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il vient d'être nommé de l'Académie des inscriptions et belleslettres, et il n'est pas permis aux membres ordinaires de l'Académie de concourir pour le prix. La vue du comte de Caylus n'était vraiment pas fausse. Si nous connaissions à fond l'Égypte, nous posséderions la clef de tous les arts et de toutes les sciences. des Grecs. Malheureusement les monuments manquent partout, et ce qui est parvenu jusqu'à nous est si imparfait, si plein de lacunes, si obscur et si inexpliquable, qu'il ne faut pas se flatter de pouvoir jamais en tirer les éléments de la véritable histoire du genre humain. C'est pourtant à quoi nous mènerait une connaissance bien approfondie de l'Égypte. J'oublie, il est vrai, que l'Académie des inscriptions possède deux hommes qui ne restent jamais court sur l'Égypte, qui la connaissent comme je connais ma chambre, et qui se croiraient personnellement offensés de mes doutes. J'en demande donc pardon à M. de Guignes et à M. l'abbé Barthélemy; mais quand ils m'auront certifié avoir fait leur noviciat, il y a trois ou quatre mille ans, dans quelque séminaire de Memphis, et surtout avoir eu quelque part dans la confiance des prêtres égyptiens, les plus cachés de tous les hommes, je les écouterai avec docilité, et j'adopterai sans scrupule toutes les importantes découvertes qu'ils voudront bien.

me transmettre.

-Si la lecture de l'Histoire de l'Orléanais, par M. le marquis de Luchet', ne vous a point assommé, vous pouvez d'abord vous vanter d'avoir la vie dure; et puis les Essais du même auteur sur les principaux événements de l'histoire de l'Europe vous donneront le coup de grâce. Ces Essais forment deux petites parties. La première est consacrée à l'illustre Élisabeth, reine d'Angleterre. Vous avez déjà lu ce barbouillage sous un autre titre; il est seulement ici plus étendu. L'auteur soupçonne qu'Élisabeth, tout en établissant le protestantisme en Angleterre, pourrait bien au fond n'avoir été ni catholique ni protestante. Vous voyez que M. de Luchet est fin comme l'ambre. Sa seconde partie sert à éplucher le caractère de Philippe II, roi

1. Voir tome VI, page 507.

2. Essais historiques sur les principaux événements de l'Europe, 1766, 2 part. in-12. Le premier volume avait déjà paru l'année précédente, sous le titre de Considérations politiques et historiques sur l'établissement de la religion prétendue réformée en Angleterre. (T.) — Voir tome VI, page 267.

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d'Espagne, qui, tout grand politique qu'il était, n'échappe pas davantage à l'œil pénétrant de M. de Luchet. Je pardonne de tout mon cœur à ce terrible historien. Il a épousé ma bonne amie, Mlle Delon, de Genève; il m'a l'air d'être mari commode; il faudrait avoir bien de l'humeur pour l'empêcher d'écrire, surtout quand on n'est pas obligé de le lire. On dit cependant qu'il va quitter le métier de la littérature pour se charger de l'entreprise des fiacres gris'. On ne manquerait pas de lui appliquer le proverbe il écrit comme un fiacre, s'il s'avisait de faire des livres pendant l'exercice de cette nouvelle dignité.

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M. Dorat donna en 1763 la tragédie de Théagène et Chariclée, qui eut le malheur de tomber. Il vient de la faire imprimer avec le luxe et l'élégance dont il pare tous ses ouvrages, mais qui ne rendront pas celui-ci meilleur. Ce jeune poëte a la manie de ne pouvoir rien garder dans son portefeuille; c'est une fâcheuse maladie. Lorsque Théagène tomba, M. Dorat fit une élégie sur lui-même, que vous pouvez vous rappeler. Il a fait depuis sur le même sujet des vers plus philosophiques, qui viennent de me tomber entre les mains. Ils me rassurent sur les chutes que M. Dorat pourrait faire par la suite, et je vois avec plaisir

Qu'à tout événement le sage est préparé.

Nous venons de revoir ici les deux aimables enfants de M. Mozart, maître de chapelle du prince archevêque de Salzbourg, qui ont eu un si grand succès pendant leur séjour à Paris en 1764. Leur père, après avoir passé près de dix-huit mois en Angleterre et six mois en Hollande, vient de les reconduire ici pour s'en retourner par la Suisse à Salzbourg. Partout où ces enfants ont fait quelque séjour, ils ont réuni tous les suffrages et causé de l'étonnement aux connaisseurs. Ils ont été dangereusement malades à la Haye; mais enfin leur bonne étoile les a délivrés de la maladie et des médecins. Mile Mozart, âgée maintenant de treize ans, d'ailleurs fort embellie, a la plus belle et la plus brillante exécution sur le cla

1. Voir tome VI, page 508, note.

2. Paris, S. Jorry, 1766, in-8°. Figure d'Eisen, gravée par de Ghendt.

vecin. Il n'y a que son frère qui puisse lui enlever les suffrages. Cet enfant merveilleux a actuellement neuf ans. Il n'a presque pas grandi; mais il a fait des progrès prodigieux dans la musique. Il était déjà compositeur et auteur de sonates il y a deux ans. Il en a fait graver six depuis ce temps-là à Londres pour la reine de la Grande-Bretagne. Il en a publié six autres en Hollande pour Mme la princesse de Nassau-Weilbourg. Il a composé des symphonies à grand orchestre, qui ont été exécutées et généralement applaudies ici. Il a même écrit plusieurs airs italiens, et je ne désespère pas qu'avant qu'il ait atteint l'âge. de douze ans, il n'ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d'Italie. Ayant entendu Manzuoli à Londres pendant tout un hiver, il en a si bien profité que, quoiqu'il ait la voix excessivement faible, il chante avec autant de goût que d'âme. Mais ce qu'il y a de plus incompréhensible, c'est cette profonde science de l'harmonie et de ses passages les plus cachés qu'il possède au suprême degré, et qui a fait dire au prince héréditaire de Brunswick, juge très-compétent en cette matière comme en beaucoup d'autres, que bien des maîtres de chapelle consommés dans leur art mouraient sans savoir ce que cet enfant sait à neuf ans. Nous l'avons vu soutenir des assauts pendant une heure et demie de suite avec des musiciens qui suaient à grosses gouttes et avaient toute la peine du monde à se tirer d'affaire avec un enfant qui quittait le combat sans être fatigué. Je l'ai vu sur l'orgue dérouter et faire taire des organistes qui se croyaient fort habiles. A Londres, Bach le prenait entre ses genoux, et ils jouaient ainsi de tête alternativement sur le même clavecin deux heures de suite en présence du roi et de la reine. Ici il a subi la même épreuve avec M. Raupach, habile musicien qui a été longtemps à Pétersbourg, et qui improvise avec une grande supériorité. On pourrait s'entretenir longtemps de ce phénomène singulier. C'est d'ailleurs une des plus aimables créatures qu'on puisse voir, mettant à tout ce qu'il dit et ce qu'il fait de l'esprit et de l'âme avec la grâce et la gentillesse de son âge. Il rassure même par sa gaieté contre la crainte qu'on a qu'un fruit si précoce ne tombe avant sa maturité. Si ces enfants vivent, ils ne resteront pas à Salzbourg. Bientôt les souverains se disputeront entre eux à qui les aura. Le père est non-seulement habile musicien, mais homme de

sens et d'un bon esprit, et je n'ai jamais vu un homme de sa profession réunir à son talent tant de mérite.

- M. l'abbé du Pignon vient de publier une Histoire critique du gouvernement romain, où d'après les faits historiques on développe sa nature et ses révolutions, depuis son origine jusqu'aux empereurs et aux papes. Volume in-12 de trois cent soixante pages. M. Duni, professeur en droit à Rome, et frère de notre musicien qui a composé plusieurs de nos jolis opéras-comiques, réclame la plupart des idées de M. l'abbé du Pignon, et il me semble que celui-ci se défend mal de cette accusation. D'ailleurs l'ouvrage de M. Duni est estimé, et celui de M. l'abbé du Pignon ne l'est point du tout; et ce double sort convient encore très-bien à l'auteur original et au copiste.

-M. Linguet vient aussi de s'exercer à peu près sur un semblable sujet. Il a écrit une Histoire des révolutions de l'empire romain, pour servir de suite à celle des Révolutions de la république, que nous avons de l'abbé de Vertot. Cette continuation, qui commence par le règne d'Octave-Auguste et finit avec la mort d'Alexandre Sévère, comprend deux volumes in-12, chacun de plus de quatre cents pages. Elle ne sera pas poussée plus loin; M. Linguet prend dans sa préface congé de la littérature, où il avoue de bonne foi n'avoir pas été comblé de lauriers. Il a quitté une carrière qu'il a courue sans succès, et il s'est fait avocat, dans l'espérance d'un meilleur sort. Il examine dans sa préface avec beaucoup de sincérité pourquoi ses ouvrages n'ont pas réussi; mais il n'en peut découvrir les raisons. Comme il me paraît de bonne foi, je m'en vais les lui dire : c'est qu'il écrit ennuyeusement; c'est qu'il n'a point de coloris, et qu'on s'endort sur son livre. Or il n'y a point de remède à cela en littérature; mais un avocat fait souvent supérieurement bien d'endormir ses juges. M. Linguet donna, il y a trois ans, pour son début, une Histoire du siècle d'Alexandre. Cet ouvrage fut oublié au bout d'un mois, malgré les efforts que beaucoup de bonnes gens avaient faits pour lui donner de la vogue. L'auteur prétend qu'il en a publié plusieurs autres depuis; il est certain qu'ils sont restés bien inconnus. L'Histoire des révolutions de l'empire romain partagera leur sort, malgré les paradoxes que M. Linguet y a avancés, et qui servent ordinairement si bien la réputation de leurs auteurs. Quand M. l'abbé de Galiani me

soutenait quelquefois que Tibère avait été un fort honnête homme, que Néron n'avait eu d'autre tort que d'être un peu trop petit-maître et de s'être rendu odieux aux Romains par son affectation et sa passion pour les mœurs grecques, je l'écoutais avec le plus grand plaisir, parce qu'il savait soutenir sa thèse avec tant d'esprit et même de génie qu'elle en devenait très-intéressante, sans compter qu'abstraction faite du fond, il y avait infiniment à profiter d'une foule de connaissances dont ce fond était relevé. M. Linguet veut jouer le même rôle; mais il faudrait avoir pour cela le génie de l'abbé de Galiani. Il veut décrire Tacite et les philosophes, il traite Suétone comme un polisson, et l'on n'a pas seulement envie de lui rien disputer. On bâille, et on le laisse dire. Il nous prouve laborieusement que c'est très-improprement qu'on attribue à Rome dans les plus beaux jours de sa gloire l'empire du monde, et qu'elle n'en dominait qu'une très-petite partie en comparaison du tout. Belle découverte! Et il ne remarque pas seulement combien la grandeur et l'élévation de ces idées devaient produire d'effets surprenants. Je souhaite le bonsoir à M. Linguet auteur, et beaucoup de bonheur à M. Linguet avocat et à ses clients.

M. de Sartine, lieutenant général de police de cette capitale, s'est particulièrement occupé depuis quelque temps des moyens de mieux éclairer Paris pendant la nuit. La sûreté de cette ville immense dépend en grande partie de ce service, et il est digne d'un magistrat rempli de zèle et de bonnes vues de s'occuper de cet objet. On a fixé un prix de deux mille livres en faveur de celui qui trouverait la manière la plus avantageuse d'éclairer Paris, et pendant tout l'hiver dernier le concours de ceux qui ont proposé leurs essais a duré en différents quartiers de la ville. Paris a été jusqu'à présent on ne peut pas plus mal éclairé; les arts les plus utiles comme les moins nécessaires ne se perfectionnent qu'à la longue. Je pense que la méthode de suspendre les lanternes par des cordes au milieu de la rue est essentiellement vicieuse, parce que dans les temps d'orage et d'ouragan, c'est-à-dire dans les moments où l'obscurité du ciel rend les lanternes le plus nécessaires, il arrive que le vent les ballotte et les éteint toutes. Je vois avec chagrin que, malgré cet inconvénient insurmontable, on donnera dans les nouveaux essais la préférence aux lanternes ainsi suspendues,

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