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fait envisager comme une action sage et heureuse. Pas un qui ait osé élever sa voix pour déplorer avec force la barbarie d'une nation ou un roi ne peut se défaire d'un mauvais citoyen et d'un sujet rebelle qu'en le faisant lâchement assassiner au milieu de la rue, et où l'auteur de ce meurtre est regardé comme un héros et non comme un bourreau. Si MM. les Quarante ne savent pas proposer d'autres sujets à notre vénération, j'opine pour qu'ils partagent le gâteau de la Sorbonne par moitié.

- On a traduit de l'anglais de M. Walsh un Discours sur les femmes, adressé à Eugénie, suivi d'un dialogue philosophique et moral sur le bonheur. J'aime mieux ce dernier morceau, qui tend à prouver que l'état et la profession sont indifférents au bonheur, que le premier. Dans celui-ci, l'auteur, à qui Eugénie avait imposé la loi de lui dire son sentiment sur les femmes en général, prend le parti de lui rendre compte d'une conversation entre Misogyne et Philogyne, dont il a été témoin. Ces noms, qui sont de mauvais goût, mais conformes à la manière anglaise, signifient, l'un, l'ennemi des femmes, l'autre, l'ami des femmes. En conséquence, le premier fait la satire, et le second l'éloge du beau sexe. Cela n'est pas fait sans quelque agrément; mais, au fond, c'est un amas de lieux communs qui ne font rien penser. Il y a loin des agréments et de la légèreté de M. Walsh à la grâce, à la finesse, aux agréments de M. de Voltaire. Le nom de Walsh n'est pas inconnu dans la littérature anglaise. Son traducteur, qui ne s'est pas nommé, a donné un petit précis de sa vie dans la préface. Il y a déjà quelques années qu'on a traduit de cet auteur une autre production, intitulée l'Hôpital des fous.

15 décembre 1767.

Depuis que le gouvernement a nommé une commission composée de cinq archevêques, si je ne me trompe, et de quelques conseillers d'État, ayant pour procureur général Mgr l'archevêque de Toulouse, et pour but la réformation des abus qui se sont glissés dans les ordres monastiques, nous n'avons pas manqué de brochures à ce sujet. Jusqu'à présent il n'a été question que de l'extinction des maisons et couvents où il n'y a

que trois ou quatre moines. En les réunissant à des couvents plus nombreux, on espère prévenir une foule d'abus. On dit aussi que l'âge où il sera permis de prononcer ses vœux sera désormais fixé, pour les femmes à dix-huit ans, et pour les hommes à vingt et un. N'admirez-vous pas cet effort de sagesse, supposé encore qu'il ait lieu, tandis que dans la moitié de l'Europe on a résolu, depuis deux cents ans, le problème de la nécessité des moines de manière qu'il n'en reste plus aucune trace? Cependant nos hommes profonds disent que, si ce règlement a lieu, ce sera un grand pas de fait. Un grand pas de tortue, sans doute? Je prévois que les pas de Pologne, grâce aux tambours de Russie, auront le pas sur les pas de France. En attendant, l'objet de la réforme monastique autorisera une demi-douzaine de prélats à rouler sur le pavé de Paris, et à ne pas résider dans leur diocèse; et cela fait toujours plaisir. Ceux qui ont le courage de lire les discussions ennuyeuses que cette commission a occasionnées, doivent commencer par le Cas de conscience sur la commission établie pour réformer les corps réguliers. Écrit de soixante-douze pages in-12, qui est resté fort rare, et dans lequel on conteste à nos seigneurs les archevêques commis leur compétence, et l'on prouve que les religieux ne sont pas obligés de leur obéir en ce qu'ils pourront ordonner à leur égard, le pape seul en ayant une autorité suffisante. M. l'archevêque de Toulouse a fait combattre ces principes dans une lettre de cent quarante-huit pages, A l'Auteur du Cas de conscience. Il a paru aussi des Lettres d'un religieux à son supérieur général sur la réforme des communautés religieuses. L'Examen philosophique de la règle de saint Benoît est resté rare, et je ne l'ai pas vu. Nous mettons aujourd'hui du philosophique à tout, et cela suffit pour donner de la vogue et pour exercer la vigilance de la police. Je ne dis pas qu'en examinant saint Benoît et son siècle philosophiquement on ne puisse faire un ouvrage très-philosophique.

Je ne sais quel est le cuistre à qui nous devons le Dictionnaire antiphilosophique pour servir de commentaire et de correctif au Dictionnaire philosophique et autres livres qui ont paru de nos jours contre le christianisme 1. C'est un gros vo

1. Par Chaudon. Plusieurs fois réimprimé.

lume grand in-8° de quatre cent cinquante pages. Cela vient d'Avignon, et paraît avec approbation et privilége. Il faut être bien bête pour faire parade de son goût antiphilosophique, c'est-à-dire de son aversion pour tout ce qui est raisonnable et sage. MM. de Voltaire, Diderot, Helvétius, ont chacun un article à part. Cela serait fort égal si les cuistres antiphilosophiques ne faisaient pas le métier de délateurs, ou si ce métier était toujours récompensé à proportion de l'estime dont il jouit. Au reste, le même jour qu'on a vendu ici le lourd Dictionnaire antiphilosophique, on a eu avis d'une nouvelle édition du Dictionnaire philosophique augmenté d'un grand nombre d'articles

nouveaux.

Indépendamment de la Théologie portative, dont j'ai eu l'honneur de vous rendre compte, il est sorti depuis quelque temps une foule incroyable de livres hardis de la boutique de Marc-Michel Rey, libraire à Amsterdam. On trouve dans ces livres beaucoup de choses rebattues, beaucoup de déclamation, même de la bile, rien de nouveau, point de raisonnements lumineux, peu de bonnes plaisanteries, peu d'éloquence. Si les auteurs de ces productions étaient connus, ils seraient sans doute exposés à une grande persécution, et n'en seraient pas dédommagés par la considération qu'on accorde à un grand talent, et par l'intérêt qu'on prend au grand talent persécuté. Il faut rapporter ici le titre de la plupart de ces livres.

Le principal est le Tableau philosophique du genre humain depuis l'origine de la morale jusqu'à Constantin. Traduit de l'anglais, où cela n'a jamais existé 1. Trois petites parties. On a voulu attribuer cet ouvrage à M. de Voltaire. Celui qui en a lu dix lignes, et à qui il n'est pas prouvé qu'il est impossible que cela soit de M. de Voltaire, ne doit jamais se permettre de juger la manière, le style, la dégaine d'aucun auteur quelconque. Celui du Tableau philosophique est plein d'humeur et de chagrin. Il a voulu faire le revers du Discours sur l'histoire universelle par Bossuet. Il a voulu montrer le genre humain du vilain côté. Un bon esprit ne le montre ni du bon ni du vilain côté ; il le montre comme il est. Si je croyais aux mauvais livres, c'est-à-dire à

1. Par Borde, selon l'affirmation formelle de Naigeon. (BARBIER, Dictionnaire des anonymes.)

ceux qui font du mal, je dirais qu'en voilà un. L'effet d'une belle lecture serait de dégoûter de toute belle et bonne action et de persuader que l'amour de la vertu est une duperie et un mauvais lot. Mais on ne persuadera jamais cette morale aux honnêtes gens, tout comme on aura toujours de la peine à donner la passion des choses honnêtes, vertueuses, grandes, aux malhonnêtes gens; leur cœur est un terrain où cette graine a bien de la peine à venir. Je dirais à l'auteur du Tableau philosophique, si je le connaissais : Vous pouvez être un honnête et galant homme; mais, quand on a l'humeur chagrine et bilieuse, il ne faut pas plus écrire qu'un peintre ne doit faire des tableaux quand il a la jaunisse. Un organe intérieur ou extérieur vicié expose à l'inconvénient de donner à faux et de calomnier le genre humain.

Une autre brochure est intitulée de l'Imposture sacerdotale, ou Recueil de pièces sur le clergé traduites de l'anglais, Londres, 1767. C'est une brochure de cent quarante-quatre pages attribuée à un certain M. Davidson, qui est un nom en l'air1. On y lit aussi un Tableau fidèle de la conduite des papes et de l'insolence pontificale, extrait de la profession du célèbre Yiannone. Le ton de déclamation qui y règne en rend la lecture peu agréable.

Il est sorti de la même boutique des Doutes sur la religion, suivis de l'analyse du traité théologico-politique de Spinosa, par le comte de Boulainvilliers, Londres, 1767. Brochure de cent trois pages. Ces doutes sont d'un esprit sage. Ils ne sont pas nouveaux, on les connaissait manuscrits depuis longtemps.

L'Examen important de milord Bolingbroke, qui faisait la principale partie du Recueil nécessaire, vient d'être réimprimé en Hollande à part en beau papier et en beaux caractères. Oh! pour celui-là, passe, il vient de la véritable manufacture de Ferney.

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1. Selon Barbier, d'Holbach aurait bien réellement traduit cette brochure de True picture of Popery, de Davidson. Son titre de départ est Tableau fidèle, etc., et Grimm, qui semble pourtant avoir lu l'Imposture sacerdotale, n'a pas remarqué qu'il annonçait deux ouvrages au lieu d'un seul.

2. Les Doutes sur la religion sont attribués à Guéroult de Pival, ancien précepteur du comte de Gisors, mort vers 1772.

de la Théorie des lois civiles, ou Principes fondamentaux de la société, par M. Linguet, avocat au Parlement. Deux volumes in-12 assez considérables. Les ouvrages de M. Linguet sont comme les feux de paille; ils ont un grand éclat pendant un instant, et puis c'est fini. C'est qu'ils sont remplis de paradoxes et d'opinions hardies, et cela pique d'abord la curiosité; mais ces paradoxes sont présentés d'une manière si peu séduisante qu'on s'en dégoûte incontinent. Ici vous trouverez M. Linguet partisan de la polygamie et surtout de l'esclavage, et il y aurait là-dessus beaucoup de choses très-spécieuses à dire; mais M. Linguet ne les sait pas. Il attaque fortement Grotius et Puffendorf, et plus fréquemment encore le président de Montesquieu. Quant à ce dernier, j'observe à M. Linguet qu'il se peut qu'il soit souvent plus brillant et ingénieux que vrai; mais que j'aime mieux une tournure de Montesquieu qu'une vérité de Linguet. En jugeant les grands hommes qui ont fait époque, il ne s'agit pas ici de compter le nombre des vérités et des erreurs qu'ils nous ont transmises, mais de considérer l'effet qu'ils ont fait sur leur siècle. Qu'importe que Montesquieu se soit trompé quelquefois, s'il est vrai que le livre de l'Esprit des lois ait produit une espèce de révolution en Europe? Je fais à M. Linguet la même observation à l'égard de Grotius et de Puffendorf. Il se peut que leurs livres soient un fatras de citations et de pièces rapportées, fatras d'érudition très-estimé de leur temps, trèsméprisé aujourd'hui; on peut se moquer encore de leur méthode péripatéticienne, très-estimée de leur temps, très-méprisée aujourd'hui; mais en est-il moins vrai que Grotius et Puffendorf ont créé la science du droit naturel et des gens en Europe, et que, sans eux, M. Linguet n'aurait pas écrit une ligne de sa Théorie des lois civiles? M. de Voltaire se moque du goût de Grotius à l'occasion de sa harangue à la reine de France sur la naissance d'un dauphin, harangue qui, à coup sûr, fit l'admiration de toute la cour pendant très-longtemps, mais enfin ce goût, n'étant pas le nôtre, est sans doute détestable. Qu'en sait-il? Grotius est-il moins un grand génie parce qu'il a fait un compliment à la reine dans le goût de son siècle? M. Linguet me demandera peut-être si je prétends rendre les grands hommes. absolument inattaquables, en sorte qu'il soit défendu de les toucher? Point du tout. Je veux liberté entière dans la répu

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