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aux gouvernements qu'il ne faut point d'artifice pour se faire obéir, que l'état naturel de l'homme est de se laisser gouverner, parce que son état naturel est de vivre en société, et que toute société suppose un gouvernement; que plus les hommes sont éclairés, plus il est aisé de leur commander, parce que les lumières adoucissent les mœurs, et que, par leur secours et leur longue influence, un troupeau de bêtes féroces s'apprivoise et contracte à la fin les mœurs des moutons; que jamais peuple n'a cherché à secouer un joug tant soit peu supportable; qu'il n'a cessé d'obéir que lorsqu'il s'est vu poussé à bout par de longues et absurdes violences, ou que, séduit par ces mêmes. mensonges sur lesquels on voudrait cimenter les appuis du trône, il a cédé à ceux qui ont osé échauffer son imagination et, à la faveur de certaines idées creuses et métaphysiques, le conduire au fanatisme et à la révolte; que fonder le droit de régner sur je ne sais quelle émanation divine dont on n'a jamais. vu ni patentes ni diplôme, c'est le faire dépendre de mille explications, de mille modifications, de mille restrictions dont l'ambition et la fourberie sont sûres de faire leur profit dans les temps orageux et difficiles; qu'enfin le genre humain aurait été incomparablement plus heureux, plus soumis, mieux et plus sûrement gouverné, si son bonheur eût voulu que jamais idée métaphysique ne fût choisie pour base des devoirs de l'homme et du citoyen.

Toute tête saine et dont la raison n'est point altérée par la longue habitude des sophismes et du verbiage sans idées conviendra qu'il n'y a point de vérité morale mieux établie que les propositions que je viens d'énoncer. Il est même à croire que la vérité de ces propositions frappera à la longue tous les hommes, que les fripons perdront peu à peu leur crédit, et que les princes et les peuples en seront plus heureux; mais malheureusement nous ne sommes encore qu'au crépuscule d'un si beau jour, et le philosophe, d'autant plus agité qu'il connaît mieux le mal et ses ravages, est réduit à s'écrier douloureusement: Ah! que l'aurore tarde à paraître !

Il semble que ce soit pour hâter ce moment désiré que le Philosophe ignorant ait voulu se rendre compte de toutes ses ignorances, et en publier la liste, afin d'inviter tout philosophe à faire sa confession avec la même bonne foi, et tout être pen

sant à ne point admettre des idées incompréhensibles et vides de sens. L'auteur a partagé sa profession de foi en cinquanteneuf doutes qui composent tout son ouvrage. En partant de la question Qui es-tu? il passe en revue toutes les réponses que les philosophes anciens et modernes y ont faites; il parcourt tous les systèmes. Il explique en peu de mots la philosophie de Zoroastre, de Confucius, celle des philosophes grecs; il s'arrête davantage à celle de Spinosa, de Hobbes, de Leibnitz, de Locke: il partage toutes ces différentes doctrines en choses qu'il comprend et choses qu'il ne comprend point. Il finit sa revue par un chapitre contre les persécuteurs, à propos des paroles de M. le Dauphin rapportées dans l'éloge de M. Thomas : « Ne persécutons point; » paroles que je trouverais bien plus belles si les princes croyaient persécuter en immolant le sage à la calomnie du fourbe. Enfin un supplément ajouté au Philosophe ignorant contient un dialogue entre feu le soi-disant musicien Destouches et un Siamois. Dans ce dialogue, le Siamois, en rendant compte au musicien des mœurs et usages de son pays, fait un tableau fidèle de nos malheurs, de nos contradictions et de nos sottises. Cette tournure n'est point neuve, et M. de Voltaire lui-même s'en est servi plus d'une fois.

Le plan du Philosophe ignorant était excellent; mais l'exécution n'y répond que faiblement. Un précis de la philosophie ancienne et moderne, partagé en idées claires et incontestables et en rêves obscurs et incompréhensibles, serait le livre élémentaire le plus utile et le plus nécessaire à mettre entre les mains de la jeunesse; mais ce précis demanderait une tête profonde, et à peine le Philosophe ignorant a-t-il faiblement effleuré la superficie des choses; sans compter qu'il tombe dans le même défaut qu'il reproche avec raison à Descartes. Celui-ci, en partant de son doute, si opposé en apparence au ton affirmatif, devint le philosophe le plus positif, le plus engoué de chimères et de systèmes imaginaires; le Philosophe ignorant tombe par timidité dans le même piége où la hardiesse et l'imagination ont conduit Descartes. Il dit à tout moment, par faiblesse: Je comprends, lorsque sa conscience lui dit certainement et nettement: Je ne comprends pas.

Ainsi, après avoir expliqué superficiellement le système de Spinosa, il entreprend de le combattre avec des armes bien

puériles. « Si les ouvrages des hommes, dit-il, supposent une intelligence, j'en dois reconnaître une bien supérieurement agissante en regardant l'univers. J'admets cette intelligence suprême, sans craindre que jamais on puisse me faire changer d'opinion. Rien n'ébranle en moi cet axiome: Tout ouvrage démontre un ouvrier. » Qui croirait que ce fût là la manière de procéder d'un philosophe qui n'a que deux paroles : Je comprends, ou bien : Je ne comprends pas? « J'admets sans craindre qu'on puisse me faire changer d'opinion » n'est certainement pas du dictionnaire de cette philosophie. Cela est bon pour professer un article de foi: M. Pluche est un raisonneur de cette force. Tout ouvrage démontre un ouvrier; mais qui vous a dit que l'univers est un ouvrage? Vous convenez ailleurs que le passage du néant à la réalité est une chose incompréhensible, que tout est nécessaire, et qu'il n'y a point de raison pour que l'existence ait commencé ; et puis, vous venez me parler d'ouvrage et d'ouvrier: vous voulez sans doute jouer avec les mots. Une production naturelle n'est point un ouvrage : c'est une émanation nécessaire. Vous n'êtes pas l'ouvrage de votre père, parce qu'en vous faisant il ne savait pas ce qu'il faisait. Vous dites que, puisque tout est moyen et fin dans votre corps, il faut qu'il soit arrangé par une intelligence. Moi, j'en conclus simplement que le mouvement et l'énergie de la matière sont des qualités certaines, existantes, agissantes, quoiqu'elles soient réellement incompréhensibles. En m'arrêtant de bonne foi à ce que je ne peux ni nier, ni comprendre, j'évite une foule d'inconvénients, d'absurdités et de contradictions dont vous ne vous tirerez jamais lorsque vous aurez une fois introduit l'intelligence suprême dans votre philosophie. Mais pourquoi avancer de ces pauvretés, lorsqu'on se permet d'en combattre tant d'autres qui ne sont pas plus déraisonnables, ou qui sont même une suite nécessaire des premières? Pourquoi dire qu'il fallait que Spinosa fût ou un physicien bien ignorant, ou un sophiste gonflé d'un orgueil bien stupide, pour ne pas reconnaître une Providence lorsqu'il respirait et qu'il sentait son cœur battre? C'est qu'on a eu la sottise de lier le système métaphysique, où tout est ténèbres, avec les idées morales, où tout est clair et précis, et de croire que s'il n'y avait plus de déraisonnements à perte de vue sur l'Etre suprême, il n'y aurait plus de morale

ni d'obligation parmi les hommes d'être juste et vertueux. Rassurez-vous, mon cher Philosophe ignorant qui faites l'enfant. Comptez qu'il n'est pas libre aux hommes d'aimer ou de haïr la vertu, d'estimer ou de mépriser le vice, et puisque l'édifice de la morale n'est véritablement assis que sur cette base éternelle, malgré tous les étais chimériques que les hommes ont placés tout autour, comptez que cet édifice subsistera, quelles que soient les opinions métaphysiques des différents peuples, et en dépit de tous les sublimes bavards qui prouvent si éloquemment que tout va de mal en pis.

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Le Philosophe ignorant n'est guère plus philosophe en combattant les principes de Hobbes. Voici l'apostrophe qu'il fait à celui-ci : « Tu dis que dans la loi de nature, tous ayant droit à tout, chacun a droit sur la vie de son semblable. Ne confondstu pas la puissance avec le droit? Penses-tu qu'en effet le pouvoir donne le droit, et qu'un fils robuste n'ait rien à se reprocher pour avoir assassiné son père languissant et décrépit ? »> Voilà encore un jeu de mots assez puéril; mais les hommes sont accoutumés à s'en payer. Je n'entends parler dans les écoles que de principes et de droit; j'ouvre l'histoire, et n'y trouve que pouvoir et fait. Ainsi les hommes se partagent en deux classes celle des raisonneurs, qui sont toujours justes et modérés, et celle des acteurs, qui se permettent toujours tout ce qu'ils peuvent. Ce qu'il y a de pis, c'est qu'on passe alternativement d'une classe à l'autre, suivant l'intérêt qu'on a d'agir, ou d'en imposer par des raisonnements. Ne vaudrait-il pas mieux partir du principe simple, qu'à la vérité tout est force dans la morale comme en physique, que le plus fort a toujours droit sur le plus faible; mais que, tout calcul fait, le plus fort est celui qui est le plus juste, le plus modéré, le plus vertueux? Je défie tous les sophistes de me prouver le contraire. Je sais que ma manière de raisonner ne prévient pas plus les injustices que le bavardage de l'école; mais du moins je vais au fait; et si je pouvais persuader au puissant, comme je le crois possible, que son plus grand intérêt est d'être juste et modéré, puisqu'enfin il s'agit d'être puissant plus d'un jour, et de jouir de son pouvoir sans inquiétude, je croirais avoir fait faire un pas à la morale. Le Philosophe ignorant ne calcule, dans l'exemple qu'il rapporte, que le bras vigoureux du fils et l'état

décrépit du père. Il oublie que ce sont des êtres moraux, et qu'il faut par conséquent calculer la force de tous les sentiments moraux qui non-seulement contre-balancent la peine qu'un père languissant donne à un fils vigoureux, et l'intérêt qu'il aurait à s'en défaire, mais qui lui font de sa peine la plus douce des jouissances. Ainsi il propose dans le fait une action aussi absurde qu'elle serait abominable, et le fils serait dans le cas de regarder celui qui pourrait la conseiller autant comme un homme jaloux de son bonheur que comme un monstre étranger à tout sentiment moral. Otez ce sentiment moral, qui est aussi naturel au fils que la vigueur de son bras, et vous verrez qu'il tuera son père décrépit sans remords et sans crime, comme le tigre qui déchire le voyageur. Tout est si bien force. et droit du plus fort que les hommes ne se sont réunis en société que pour tenir en respect leurs forces réciproques; et dans cet accord chaque individu n'a sacrifié son droit à la vie de son semblable que pour mettre en sûreté la sienne. O médecin, qui que tu sois, soit que tu te mêles de guérir les maux du corps ou ceux de l'âme, souviens-toi que tout est force, poulie, ressort, levier dans la nature; que ta science consiste dans le secret de donner du jeu à la machine, soit physique, soit morale, et que si tu n'es pas profond mécanicien, tes procédés seront toujours aussi inutiles que faux.

- M. Huber, connu par différentes traductions allemandes, et particulièrement par celle des ouvrages de M. Gessner de Zurich, vient de nous donner un Choix de poésies allemandes en quatre gros volumes in-8° assez joliment imprimés. Ce choix contient tous les genres de poésie, et les ouvrages de tous les différents poëtes d'Allemagne, la plupart vivants. On trouve dans le premier volume les idylles et poésies pastorales, les fables et contes, et ce que le traducteur a appelé contes poétiques; le second volume contient les odes et la poésie lyrique; le troisième, la poésie épique sérieuse et comique; le quatrième, les épîtres, élégies, satires, et la poésie didactique. M. Huber a mis à l'article de chaque poëte une notice de sa vie et de ses écrits, aussi instructive qu'agréable. On ne peut lui reprocher que d'avoir un peu trop grossi son recueil, en y accordant place à des pièces assez médiocres. S'il avait été un peu plus sévère, et qu'au lieu de quatre volumes il se fût con

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