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AOUT.

1er août 1766.

Les lettres et les arts se sont empressés à seconder la politesse française pour rendre au prince héréditaire de Brunswick son séjour en France agréable. Ce prince a honoré de sa présence les différentes académies établies en cette capitale. L'Académie royale des sciences lui a rendu compte du travail de l'année. Dans une autre séance, l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres en a fait autant, et il s'est trouvé par hasard et fort à propos dans le travail de l'année un Mémoire sur l'origine de la maison de Brunswick.

La séance de l'Académie française, à laquelle le prince a assisté, a été la plus brillante. M. le duc de Nivernois y a lu quelques fables en vers de sa composition. Ensuite M. Marmontel a lu quelques morceaux des Soirées de Bélisaire, ouvrage qui doit paraître l'hiver prochain. C'est une espèce de conte moral, mais fort étendu, dans lequel l'auteur suppose le général, après sa disgrâce, aveugle et dans la misère. C'est dans cet état qu'il reçoit la visite de l'empereur, sans le savoir, et qu'il lui parle sans le connaître. Sujet admirable, susceptible de la plus sublime philosophie. J'ai ouï dire au prince héréditaire de Brunswick que ce que M. Marmontel en a lu lui avait paru fort intéressant. Enfin M. l'abbé de Voisenon a lu dans cette séance une épître en vers, adressée au prince sur le malheur qu'il a de rencontrer des sots, et sur les importunités qu'il a essuyées pendant son séjour à Paris. On dit cette épître un peu négligée; aussi l'auteur n'a-t-il pas jugé à propos de la donner, pas même au prince, à qui elle était adressée. La tournure n'en était pas des plus obligeantes pour le public. Le poëte disait au prince Vous n'aimez pas à souper, et vous êtes prié à souper pour un mois de suite; vous n'aimez pas à veiller, et on vous fait veiller tous les jours; vous ne pouvez souffrir le jeu, et on vous fait toujours jouer; et ce texte servait à se moquer de la sottise du public de Paris. Je crois que le prince a été au fond du cœur plus indulgent que M. l'abbé

de Voisenon sur les fêtes qu'on s'est empressé à lui donner durant tout le temps de son séjour, quoiqu'il ait dit qu'on lui avait procuré tous les plaisirs, hors celui qu'il aimait le plus, le plaisir de la conversation.

Parmi ces fêtes, il faut compter celle que MM. les premiers gentilshommes de la chambre du roi lui ont donnée sur le théâtre des Menus-Plaisirs de Sa Majesté. On y a joué après souper la Partie de chasse de Henri IV, par M. Collé, suivie d'un petit opéra-comique. Comme il n'a pas été permis de jouer cette pièce à la Comédie-Française, cette représentation a été en quelque sorte unique. Le prince a cependant revu la même pièce à Villers-Cotterets, jouée par M. le duc d'Orléans et par des personnes de sa cour. Mais la fête qui a été plus agréable à ce prince que toutes les autres, c'est celle que Mme la duchesse de Villeroy lui a donnée. Mlle Clairon y a joué le rôle d'Ariane, et j'ai été témoin de l'impression qu'elle a faite au prince; il convenait que c'était un des plus grands plaisirs qu'il ait éprouvés dans sa vie. Il paraît que le succès de cette représentation nous en procurera d'autres, et qu'elles deviendront même périodiques à l'hôtel de Villeroy. Mme la duchesse de Villeroy a une grande tendresse pour Mile Clairon, et cette célèbre actrice ayant renoncé au théâtre depuis l'aventure du Siége de Calais, et ayant confirmé irrévocablement sa résolution, ne sera pas fâchée de jouer de temps en temps sur un théâtre particulier. Il est vrai qu'elle y sera mal secondée, la troupe n'étant composée que de jeunes gens qui se destinent au théâtre, et dont les trois quarts sont sans talent et l'autre quart sans usage; mais enfin il faut bien soutenir la gageure et, en quittant un métier qu'on aime avec passion, tâcher de ne pas mourir de regret de l'avoir quitté.

Après les honneurs rendus à la mémoire de feu M. le Dauphin sont venus les honneurs funèbres de Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar. M. de Boisgelin de Cucé, évêque de Lavaur, a été chargé de prononcer l'oraison funèbre de ce prince au service qu'on lui a fait dans l'église métropolitaine de Paris. Cette oraison funèbre vient d'être imprimée. C'est sans contredit la meilleure de toute la récolte que nous avons eue cette année, et qui a été fort abondante. Si ce morceau ne va pas à la postérité, à côté des oraisons funèbres de

Bossuet, on y trouve du moins quelques germes de talent, un style noble et aisé, et une manière qui, sans s'écarter de la décence rigide et souvent mesquine de la chaire, n'est pourtant pas celle d'un capucin. Dans un temps où le lieu saint retentit de tant de pauvretés, il faut savoir gré à un prédicateur de toutes les pauvretés qu'il ne dit pas. M. l'évêque de Lavaur est fort jeune. Ce prélat est l'ami et l'émule de M. l'archevêque de Toulouse. Ils ne passent pas tous les deux pour les plus croyants de l'Église gallicane. M. l'évêque de Lavaur a aussi prononcé l'oraison funèbre de M. le Dauphin devant les états du Languedoc, assemblés à Montpellier, mais il ne l'a pas fait imprimer.

-Le P. Élisée, carme déchaussé, est aujourd'hui de tous les prédicateurs de Paris celui qui a le plus de vogue et de célébrité. Ses sermons sont plutôt des discours moraux que chrétiens. J'en ai entendu où il n'y avait que du déisme tout pur, qu'on écoutait avec une grande componction, et qu'on aurait certainement trouvés remplis d'hérésies si un philosophe s'en fût déclaré l'auteur. J'en ai aussi entendu où il y avait des pages entières du Petit Carême de Massillon, et, puisque le P. Élisée met à contribution des sermons aussi connus que ceux-là, on est en droit de penser que des sermons moins connus en France, comme ceux de Saurin et d'autres, ne lui échappent pas. Quoi qu'il en soit, j'aime l'air pâle et apostolique du P. Élisée. Son éloquence n'est pas brûlante comme la prose de Jean-Jacques Rousseau; mais il a de la netteté, de la sagesse, un style pur et concis, et on l'écoute avec plaisir. C'est d'ailleurs un homme d'esprit qui, hors de la chaire, a bien l'air de ne pas trop croire ce qu'il vous prêche. Il avait été appelé en Lorraine pour prêcher le carême devant le roi Stanislas. Ce prince étant mort pendant ce temps-là de l'accident qui lui est arrivé, le P. Élisée a été chargé de prononcer son oraison funèbre au service qu'on lui a fait dans l'église primatiale de Nancy, et cette oraison funèbre vient d'être imprimée. C'est la première fois que le P. Élisée se risque au grand jour de l'impression, et ce grand jour ne lui a pas été favorable. On a trouvé son oraison funèbre ennuyeuse, et, malgré la célébrité du nom de l'auteur, son ouvrage n'en a eu aucune. C'est que le grand jour de l'impression est un jour terrible où un ouvrage

n'a, pour se soutenir, que son propre poids et son seul mérite. Ainsi on se moque du P. Élisée, et, de carme qu'il est, on en fait un capucin, quand on lit dans cette oraison funèbre que Dieu voulait conduire Stanislas sur le trône par ces voies qui confondent notre prudence, et qui manifestent toute la profondeur de sa sagesse. Si ce n'était pas là une grande platitude, rien ne serait plus répréhensible que cette tournure et cet étrange abus de la parole. Rien n'est assurément moins merveilleux que la manière dont Stanislas fut fait roi de Pologne. Un philosophe qui connaît la nature humaine ne lui en fera pas un crime comme ferait un pédant; il exigera seulement d'un homme assez ambitieux pour oser se frayer le chemin du trône, ou pour oser accepter de la main d'un prince victorieux le don d'une couronne, il exigera, dis-je, de lui d'assez grandes qualités pour la maintenir sur sa tête et pour n'être pas étonné de son poids. Mais qu'un moine vienne nous mettre sur le compte de la Providence et de sa sagesse éternelle que Stanislas ait osé violer le serment fait à Auguste, c'est se jouer étrangement et bêtement de ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, c'est faire de la prétendue chaire de vérité la chaire du mensonge, titre que beaucoup d'honnêtes gens lui accordent pour d'autres raisons.

M. l'évêque de Lavaur s'est tiré de cette époque avec plus d'adresse et plus de décence. Il a dit tout simplement : << Ne renouvelons point d'anciennes querelles », et puis, apostrophant M. le Dauphin, il lui a dit : « Monseigneur, le sang de Stanislas et d'Auguste coule également dans vos veines, etc. >> Cela s'appelle s'en tirer en homme d'esprit, et donner bonne opinion de soi aux gens qui vous écoutent, parce qu'ils voient que vous avez senti la difficulté comme eux, et que vous ne les prenez pas pour des oies.

Au reste, il paraît tous les jours des éloges historiques ou funèbres de Stanislas le Bienfaisant, et nous en avons au moins pour six mois encore avant que tous les faiseurs d'élégies aient fourni leurs amplifications. Il faut croire que ces pauvretés trouvent des lecteurs en province, car, à Paris, personne ne les connaît.

Une bonne âme dévote, remplie de fiel, amère, comme l'absinthe, pleine de bénignité pour les gens qui ne sont pas

de son sentiment, vient de faire un examen peu indulgent de l'éloge de feu M. le Dauphin par M. Thomas. Cette bonne âme n'est point du tout contente de M. Thomas; elle trouve qu'il sent le brûlé comme un philosophe. M. Thomas n'a contenté aucune classe de lecteurs par son Eloge du Dauphin. Les gens de la cour et les philosophes en ont été choqués par deux motifs différents. Les gens de goût ont été fatigués de voir l'orateur toujours dans les nues, et voilà les dévots qui s'en mêlent.

-M. Jean Aléthophile, c'est-à-dire, en français, M. l'Amateur de la vérité, vient de publier un Examen du système de Newton sur la lumière et les couleurs. Volume in-8° de près de deux cents pages 1. Je ne sais d'où vient ce beau livre, mais cela est de cru étranger. M. Jean Aléthophile est doué d'une certaine platitude exotique qui ne ressemble point du tout à la platitude parisienne. Ce pauvre homme entreprend de prouver que le fameux Newton, avec toutes ses lumières, a donné dans l'erreur en toutes ses assertions sur la lumière et sur les couleurs, et que le vrai ne se trouve qu'en des points diamétralement opposés à ceux qu'il a prétendu établir, et que tant de gens sur son autorité tiennent pour certains.

Ainsi voilà Isaac Newton déclaré aveugle malgré ses lumières, et son prisme mis en pièce par M. Aléthophile le clairvoyant. Il faut convenir qu'il s'imprime d'étranges bêtises en ce beau siècle philosophique.

-M. Théophile de Bordeu, qui est un autre homme que M. Aléthophile le clairvoyant, vient de publier un ouvrage intitulé Recherches sur le tissu muqueux ou l'organe cellulaire et sur quelques maladies de la poitrine, avec une dissertation sur l'usage des eaux de Barège dans les écrouelles. Volume in-12. M. de Bordeu est un homme de beaucoup d'esprit et un savant médecin, je ne dis pas un grand médecin, car c'est tout autre chose. Un grand médecin est un homme de génie à qui il faut un talent et un coup d'œil que la nature donne, et qu'on n'acquiert pas à force de science. On trouvera peut-être dans les écrits de ce médecin un peu de propension et de goût pour le paradoxe. Le désir de dire des choses singulières est un écueil

1. Euphronople et Paris, 1766, in-8°. Attribué à Quériau, avocat.

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