ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

tenté de nous en donner trois, son choix eût été sans reproche et son succès plus grand. Sa traduction aurait eu besoin aussi d'être châtiée à plus d'un endroit. En général, cette édition s'est faite un peu vite; mais, malgré ses imperfections, elle a réussi. Au reste, M. Huber, Bavarois d'origine, après avoir passé environ douze ans à Paris, après s'y être marié, va partir avec sa femme et sa famille pour s'établir à Leipsick en qualité de professeur de littérature française; et comme la religion catholique qu'il professe ne lui permet pas d'avoir ce titre dans les formes, et le réduit à ne donner que des leçons particulières, la cour de Dresde lui a assigné une pension annuelle de douze cents livres. Nous perdons à cet arrangement le seul traducteur de langue allemande dont les traductions aient eu du succès à Paris.

- M. Robinet, auteur du livre De la Nature, vient de donner le troisième et le quatrième volume de cet ouvrage, qui, par ce moyen, se trouve achevé. On dit que M. Robinet, qui réside à Amsterdam, est un jésuite défroqué, et qui s'est converti à la religion protestante. Ce qu'il y a de sûr, c'est que M. Robinet n'est pas un homme sans mérite, qu'il a du style et l'esprit philosophique à qui l'on ne peut reprocher que d'être un peu trop systématique. Son système principal et favori est que tout est animé dans la nature, et que le monde n'est qu'un animal immense, dans lequel existent des millions d'animaux de différentes espèces. Ainsi, non-seulement tout ce qui végète est rangé par M. Robinet dans la classe des animaux, mais les corps physiques, comme l'eau, l'air, etc., ne sont que des amas de petits animaux d'une certaine nature qui se meuvent et vivent dans l'espace. On peut dire beaucoup de choses spécieuses pour accréditer ces idées; mais vous croyez bien aussi qu'un philosophe qui ne voit partout que des animaux organisés, quand on lui accorde la matière qu'on ne saurait lui refuser, se passe très-bien d'un Etre suprême; ou s'il prononce le mot de Dieu, ce mot ne peut guère signifier dans sa bouche que ce qu'il signifiait dans l'école d'Épicure.

- C'est une chose vraiment effrayante que de voir à quel point les faiseurs d'Esprits, d'Abrégés, de Pensées, de Dictionnaires, de compilations de toute espèce, se sont multipliés depuis quelques années. Ce sont des chenilles qui rongent

l'arbre de la littérature, et qui le mangeront enfin jusqu'à la racine. On a donné, l'année dernière, l'Esprit de M. Nicole', moraliste dévot et célèbre parmi les aigles du Port-Royal du siècle précédent. Il y a des réputations bien étranges! Je soutiens que si les Essais de morale de M. Nicole paraissaient aujourd'hui, ils n'auraient aucun succès. Leur platitude, leur trivialité, leur tristesse, les feraient mépriser de tout homme instruit et sensé. Mais on l'était si peu, dans ce beau siècle de Louis XIV, que les plus pauvres d'esprit, portés par un parti, avaient le plus beau jeu du monde avec un public ignorant et ne connaissant d'autre philosophie que celle de son catéchisme. Lisez, je vous supplie, dans les Essais de Nicole, le chapitre des personnes sèches et de la manière dont il faut les supporter, et vous verrez un persiflage d'une platitude et d'un ridicule incroyables, et dans lequel un jeune libertin trouverait cent sottises et cent équivoques.

On a publié depuis peu les Pensées de Pope, avec un abrégé de sa vie, extrait de l'édition anglaise de ses OEuvres2. Volume in-12 de plus de trois cents pages.

On vient de donner aussi l'Esprit de mademoiselle de Scudéry, en un volume in-12 de cinq cents pages. Vous croyez bien que le chapitre de l'amour doit occuper une place considérable dans l'Esprit de mademoiselle de Scudéry; aussi tient-il la moitié du livre. Si les Essais de M. Nicole déposent de la pauvreté de la morale du siècle précédent, les ouvrages de Mlle de Scudéry, et la vogue qu'ils ont eue, peuvent en constater le mauvais goût. On connaît le faux bel-esprit, le précieux et l'affectation de l'hôtel de Rambouillet, et le respect imbécile que le public avait pour lui; Mlle de Scudéry y jouait un grand rôle. On y décidait avec un air important et grave des questions bien insipides et de grandes pauvretés. Vous trouverez plusieurs de ces questions dans le recueil dont nous parlons. Par exemple: Lequel marque le plus d'amour, ou de s'en taire, ou d'en parler, ou des soupirs ou des larmes? Lequel donne plus de satisfaction à un amant, de louer sa maîtresse ou d'en être loué? Auquel paraît le plus le pouvoir

1. Par l'abbé Cerveau, 1765, in-12.

2. Par Lacombe de Prezel, 1766, in-12. 3. Par de La Croix, 1766, in-12.

de l'amour, ou à faire qu'une bergère aime un roi, ou qu'un roi aime une bergère? et d'autres niaiseries semblables qu'on agitait avec un grand sérieux, et sur lesquelles on dissertait à perte de vue. Molière, ce grand homme si supérieur à son siècle, osa le premier se moquer de ces afféteries pédantesques dans ses Précieuses ridicules. Racine et Despréaux, nourris de la lecture des anciens, vinrent ensuite réformer le goût du public, que le berger Fontenelle et le spirituel La Motte auraient de nouveau gâté si le plus bel esprit et à la fois le plus solide, M. de Voltaire, n'avait arrêté les progrès de la corruption. Sur quelque objet qu'on porte ses regards, cet homme immortel est sans doute celui à qui la France et peut-être l'Europe ont les plus grandes obligations. Me de Scudéry eut le malheur de survivre à sa réputation, car elle mourut en 1701, dans sa quatre-vingtquatorzième année, lorsque tout Paris n'était rempli que des noms de Molière, de Racine, de Despréaux, et qu'il n'y avait plus guère que les vieilles caillettes et leurs amants surannés qui lisaient Clélie et le Grand Cyrus, en déplorant le mauvais goût du siècle.

[ocr errors]

-L'impunité des compilateurs est si grande qu'on a imprimé sous ce titre le Goût de bien des gens, ou Recueil de contes moraux, un volume in-12 de trois cents pages, dans lequel on n'a fait que voler au Mercure de France les différentes pièces fugitives, en vers et en prose, qu'il a publiées en ces derniers

temps.

15 juin 1766.

On donna, vers la fin du mois d'avril dernier, sur le théâtre de la Comédie-Italienne, un opéra-comique en un acte, intitulé les Pêcheurs. La musique en fut fort applaudie; mais la pièce ne réussit pas de même, et le dénoûment fut sifflé. Les auteurs jugèrent à propos de retirer leur pièce après la première représentation, pour y faire des changements. Elle vient de reparaître avec un médiocre succès, qui se bornera à quelques représentations. Le poëme des Pêcheurs est d'un certain marquis de La Salle. Il ne faut certainement pas être un Molière pour faire de ces pauvretés-là. On a demandé pourquoi l'auteur a donné la préférence au métier de pêcheur sur

celui de laboureur, ou de vigneron, ou de jardinier; et on a eu raison, car les gens de la pièce ne sont pêcheurs que parce que l'auteur le veut ainsi, et cela ne fait ni froid ni chaud, ni à l'intrigue, ni au dénoûment, ni même aux détails, ce qui est inexcusable. Cependant, malgré tout ce qu'on peut dire, cette pièce n'était pas assez mauvaise pour qu'on ne pût lui faire grâce en faveur de la musique charmante de M. Gossec. Il y a là une foule d'airs qui peuvent soutenir le parallèle de tout ce qu'on a fait de mieux en ce genre en France; et une nation passionnée pour la musique ne marchanderait pas tant sur une pièce qui n'a dans le fond rien de choquant. Il faut même dire que si M. de La Salle est sans invention, sans verve, sans force comique, il sent, en revanche, assez bien le rhythme des vers qu'il faut pour les airs, et dont, excepté M. Anseaume, aucun de ceux qui se sont exercés dans ce genre ne se doute. La petite brochure de M. le chevalier de Chastellux, sur l'union de la musique et de la poésie1, n'a pas fait une seule conversion. Mais c'est encore plus aux acteurs qu'au public qu'il faut attribuer le mauvais succès des Pêcheurs. Je ne sais pourquoi M. Caillot et M. Clairval n'ont pas daigné jouer dans cette pièce. Un musicien qui débute d'une manière aussi brillante que Gossec méritait assurément d'être encouragé; et il faut ou que messieurs de la Comédie-Italienne n'aient pas senti le mérite de cette musique, auquel cas ils seraient des juges bien ineptes, ou qu'ils ne se soucient pas de faire réussir un jeune musicien qui pourrait leur procurer d'autres succès, auquel cas ils n'entendent guère leurs intérêts. Le parterre, qui ne s'entend nulle part moins en musique qu'en France, juge du cas qu'il doit faire d'une pièce d'après celui que les comédiens en font eux-mêmes. Quand il voit arriver les mauvais acteurs, et qu'il sait que les bons n'ont pas jugé à propos de se charger des rôles de la pièce, il la tient pour détestable, et au premier mot équivoque, plat ou froid, elle est sifflée. Il y a là un certain Trial qui double Clairval dans les rôles d'amoureux, et qui, à lui tout seul, serait capable de faire tomber la meilleure pièce. M. Gossec, originaire d'Anvers, est en France depuis dix ou douze ans.

1. Essais sur l'union de la poésie et de la musique, 1763, in-12.

C'est un jeune musicien qui ne manquera pas de talent1. Son petit opéra des Pêcheurs est plein de variété et de jolies idées; il va être gravé. Il a aussi publié beaucoup de musique instrumentale. On l'accuse de piller, et cela peut bien. être; mais du moins sait-il le secret de Philidor, c'est-à-dire piller avec goût et avec esprit.

- Le 12 du mois dernier, M. Champion de Cicé, évêque d'Auxerre, a prononcé l'oraison funèbre de feu M. le Dauphin devant l'assemblée générale du clergé de France, dans l'église des Grands-Augustins. J'ai ouï dire que jamais sermon n'a eu une vertu plus soporifique que celui-ci, et que nosseigneurs les prélats de l'Église gallicane, qui faisaient les honneurs de cette cérémonie, étaient tout honteux du froid mortel qui avait saisi tous les auditeurs. Il faut que M. l'évêque d'Auxerre ait le débit plus somnifère qu'un autre, car, depuis que son Oraison funèbre est imprimée, on s'aperçoit qu'elle est bien aussi mauvaise que celles qui nous sont venues d'ailleurs sur ce triste sujet, mais qu'elle ne mérite aucune distinction particulière.

Depuis qu'on sait que M. de Belloy a dans son portefeuille une tragédie de Gabrielle de Vergy et de Raoul de Coucy, tous nos petits poëtes ont voulu faire revivre ces noms dans leurs productions. On vient de réimprimer aussi à cette occasion l'Histoire véritable, galante et tragique de la comtesse de Vergy et de Raoul de Coucy, époux et amants fidèles, en deux parties. Vous y trouverez des aventures bien tragiques rapportées d'un style bien faible. Mais il ne paraît pas que ce soit le roman qui ait fourni à M. de Belloy le sujet de sa tragédie. Gabrielle de Vergy est cette épouse, aussi vertueuse qu'infortunée, à qui un époux barbare et jaloux fait servir le cœur de son amant dans un repas. Ce monstre, après l'avoir vu manger de cet horrible mets, met le comble à sa rage en lui déclarant cet affreux mystère. Voilà assurément un sujet tragique. M. le duc de La Vallière en a fait une romance qui est assez connue. Je désire que M. de Belloy ait eu assez de talent pour traiter ce sujet. Depuis la retraite de Mlle Clairon, il n'a pas voulu risquer sa tragédie au théâtre, et il attend sans

1. Gossec, qui a répondu à l'attente de Grimm, est mort en 1828, âgé d'environ quatre-vingt-quinze ans. (T.)

2. 1766, in-4°.

« ÀÌÀü°è¼Ó »