! Cette pièce a été sifflée à la première représentation. Elle s'est cependant relevée, et elle a été jouée depuis sa chute exactement. Si l'auteur en a ôté tout ce qu'il y avait de mauvais, il n'y est sûrement rien resté; mais j'aime mieux la croire excellente que de l'aller voir jouer une seconde fois.

Il paraît aujourd'hui problématique que l'épigramme contre M. Dorat soit une émanation immédiate de la plume du grand patriarche; on l'impute au contraire à M. de La Harpe, qui l'a apportée de Ferney. Si je m'en rapporte à ma conviction intérieure, je continuerai à la croire de M. de Voltaire comme

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